LUEUR D'ESPOIR A TAMBA
Après des années de désespoir, place à l’espoir. Ainsi se résume la vie des femmes porteuses de fistules obstétricales, une maladie qui se caractérise par les contraintes de contenir des urines et des matières fécales.
Après des années de désespoir, place à l’espoir. Ainsi se résume la vie des femmes porteuses de fistules obstétricales, une maladie qui se caractérise par les contraintes de contenir des urines et des matières fécales. De ce fait, ces patientes sont victimes de tous les préjugés. Certaines sont même répudiées par leur époux. Elles vivent en marge dans la société. Heureusement, dans les contrées de Tambacounda, la chirurgie qui a permis de soigner beaucoup de femmes commence à faire reculer les pesanteurs socioculturelles.
Dans les contrées de Tambacounda, une région située à l’Est du Sénégal, la vie d’une dame en âge de reproduction peut basculer lors d’un accouchement. Elles sont nombreuses à être en marge de la société à l’issue d’un accouchement. Rouguiatou Sow fait partie de ces femmes qui ont vécu ce drame. En 2016, elle était dans l’obligation de quitter son village de Diam Welli pour aller accoucher en toute urgence dans une structure sanitaire la plus proche qui était à une dizaine de km. C’est en cours de route qu’elle donna naissance. Sans assistance sanitaire durant le travail. La délivrance a suivi dans un premier temps l’accouchement. La dame chérit son nouveau-né. Mais au fil du temps, elle fera face à la douloureuse réalité : la fistule obstétricale, une pathologie qui se caractérise par une défaillance de retenir les urines et les matières fécales, a été diagnostiquée. Tout bascula pour Rouguiatou Sow. La profondeur de sa souffrance transmet la compassion. « Je ne pouvais même plus prier. Je soufrais dans ma chair et dans mon intimé de femme », confesse-t-elle.
“Les femmes victimes de fistule obstétricale sont incapables de retenir leur urine et leurs excréments, note le docteur Amadou Bayal Cissé, médecin Chef de région de Tambacounda. Rougui vivait cette situation mais n’était pas seule dans ce combat”.
Rougui ne se laisse pas submerger par les préjugés et le regard du voisinage. Elle part d’hôpital en hôpital, elle parcourt des hameaux et des villages à la recherche du remède de cheval. Elle épuise ses maigres économies pour recouvrer sa santé et retrouver sa place au sein de la société. « Je suis épuisée et ruinée par la fistule obstétricale. J’ai vendu presque tous mes biens pour recouvrer la santé. En plus de la médecine moderne, je me suis aussi ouverte à la médecine traditionnelle, et autres guérisseurs, j’ai tapé à toutes les portes pour recouvrer la santé », relate la dame.
Un drame social
Les conséquences de la fistule sont énormes. On perd ses activités et sa sociabilité. Les malades sont mises au banc de la société à cause des préjugés. Elles ne mènent plus des activités génératrices de revenus et les tâches ménagères. Elles se replient sur elles-mêmes. En somme, elles ne vivent pas. « La jeune fille ou la dame qui a cette maladie n'est pas intégrée au sein même de sa famille. Ceci est dû sans doute à l'odeur. Elles sont mal à l'aise. Elles s'isolent souvent pour ne pas se sentir gênantes ou être stigmatisées. Ce qu'il y a de pire c'est qu'il y a des femmes qui sont abandonnées par les maris avec leurs enfants. Ça devient dès lors un problème délicat et c'est la famille d'origine qui est obligée de prendre en charge la victime », a indiqué Amadou Tidiane Diaw, Secrétaire général du comité de lutte contre les violences basées sur le genre dans la région de Tambacounda.
Rouguiatou Sow a eu plus de chance. Elle a eu le soutien de sa famille contrairement à d’autres femmes. « Je n’étais pas stigmatisée par mon mari, il m’a soutenue et accompagnée. Tous les membres de ma famille m’ont soutenue aussi bien dans les soins que dans la prise en charge de mes enfants », a reconnu Rouguiatou Sow. Elle a tenu bon durant trois longues années.
