LE SÉNÉGAL MALADE DE SA SANTÉ
Infrastructures manquantes, coûteuses évacuations sanitaires, investissements inadaptés et insuffisants, prise en charge médicale déficiente…
L’évacuation laborieuse des victimes de l’accident de bus survenu dans la zone de Bignona, il y a deux semaines, est symptomatique d’un mal profond qui gangrène la… Santé au Sénégal. Au niveau des régions et des départements de l’intérieur surtout, il se pose en effet un réel problème de prise en charge médicale. Des hôpitaux de deuxième génération de niveau I seraient les bienvenus, selon le Docteur Mballo Dia Thiam.
Les hôpitaux de certaines régions de l’intérieur de notre pays ne le seraient-ils que de nom ? La question mérite d’être posée au regard aux difficultés que rencontrent les usagers et le personnel médical, surtout en cas d’urgence. Le drame de l’accident de bus survenu il y a deux semaines sur l’axe Bignona Badiouré occasionnant 5 morts et plus de 60 blessés du fait surtout des problèmes d’évacuation des blessés pour défaut d’ambulance et à cause aussi du manque d’oxygène, ce drame n’a laissé personne indifférent. Au-delà des problèmes de logistique, le président de l’Alliance And Gueusseum dénonce aussi un problème de capacité d’accueil au niveau des hôpitaux de Ziguinchor, à savoir l’hôpital régional de Ziguinchor et l’hôpital de la Paix. Au niveau du bâtiment de l’hôpital régional central qui abrite en même temps le bloc opératoire et les services de réanimation, il est noté une plaque défectueuse avec des infiltrations d’eau occasionnant cette réduction de capacité d’accueil.
L’hôpital de la Paix a aussi une capacité résiduelle et ne peut pas prendre en charge le surplus de malades. Mballo Dia Thiam dit avoir constaté que le bloc opératoire ne fonctionne pas alors qu’il est équipé depuis plus de 5 ans, sans compter le manque de bloc de soins obstétricaux d’urgence (Sou) qui empêche les praticiens de faire des césariennes à Bignona. « Nous sommes obligés de les référer à 30 kilomètres parce que la capacité d’accueil et le plateau de référence posent problème. Or, l’hôpital c’est la référence ultime dans une localité. Si le plateau n’est pas adéquat et qu’il se pose des problèmes de capacité d’accueil, c’est grave. Nous sommes confrontés à de sérieux problèmes de prise en charge des malades, notamment au niveau de la chirurgie. C’est valable pour les autres urgences.
En psychiatrie aussi, il y a certaines urgences. Nous avons un centre de santé qui devait être érigé en village psychiatrique à Kénya, à deux ou trois kilomètres de la ville qui non seulement reçoit des malades de Ziguinchor, mais aussi des pays limitrophes et des autres régions. Il se trouve qu’on n’arrive pas à ériger le village psychiatrique de Kenya en établissement de santé de niveau 1. Cela dit, on ne peut pas comprendre que Bignona, ayant un centre de santé avec une population démographique galopante, ne puisse pas disposer d’un hôpital de niveau 1 », s’insurge le patron du Sutsas (Syndicat unique des travailleurs de la Santé et de l’Action sociale). Mballo Dia Thiam tient surtout à attirer l’attention des autorités et de l’opinion sur un problème beaucoup plus préoccupant, selon lui : le déficit de ressources humaines, en particulier de spécialistes. « Les gynécologues, par exemple, on les compte sur les doigts d’une seule main », déplore le syndicaliste.
60.000 francs pour évacuer un malade de Kédougou à Tambacounda
Si l’on en croit M. Thiam, presque tous les départements de notre pays seraient dans la même situation de dénuement. « Il y a des situations aigues et des situations chroniques. Kédougou, qui est une région, n’est pas mieux lotie. Elle rencontre les mêmes problèmes que ces départements. Récemment, on a entendu parler du plateau de Kédougou. C’est une région qui mérite un hôpital régional ! A défaut d’un hôpital, le centre de santé doit être érigé en établissement de santé de niveau 1. Kédougou est une région émergente or, avec les mines et autres, il y a beaucoup de risque d’éboulements. Avec l’orpaillage, cette région mérite une attention particulière. Le problème de la radiographie y est heureusement réglé aujourd’hui. Quand je suis allé en mission, j’ai crié au scandale parce que je ne pouvais pas assister à des transports de malades de Kédougou à Tamba, 232 kilomètres à l’aller et autant au retour. Et il fallait casquer 40 000 francs pour l’achat du carburant et 5000 francs pour motiver le chauffeur de l’ambulance. Et quand on a le cliché à Tamba, c’est au moins 15000 francs pour revenir encore à Kédougou interpréter le cliché avant d’entamer quoi que ce soit. Vous voyez ce que cela fait ! On a pu acquérir une radio mobile. Mais ce n’est pas cela la solution définitive. Kédougou mérite un scanner, l’IRM… Un centre de santé qui n’a même pas un groupe électrogène fonctionnel là où il y a des problèmes d’électricité, sans compter les problèmes d’eau », fulmine le patron du Syndicat unique des travailleurs de la santé et de l’action sociale (Sutsas) qui pense que Kédougou mérite un sort meilleur.
