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24 avril 2025
Développement
par Damien Glez
ENTRE DAKAR ET LYON, LE VOL MAUDIT D'AIR SÉNÉGAL
Après l’interruption de leur vol, les passagers ont tenté de finir leur trajet dans un bus qui a pris feu. Une série d’avaries en cascade qui survient au moment où la compagnie aérienne enchaîne les déconvenues
Jeune Afrique |
Damien Glez |
Publication 15/09/2022
Les Africains qui ont connu les années 1990 sont habitués aux compagnies aériennes surnommées « Air peut-être ». Et le Sénégal n’échappe toujours pas à la règle. Il y a les avions qui partiront « peut-être », comme en avril dernier, ceux de l’aéroport international Blaise-Diagne de Dakar confrontés à l’indisponibilité de kérosène. Et il y a les avions partis qui, eux, arriveront « peut-être » à bon port et à l’heure prévue. Des voyageurs partis de Dakar entendaient bien atterrir à Lyon (centre-est de la France) ce dimanche, même si certains superstitieux évitent d’emprunter les airs à la date anniversaire du 11-septembre…
C’était sans compter sur des imprévus que les services de communication d’Air Sénégal ont qualifiés pudiquement de « contraintes opérationnelles ». Le vol devait être direct, il a finalement été écourté, avec Marseille (Sud-Est) comme terminus. La quarantaine de voyageurs impactés se sont alors vus proposer une fin de trajet… en bus. Mais là encore, survient une avarie : vers 15 h, un pneu éclate, le car de tourisme prend feu sur l’autoroute A7, à proximité de la ville de Valence (à 100 km de Lyon), les passagers se réfugient derrière la glissière de sécurité, avant d’embarquer dans un véhicule affrété par l’assistance. Aucun blessé n’est à déplorer.
Toujours pudique et énigmatique, le community manager d’Air Sénégal précise – on s’en serait douté – que les vols « Marseille-Lyon et Lyon-Dakar HC427 » ne sauraient être « effectués selon le programme habituel »…
DEUX MORTS SUITE À UNE ATTAQUE DANS LE NORD DU BÉNIN
Aux premières lueurs de ce mercredi 14 septembre 2022, l’assaut contre un poste douanier de Malanville, dans le nord-est du Bénin, a fait deux victimes. Les autorités se veulent prudentes sur la motivation des assaillants en attendant l’enquête
Aux premières lueurs de ce mercredi 14 septembre 2022, l’assaut contre un poste douanier de Malanville, dans le nord-est du Bénin, a fait deux victimes. Les autorités se veulent prudentes sur la motivation des assaillants en attendant les conclusions de l’enquête.
"Oui il y a eu un incident, mais aucune certitude sur la nature". Interpellé, ce mercredi 14 septembre, en marge de la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement béninois Wilfried Léandre Houngbédji s’est refusé de spéculer sur la caractérisation de terroriste ou non de l’attaque meurtrière intervenue quelques heures plus tôt au nord du Bénin.
Des individus armés s’en sont pris, très tôt, dans la matinée à un poste des douanes de Malanville, ville frontalière du Niger. Le bilan est de deux morts, dont des civils identifiés comme des "collaborateurs informels" des agents préposés à la douane sur place.
Origine incertaine
Aucune indication du nombre d’assaillants impliqués et encore moins de leurs motivations. Le gouvernement évoque "une action de délinquants à moto et armés tentant de s’en prendre à un poste douanier sans protection particulière, contrairement à un commissariat ou à une unité de l’armée".
Wilfried Léandre Houngbédji refuse, par ailleurs, de parler d’attaque djihadiste sans une enquête approfondie. Une partie de la presse locale avait tôt fait d’évoquer cette hypothèse au regard du lieu de l’incident et de son mode opératoire.
Ces derniers mois, les attaques à moto se sont en effet multipliées contre les forces de l’ordre dans la partie septentrionale, alors que le président Patrice Talon tente de vendre le pays comme une destination attrayante aux investisseurs. Une situation d’autant plus inquiétante que le Bénin a longtemps été épargné par la menace terroriste qui est une réalité en Afrique de l’Ouest depuis plusieurs années.