2019, le bout du tunnel, 94 femmes fistuleuses opérées
En 2019, trois ans après son dernier accouchement, elle entreverra enfin le bout du tunnel. Elle a été repérée dans le cadre du projet d'amélioration de la santé et du bien-être de la femme et des jeunes filles des régions du sud du Sénégal. Depuis 2018, on travaille dans l'identification, le référencement et l'accompagnement psychosocial et médical des femmes porteuses de fistule. En tant que prestataire de santé avec des mots clés, on utilise pour repérer les femmes malades et les référer, auprès des structures sanitaires pour confirmation. « Nous organisons des camps pendant lesquels des femmes sont opérées. 94 au total ont subi l’opération depuis l'avènement du projet », informe la dame.
Sous le leadership du médecin-chef de région, ce projet est appuyé par le Fonds des nations unies pour la population (UNFPA) et le projet Canada (projet d'amélioration de la santé et du bien-être de la femme et des jeunes filles des régions du sud du Sénégal). Rougui fait partie des bénéficiaires et elle est aujourd’hui guérie complètement. « Je peux aller jusqu’en Europe si l’occasion se présente » a-t-elle ironisé.
Une réinsertion sociale réussie
En plus de la prise en charge médicale, le projet a facilité l’insertion sociale de Mme Sow. « La réinsertion sociale est importante à travers les activités génératrices de revenus », a expliqué le coordonnateur du projet. Rougui refait sa vie avec une unité de transformation de céréalières. Cette unité est composée de deux machines et d’un réfrigérateur. Les recettes générées par ces activités lui permettent de subvenir aux besoins de ses enfants en termes de médicaments, de fournitures scolaires entre autres. « Avec le moulin et le réfrigérateur, je parviens à subvenir à mes besoins », nous souffle Rougui.
En plus de la réinsertion économique, Rougui participe au repérage des femmes victimes de fistule. « Ma propre sœur victime de la maladie avait été abandonnée par son mari. Je l’ai récupérée et soutenue. Après son opération aussi dans le cadre du projet, l’homme est venu s’excuser. Actuellement, elle a repris sa femme avec la médiation de Ahmadou Tidiane Diaw et le Chef de quartier », raconte-t-elle.
La fistule, une maladie douloureuse,
La fistule obstétricale est une maladie douloureuse. Elle se localise au niveau de l'appareil génital de la femme. Elle survient souvent après un accouchement non assisté et un long travail. Selon le docteur André Yebadokpo, coordonnateur du projet Canada Luxembourg, c'est durant la période de travail, d'accouchement que survient cette pathologie. En effet, explique le docteur, la tête de l'enfant, pour une raison ou une autre reste coincée sur les tissus du vagin et peut les détruire. " La progression de la tête fœtale qui doit sortir pour que tout le corps de l'enfant sorte est bloquée" dit-il.
Quand la vessie, l'utérus et le vagin sont comprimés pendant longtemps, il y a des complications. La durée du travail est alors un facteur à risque. Cette compression de la tête qui est un os par rapport à la vessie, détaille le praticien, fait qu'il y a perte de vitalité. Autrement dit, le sang ne circule pas correctement. La conséquence, cette situation altère des tissus, juste après l'accouchement une ouverture se forme. « La vessie qui ne doit pas communiquer avec l'utérus ou avec le vagin commence par communiquer avec eux, et dans certains cas avec le rectum. S'en suivent ainsi des fuites d'urines ou de matière fécales via le vagin et cela est incontrôlable », renseigne le spécialiste. La défaillance de contenir ses urines et ses matières fécales oblige la patiente à se mettre en marge de la société à ne plus mener des activités génératrices de revenus.
L’alternative face à cette situation, c’est la chirurgie. Elle peut marcher au premier coup d’essai parfois on est obligé de faire trois opérations pour recouvrer la santé et revenir à la vie.