A chaque département ses « pathologies »
A l’image de Kédougou et Bignona, chaque département a ses « pathologies» qui lui sont propres. Des pathologies dont le dénominateur commun, c’est l’indigence et le dénuement. Autrement dit, le manque d’équipements. Que ce soit à Matam, à Ourossogui et à Bakel, dans certains hôpitaux du centre du pays et même dans la banlieue dakaroise, les hôpitaux sont logés à la même enseigne du manque de moyens. Si ce n’est pas un problème de spécialiste, c’est un problème de plateau technique qui se pose. Mballo Dia Thiam donne l’exemple de l’hôpital de Youssou Mbargane de Rufisque « qui n’a pas les moyens de ses ambitions ». L’hôpital Dalal Jamm de Guédiawaye aussi. « Il a coûté pas moins de 40 milliards d’investissement, soit près de 32 milliards de génie civil et 16 milliards pour l’équipement. Or Dalal Jam est encore un gros dispensaire. Les hospitalisations y ont commencé il y a deux ou trois mois. Cela dit, sa capacité d’accueil est quasi nulle par rapport à sa situation géographique ».
« Vivre en dehors de Dakar constitue un danger ! » (Un médecin)
Pendant ce temps, « on préfère faire la sourde oreille et la politique de l’autruche », a-t-il martelé. Le Dr Serigne Falilou Samb de renchérir en soutenant que le grand problème au Sénégal, c’est qu’on n’a jamais eu de politique sanitaire mais une politique de soins. « Toutes nos politiques ont été articulées sur la lutte contre les maladies au détriment d’un système sanitaire cohérent et efficient, en confondant la santé, la médecine et la maladie », a dit le gynécologue selon qui « vivre en dehors de Dakar constitue un danger. Au Sénégal, on a un ministère de la « maladie publique », un système qui subit, qui est plutôt réactif et non planifié. Nos dirigeants sont dans l’économie de la santé et non dans la santé de l’économie ». Sur ce point, Mballo Dia Thiam rappelle que son syndicat a toujours soutenu que l’approche maladie n’est pas une approche viable. « Il faut qu’on aille vers une approche sanitaire à la place d’une approche maladie. Parce qu’on ne mettra jamais suffisamment d’argent pour les maladies. En revanche, pour la prévention, on peut en faire autant et réussir ». Le patron d’And Gueusseum estime qu’une politique de santé, « ce n’est ni un chapelet de vœux pieux, ni une verticalisation ou une juxtaposition de programmes encore moins une série de slogans ». Et d’ajouter : « Nous avons toujours été en faveur d’un système de santé performant, cohérent, efficient et mobilisateur. Et nous sommes en phase avec le docteur Falilou Samb » !
Vers la 2ème génération d’hôpitaux de niveau 1
Mballo Dia Thiam propose l’érection de la deuxième génération d’hôpitaux de niveau 1 dans tous les départements du Sénégal. « On avait créé une première génération d’hôpitaux de niveau 1. Il y en avait dix. Or, avec l’Acte 3 de la décentralisation, la région ayant disparu, on doit aller vers la départementalisation des structures. Donc, chaque département doit avoir son hôpital de niveau 2 ou tout au moins de niveau I. Sinon, nous serons confrontés à des évacuations avec les problèmes que nous rencontrons. Parce que la plupart des ambulances ne sont pas médicalisées », a-t-il déploré.
DES MILLIARDS POUR UN SYSTEME TOUJOURS MALADE
L’investissement à hauteur de milliards de francs CFA dans le système de santé n’est qu’une pommade qui ne soulage même la douleur. Tellement celle-ci est atroce. C’est du moins l’avis de Mballo Dia Thiam qui considère que « les milliards investis, c’est beaucoup d’efforts, certes », mais qui restent insuffisants parce que les subventions ne sont pas au prorata des charges. Sur un budget national de 4 000 milliards, la santé ne se retrouve qu’avec à peu près 200 milliards. C’est à peu près 5 à 6 % du budget. Ce alors qu’on devrait se situer à au moins 15 %. « C’est vrai, c’est beaucoup d’efforts. Seulement, la démographie galope, les besoins s’accroissent. D’où l’insuffisance par rapport à nos ambitions. Il y a également l’insuffisance des crédits et des fonds de dotation alloués à ces structures. Lesquelles ne disposent pas non plus de budgets d’investissements pour s’équiper ou se rééquiper ». Quant au Dr Falilou Samb, il estime que « croire que les évacuations sanitaires à l’étranger sont plus rentables que construire et équiper des hôpitaux, bien former ses médicaux et paramédicaux, c’est se tromper de perspective et mettre en péril la vie des Sénégalais ».
Financer et recruter des spécialistes
Alors que M. Thiam pense qu’il y a lieu de financer davantage la santé, de recruter davantage de spécialistes et de procéder à une politique de rétention de spécialistes, Fallou Samb estime que le jour où on aura des dirigeants conscients et responsables qui auront une politique d’équipements, de formation en médecine à haute valeur ajoutée et de planification, la tendance pourrait être inversée et on pourrait garantir une médecine de qualité. Et cela constituerait un investissement sûr pour l’économie par le biais du tourisme médical.