Stratégies d’endiguement
La proximité avec des États confrontés à ce fléau en expansion tels que le Niger ou le Burkina semble avoir fait voler en éclats l’assurance béninoise depuis bientôt un an. L’armée a ainsi été déployée dans le nord, notamment aux frontières, sous le commandement du nouveau chef d’état-major des armées Fructueux Gbaguidi. Ce général nommé début avril 2022 a promis de travailler à la sécurisation de l’ensemble du territoire.
Plusieurs stratégies allant de la sensibilisation des populations au partage d’informations avec des nations voisines ont été mises à l’essai. L’expertise rwandaise anti-djihadiste est également sollicitée.
TOUBA, LA CITÉ SACRÉE OU LE SACRE D'UN RÊVE
La fondation de cette localité par le guide de la communauté mouride, en 1888, pour en faire une cité d’adoration d’Allah, est couverte de mythe et de mystère. Elle est surtout le produit d’un rêve devenu réalité : Touba rayonne de grâces
Portée tout haut par Cheikh Ahmadou Bamba, la cité religieuse de Touba est devenue la deuxième ville du Sénégal en termes de démographie. La fondation de cette localité par le guide de la communauté mouride, en 1888, pour en faire une cité d’adoration d’Allah, est couverte de mythe et de mystère. Elle est surtout le produit d’un rêve devenu réalité : Touba rayonne de grâces.
Entre le Cayor, le Baol et le Sine-Saloum, se trouve la ville religieuse de Touba. Fondée en 1888 par Cheikh Ahmadou Bamba, l’histoire de ses origines est couverte de mythe et de sacré. Elle est intimement liée à celle du Mouridisme. Cheikhoul Khadim l’a fondée pour l’adoration de Dieu, explique Khaly Diakhaté, Président de la section Touba de la Ligue des écoles coraniques du Sénégal. En effet, l’inspirateur de cette communauté dévote a, dans ses périples, découvert cette terre située entre plusieurs royaumes de l’époque : le Cayor, le Baol, le Sine-Saloum et, d’un autre côté, le Ndiambour. Cependant, selon Khaly Diakhaté, ce qui fait la spécificité de Touba est que cette partie n’a été sous domination d’aucun royaume. Elle n’a jamais été annexée par un quelconque royaume. Elle est restée une terre vierge jusqu’à sa découverte par le saint homme. Cheikh Ahmadou Bamba cherchait un endroit non souillé, où il pouvait se consacrer uniquement à l’adoration de son Seigneur et d’être au service du Prophète Mohamed (Psl).
C’est cette quête de la « solitude » pour se consacrer à la prière qui l’a conduit à ce lieu. D’après Serigne Fallou Galass Sylla, quand Cheikh Ahmadou Bamba entrait dans ce site qui est devenu, aujourd’hui, la ville religieuse, l’endroit était une forêt où ne vivaient que des animaux sauvages. Le chercheur sur le Mouridisme renseigne que le Cheikh a fait plusieurs jours dans cette immense forêt. Personne ne savait où il se trouvait. Il y a fait des dizaines de jours à la quête du lieu idéal où il devait ériger sa future cité. Ses proches, très inquiets, sont partis à sa recherche, raconte M. Sylla. En entrant dans la forêt de Touba, ils ont croisé un chasseur qui leur a dit l’avoir vu au pied d’un arbre appelé « sexaw ».
Cité des rêves de Bamba
Pourtant, avant Touba, Cheikh Ahmadou Bamba avait fondé Darou Salam. Malgré l’expansion qu’a connue cette première cité quelques années plus tard, il l’a quittée pour trouver un autre endroit où il pourrait s’isoler pour faire ses dévotions. « Touba n’est pas une terre que Cheikh Ahmadou Bamba s’est échiné à trouver pour y pratiquer l’agriculture ou l’élevage. C’est un endroit réservé exclusivement à la prière, à l’enseignement coranique, à la recherche », explique Ahmadou Ndiaye Nguirane, maître coranique et chercheur.
Celui-ci renseigne que le fondateur de l’une des plus importantes confréries du Sénégal a remercié le Seigneur en ces termes après avoir découvert cette luxuriante forêt qui abrite, aujourd’hui, la ville religieuse de Touba : « Je rends grâce à Dieu de m’avoir conduit vers une terre où il a annihilé mes obstacles ». Après avoir fait la découverte de cette belle terre, le Cheikh lui a donné le nom de Touba. Touba, explique Serigne Fallou Galass Sylla, est un imposant arbre qui se trouve au paradis. « Il couvre toutes les demeures du paradis », renchérit-il. Touba est « la cité de ses rêves ». Un grand temple d’Allah. « L’autorisation de fonder Touba m’a été donnée par le Seigneur », disait Cheikh Ahmadou Bamba, selon ce chercheur.
En effet, Serigne Fallou Galass Sylla raconte que c’est à Touba que le Cheikh a écrit son célèbre panégyrique « Matlabul Fawzeyni » ou « La quête du bonheur des deux mondes ». Dans « Xasida », il a formulé tous ses vœux et prières pour « la ville idéale ». Le Cheikh a prié pour le rayonnement de la ville et de ses habitants, pour que Touba reste une cité bénie, à l’abri des mondanités de ce bas monde.
Demeure éternelle
En s’installant à Touba, rapporte Ahmadou Khadim al-Mountakha, fils de l’actuel Khalife général des Mourides, la cité était dépourvue d’eau. Mais, venu avec la ferme intention d’adorer Dieu le Tout-Puissant, Cheikh Ahmadou Bamba s’est installé. Petit à petit, ses disciples commencèrent à le rejoindre dans sa cité. Sa première demeure, indique Serigne Fallou Galass Sylla, est le site qui abrite, aujourd’hui, la grande mosquée. Par la suite, il en a créé d’autres parmi lesquelles Darou Khoudoss. C’est dans cette demeure qu’il a prêté allégeance au Prophète Mohamed (Psl) et a décidé d’être à son service. Ahmadou Ndiaye Nguirane informe qu’après son installation, il a commencé à mettre en place des « dahiras » pour démarrer l’enseignement du Coran. Le guide de la communauté mouride a dédié toute sa vie au Coran, son livre de chevet. Partout où il se trouvait, il lisait les écritures saintes ou se mettait à écrire.
En fondant Touba, le Cheikh voulait en faire le point de départ d’un changement sociétal avec des compagnons capables de pérenniser son projet de société. Ainsi, Serigne Dame Abdou Rahmane, Serigne Mbacké Bousso, Mame Thierno Birahim et d’autres ont reçu la bénédiction de Khadim Rassoul pour commencer les enseignements religieux dans la cité bénie de Touba. Ses disciples venaient de tous les horizons pour rejoindre la ville religieuse. Cependant, explique Ahmadou Ndiaye Nguirane, Cheikh Ahmadou Bamba n’a pas trop duré dans la ville. Il avait déjà réussi la mission que lui avait confiée son Seigneur : mettre en place cette cité bénie destinée à l’adoration d’Allah. Il quitte la terre de Touba en 1895 sans jamais y remettre les pieds. Mais, son rêve pour le rayonnement de sa cité continuait à se réaliser. Même en exil, raconte le spécialiste de cette cité, il priait pour Touba. De retour en exil, Cheikh Ahmadou Bamba n’est pas revenu dans sa cité. Le grand retour n’aura lieu que le 19 juillet 1927, soit 33 ans après. D’après Ahmadou Ndiaye Nguirane, Cheikh Ahmadou Bamba a toujours prié pour que Touba soit sa demeure éternelle. C’est pourquoi, quand il a rendu l’âme à Diourbel, il a été inhumé, le 19 juillet 1927, sur le site de la Grande mosquée de Touba, car de son vivant, il en avait émis la volonté. « Cheikh Ahmadou Bamba a une fois dit à Mame Thierno Birahim (son petit frère), que c’est ici qu’il le verra pour la dernière fois, en désignant l’endroit où il a été inhumé », rapporte M. Nguirane.
Quatre-vingt-quinze ans après sa disparition, les fondements de Touba, tels que voulu par son fondateur, sont jalousement préservés par ses prédécesseurs. Malgré une urbanisation galopante, l’enseignement coranique et la recherche scientifique restent dominants dans la cité de Bamba. Les mosquées, les écoles coraniques et les espaces dédiés à la recherche poussent comme des champignons. Son projet de société pour cette ville continue de faire son chemin, plus d’un siècle après.
PAR Farid Bathily
LE NIGERIA BANNIT LE RECOURS AUX MODÈLES ÉTRANGERS DANS LA PUB
Le pays d’Afrique de l’Ouest dit non à la représentation des personnes de nationalité étrangère sur ses supports publicitaires. Elles sont également interdites de prêter leur voix en off. La décision vise à promouvoir les talents locaux
À compter du 1er octobre 2022, le Nigeria ne va plus admettre que les mannequins étrangers s’affichent dans les publicités diffusées sur son territoire. Il en sera de même pour les artistes dont la voix est utilisée en off dans les films et autres œuvres cinématographiques.
C’est la décision prise par l’État fédéral à travers un communiqué du 22 août 2022. Le texte signé du Conseil national de régulation de la publicité (Arcon) inclut l’ensemble des supports publicitaires et de communication marketing, audiovisuels ou non.
"Les annonceurs, les agences de publicité, les médias et le grand public sont tenus d'en prendre note", indique le texte d’Arcon, laissant toutefois les contrats publicitaires en cours d’exécution aller à leur terme.
Mettre en avant le savoir-faire local
Selon le régulateur, cette mesure répond à une politique gouvernementale visant à mettre en avant le savoir-faire local afin de favoriser une croissance économique inclusive dans le secteur de la publicité au Nigeria.
Le pays est en effet connu pour son industrie cinématographique (Nollywood) – la deuxième au monde derrière celle de l’Inde – extrêmement dynamique, créative et florissante. Elle a ainsi généré 660 millions de dollars de recettes rien qu’en 2021. Soit plus de 2% du PIB du Nigéria.
Nollywood est si attrayant qu’il suscite de plus en plus la curiosité des acteurs du streaming tels que Netflix ou encore Amazon. Ces géants internationaux n’hésitant pas à y investir de gros moyens.
Mesure diversement appréciée
Le bannissement des modèles étrangers devrait également participer au renforcement du sentiment de fierté nationale autour de la filière du cinéma et de la publicité entre autres dans le pays. "Nous avons plus de 200 millions de visages, de top-modèles et de voix au Nigeria. Êtes-vous en train de me dire qu’aucune de ces voix n’est assez bien pour commercialiser un produit ?", s’est notamment demandé le patron de l’Arcon, Olalekan Fadolapo.
La décision fait énormément réagir les populations. D’aucuns saluent une mesure favorable à l’éclosion des talents locaux. D’autres en revanche dénoncent un protectionnisme mal avisé aux effets potentiellement pervers. "J’espère que vous serez aussi fier quand des Nigérians sont aussi bannis ailleurs", a ainsi moqué un internaute sur Twitter.
"Qu’est-ce que l’accent nigérian ? Comment distinguer exactement la voix éligible à l’usage en off de celle qui ne l’est pas alors qu’une personne de nationalité nigériane peut disposer de plusieurs accents ?", s’est par ailleurs demandé la chaîne de télévision locale de divertissement TVC dans un débat le 23 août 2022.
AUDIO
BIDEN S'ÉVITE UNE CRISE DU RAIL
René Lake revient au micro de VOA sur les implications de l'accord scellé entre l'exécutif, les compagnies ferroviaires et les syndicats. Cela empêche de fait, une grève qui aurait été très préjudiciable à l'économie américaine à l'approche des midterms
René Lake revient sur les implications de l'accord de principe scellé entre la Maison Blanche, les compagnies ferroviaires et les syndicats. Cela empêche de fait, une grève qui aurait été très préjudiciable à l'économie américaine à l'approche des midterms. Il est au micro de Yacouba Ouédraogo sur VOA.
TOUBA A SUIVI LA TRAJECTOIRE DE VIE DE SON FONDATEUR
Cheikh Guèye, géographe et écrivain, s’intéresse à l’articulation entre l’espace et l’identité à Touba. L’auteur de « Touba, la capitale des mourides », aborde plusieurs questions relatives à l’évolution de la ville sainte - ENTRETIEN
Docteur Cheikh Guèye, géographe et écrivain, s’intéresse à l’articulation entre l’espace et l’identité, notamment dans la ville de Touba. Dans cet entretien, l’auteur de « Touba, la capitale des mourides », aborde plusieurs questions relatives à l’évolution de la ville sainte.
Le sacré qui produit une ville. L’exemple de Touba est-il commun dans le monde ?
Cet exemple n’est pas rare. Le sacré produit souvent la ville. D’ailleurs, presque toutes les fondations de cité sont soit précédées, soit accompagnées par le sacré et se définissent par lui. La cité est toujours un mariage harmonieux entre le sacré et le profane qui est également l’autre force motrice de la ville, l’homme étant à la fois matière et esprit. Mais Touba est une ville religieuse et sacrée, la fonction religieuse est essentielle et a la particularité de peser sur tout le reste. C’est elle qui engendre l’organisation spatiale, la gestion urbaine, les principaux évènements (magals et célébrations), la vie quotidienne, etc. En cela, Touba se rapproche des autres grandes cités religieuses comme La Mecque, Homs ou encore le Vatican.
La notion de ville religieuse dépend également de la genèse, des paysages, des représentations, des fonctions. La fonction fondatrice du mythe et du sacré est sans doute importante pour la caractériser. Touba est le reflet et la capitale d’une confrérie soufie musulmane, avec des traits de caractère purement sénégalais et c’est cela qui fait son originalité en tant que cité sacrée dans le monde.
Touba, dont le site a été découvert en 1887, est la troisième fondation de Cheikh Ahmadou Bamba après Darou Salam et Darou Marnane. Mais cette fondation revêt une signification particulière par rapport à toutes les autres fondations. Elle entre dans la série de tentatives de création de retraites spirituelles personnelles (comme Darou Salam) ou de prise en charge des nouveaux disciples, qui ont imprimé le sacré dans cet espace constituant le cœur du pays mouride. Mais elle est surtout perçue par le fondateur comme le signe d’une révélation qui, avec d’autres faits, notamment la « rencontre » avec le Prophète, marque l’aboutissement de sa recherche mystique.
La fondation est donc le fait d’un agent religieux et a un sens religieux, mystique et soufi. Déjà, avant la fondation proprement dite, Touba était d’abord un mythe, un rêve, celui d’un ascète tout tourné vers le recueillement et la contemplation. Entre cette découverte-fondation et la concession foncière faite par les autorités coloniales pour la construction de la mosquée, Touba a suivi la trajectoire de vie de son fondateur qui, malgré exils et « résidences surveillées », a multiplié les efforts pour que le rêve se réalise.
Quelle est la part de légende dans le récit mouride de la création de Touba ?
Cette part de légende est très importante et est une composante de la production de la sacralité et de la sainteté. Toutes les versions considèrent la découverte-fondation de Touba comme un moment d’inspiration divine. Trois ans après la fondation de Darou Salam, le Cheikh reçoit l’ordre de fonder Touba, à la suite d’une retraite spirituelle (khalwatou) de 30 à 40 jours au pied d’un « sékhaw » (combretum micrantum), situé aujourd’hui à l’est de Ndame et ayant donné son nom à un grand quartier. Depuis ce moment, il n’avait plus d’autres soucis que de découvrir Touba. Disparu dans la brousse pendant plusieurs jours et arrivé à l’emplacement actuel de la mosquée où il y avait un grand arbre « bepp » (sterculea), il eut la révélation et ceintura littéralement l’arbre en s’écriant « Voici l’arbre de la félicité (Tuubaa) ! ». C’est au pied de cet arbre qu’un chasseur peulh du nom de Boubou Dia le découvre et avertit disciples et parents qui étaient déjà à sa recherche. Cette version de la légende de la fondation est la plus fréquemment racontée et également la plus proche de la réalité.
Quelle est l’origine du fameux « titre foncier » de Touba ?
Le titre foncier de Touba constitue l’instrument juridique de sécurisation de la propriété issue du « droit de hache » que détient collectivement la famille de Cheikh Ahmadou Bamba depuis 1887. Il devait permettre de protéger la ville contre toute tentative d’appropriation juridique externe à la confrérie aujourd’hui et dans le futur. Un événement décisif pour la légitimation juridique de ce statut particulier survient le 17 septembre 1928 : « un bail dit de longue durée pour une période de 50 ans et concernant un terrain rural ayant la forme d’un carré parfait d’une superficie de 400 hectares sis sur la route allant de Mbacké à Sagata à une distance d’environ 8,5 kilomètres de Mbacké » est accordé par le Gouverneur de la colonie à Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké. Cette première concession foncière est reconnue unanimement comme étant à l’origine foncière et territoriale du statut particulier de Touba.
Le titre foncier de Touba existe donc bel et bien. Immatriculé au nom de l’État colonial, puis sénégalais, sous le numéro 528, il englobe la grande mosquée et s’étendait sur 400 ha autour. Il a été établi le 11 août 1930 sur réquisition du Gouverneur général de l’Afrique occidentale française (Aof) et était conservé au Service des Domaines de Diourbel.
Pouvez-vous nous toucher un mot sur les principales séquences de l’évolution démographique de Touba ?
Entre 1970 et 1976, la population est passée de 6 427 à 29 738 habitants, soit un taux de 29 % par an pendant six années. Cette croissance exceptionnelle exprime un autre tournant décisif, l’accession au khalifat de Serigne Abdoul Ahad qui voit l’explosion urbaine de Touba, après ses appels répétés au peuplement et l’impact de la sécheresse. Dans cet ordre d’idées, la mise en place d’infrastructures a également joué un rôle important. Leur construction a rendu la ville « vivable » et attiré, de manière permanente ou saisonnière, les populations du pays toubien. Serigne Abdoul Ahad est, sous ce rapport, l’initiateur du peuplement massif de la ville dans sa configuration actuelle.
Entre les deux recensements généraux de 1976 et de 1988, la population de Touba s’est accrue de 12,7 % par an, passant de 29 738 à 125 127 habitants. Cette période correspond à l’une des phases majeures de l’explosion urbaine, malgré la baisse relative du taux d’accroissement par rapport à l’ensemble de la période 1958-1988. Elle a vu la ville acquérir ses principales infrastructures, s’étaler par des lotissements massifs, intégrant plusieurs villages satellites. L’accroissement naturel, l’immigration et l’apport des villages intégrés en sont les principaux déterminants.
Mais les statistiques sur la population de Touba font l’objet d’un grand doute scientifique qui interroge les méthodes, les auteurs et les moments des recensements. Depuis 2000, c’est l’incertitude totale sur les chiffres des populations de Touba qui s’étalent, selon les sources et les estimations, entre 500 000 et 2 000 000. Si Touba est devenue la deuxième agglomération du pays après Dakar, elle le doit à une croissance démographique continue et exceptionnelle sur une longue durée.
Quels sont, aujourd’hui, les principaux défis de ce que certains appellent « un village urbain » ?
Je conteste cette notion de village urbain qui est passéiste et ne correspond en rien à ce que la cité de Touba est devenue, c’est-à-dire une métropole qui étend ses tentacules vers tous les points cardinaux. Elle a tellement grandi que ses besoins sont nombreux et complexes et demandent une mobilisation de moyens plus importants de la part de l’Etat, de la commune de Touba et de tous les « dahiras » qui prennent leurs parts dans les investissements énormes attendus. L’exemple de Touba Ca Kanam, qui investit des milliards depuis cinq ans, représente une spécificité toubienne. Il a été précédé par des « dahiras » comme Matlaboul Fawzeyni, Hizbut Tarkhiyya qui ont ouvert la voie d’une participation plus importante des « dahiras » dans l’urbanisation et la gestion de la cité. Ils tentent de répondre aux principaux défis que sont les infrastructures et équipements d’éducation et de santé, l’accès à l’eau et à l’assainissement, l’hygiène et la gestion des déchets, la sécurité, la gestion des eaux pluviales, la lutte contre le chômage des jeunes et la précarité sociale, etc.
Comment envisagez-vous son avenir dans ce contexte de mondialisation et d’expérimentation de nouvelles libertés face aux interdits (alcool, prostitution, jeux de hasard…) ?
Comme toutes les villes, Touba fait face à la révolution numérique et aux bouleversements économiques et sociétaux que génère la mondialisation. Sa jeunesse est tout aussi exposée aux flux d’informations et d’idées qui passent par les réseaux sociaux et Internet. Et les relations entre marabouts et disciples vont beaucoup changer. Mais la ville de Touba, du fait de son identité religieuse et de ses valeurs spirituelles issues des enseignements de Cheikhoul Khadim, est un espace de résistance à la mondialisation et constitue une échappatoire par rapport aux tentations de l’alcool, du tabac, de la prostitution, des jeux de hasard, de la musique profane, etc. Touba est la première ville non-fumeur, non alcohol (sans alcool) du monde. Le contexte actuel valide en quelque sorte les choix d’interdiction du visionnaire qu’était Serigne Abdoul Ahad qui aident tous les Toubiens à se protéger contre la mondialisation débridée et ses effets dévastateurs sur les croyances et les âmes.
PAR Farid Bathily
HOUSE OF THE DRAGON, LE PRÉQUEL QUI VEUT DÉTRÔNER GAME OF THRONES
La série télévisée américaine diffusée depuis le 21 août 2022 suscite un grand engouement. Et les records d’audience de ses débuts rappellent à bien des égards l’œuvre à succès dont elle est dérivée
Depuis bientôt deux semaines, la série télévisée House of the Dragon (La Maison du dragon) mobilise plusieurs millions de téléspectateurs à travers le monde. L’œuvre diffusée de façon hebdomadaire à raison d’un épisode d’une heure environ tous les dimanches sur la chaîne de télévision américaine HBO, n’a pas seulement conquis le public des États-Unis.
Tout le monde ou presque en parle sur les réseaux sociaux et au-delà. Et l’heure tardive de la diffusion pour les personnes se trouvant hors du continent américain notamment (21 heures sur la côte Est, soit en pleine nuit en Afrique et en Europe) ne semble pas être un obstacle pour son audience.
Magnifique saga
Les deux premiers épisodes ont cumulé 20 millions de téléspectateurs aux États-Unis, selon l’annonce de HBO quelques heures seulement après la diffusion du second. Ce dernier vu par 10,2 millions de personnes réalise même une progression d’audience de 2% par rapport à l’épisode inaugural dont les chiffres représentaient déjà le record de lancement dans l’histoire de la chaîne de télévision cryptée. À cela s’ajoutent les téléchargements illégaux dont l’ampleur reste insoupçonnée.
Un tel engouement fait penser à Game of Thrones (GOT) ou Le Trône de fer en français dont la série est le spin-off. Adaptation du livre mythique "Feu et Sang" de George R. R. Martin, House of the Dragon raconte en effet les coulisses de la perte d’influence des Targaryens, une dynastie qui a longtemps régné sur le trône de fer grâce à ses dragons entre autres, avant d’en être dépossédé sur fond de rivalité familiale. La succession du roi Viserys Targaryen (Paddy Considine) étant l’objet d’une lutte d’influence entre son frère Daemon (Matt Smith) et sa fille Rhaenyra (Emma D'Arcy) disqualifiée de fait dès la naissance à cause de son sexe.
Sur les traces de GoT
"Voici la vérité que personne n’a jamais eu le courage de vous dire : ils aimeraient mieux mettre le royaume à feu et à sang que de voir une femme s’asseoir sur le trône de fer", lance notamment Rhaenys Targaryen (Eve Best), appelée "reine qui ne l’a jamais été", à la princesse dans l’épisode 2.
House of the Dragon est une magnifique saga, à l’image de Game of Thrones. D’un réalisme bluffant au plan visuel, la fiction lève le voile sur le patriarcat autour de la royauté. La réalisation y a par ailleurs mis les moyens, à raison de 200 millions de dollars prévus pour les dix épisodes de cette première saison.
Il reste à voir si cet emballement du début se traduira à terme en un succès comparable à celui de GOT. Cette dernière diffusée entre avril 2011 et mai 2019 – soit huit en saisons au total –, est en effet auréolée de plusieurs récompenses dont des Emmy Awards dans la catégorie série dramatique. Elle figure également dans le top 100 des séries les mieux écrites de l’histoire de la télévision, selon le syndicat des scénaristes américains.
HBO a en tout cas d’ores et déjà annoncé le renouvellement de House of the Dragon pour une deuxième saison. Et cela pourrait bien ne pas être la dernière.
APPRENTISSAGE DU CORAN À TOUBA, LE LEGS DE BAMBA RÉSISTE AU TEMPS
Depuis quelques années, les apprenants sortis des écoles coraniques de Touba s’illustrent dans les concours nationaux et internationaux de récitation du Coran. La cité religieuse semble récolter les fruits de l’attachement de son fondateur au livre saint
Le temps de la consécration ! Depuis quelques années, les apprenants sortis des écoles coraniques de Touba s’illustrent de fort belle manière dans les concours nationaux et internationaux de récitation du Coran. Au-delà d’un modèle bien huilé, la cité religieuse semble récolter les fruits de l’attachement de son fondateur au livre saint.
Barbe soigneusement peignée, voix basse, marche lente au milieu de centaines d’apprenants, Serigne Amdy Moustapha Diop a ouvert l’école coranique Daroul Habi. Elle compte 330 pensionnaires. M. Diop ne vit que par le Coran. Ses enfants et ses épouses consacrent leur temps à l’apprentissage et à l’enseignement des saintes Écritures. Mais, pour lui, c’est le même modèle qui est répercuté partout à Touba : « C’est une histoire d’amour entre le fondateur du mouridisme et le Coran qui se perpétue ». On y répertorie 1500 daaras pour un total de près 157.000 apprenants. Si l’on en croit le représentant de la Ligue des écoles coraniques du Sénégal, section Touba, Khaly Diakhaté.
Malgré une urbanisation galopante, une modernisation à plusieurs niveaux, Touba est restée très attachée au Livre saint. Mais pour Serigne Ahmadou Bamba Al-Khadim Mountakha Mbacké, c’est le fruit de l’amour particulier que Cheikh Ahmadou Bamba accordait au livre saint. « Il s’est beaucoup sacrifié quand il devait apprendre le Coran. À l’époque, il lui arrivait d’écrire des exemplaires pour les revendre et acheter d’autres ouvrages. C’était sa vie, son passe-temps… C’était sa plus grande richesse. Il n’avait d’yeux que pour le Coran. À Touba, l’accent a toujours été mis sur le Coran avant l’insertion professionnelle. C’est ce qui explique le succès. Malgré les nombreuses évolutions, l’enseignement est resté traditionnel », soutient-il, fier de ce lien de ferveur.
1500 daaras
Au Sénégal, en Afrique ou dans le monde, plusieurs distinctions sont revenues à des apprenants venant de Touba. Pour Serigne Khalil Mbacké, petit-fils de Serigne Saliou Mbacké, il y a une part de baraka. Selon lui, il arrive très souvent que les maîtres coraniques rencontrent des apprenants qui sont dotés d’une capacité de mémorisation hors norme. Les récompenses ne se comptent plus. Les représentants de Touba raflent tout. Lors de l’édition 2022 du concours Senico, du premier au quatrième, le neuvième et le dixième sont tous issus de Touba. En Côte d’Ivoire, Abo Niasse est sorti premier, à Dubaï, le représentant de Touba est sorti deuxième sur 63 pays, d’après Serigne Khaly Diakhaté. D’après le représentant de la Ligue des maîtres coraniques de la section Touba, c’est une tradition dans la ville sainte, même s’il reconnaît une plus grande médiatisation des concours ces dernières années.
« C’est comme la mousse, elle ne vient jamais seule. La mission du Prophète, par exemple, s’est terminée après la descente du Coran. Mais avant son rappel à Dieu, il a tenu à rappeler l’importance du Coran et la nécessité de dupliquer le modèle partout à travers des écoles coraniques. C’est devenu une tradition dans notre religion », soutient-il.
D’après lui, en serviteur proclamé du Prophète, Serigne Touba a fait de ce legs le sien. Il en a fait l’essence de son existence. « Au-delà des recommandations obligatoires, toute sa vie tournait autour du Coran. C’était sa vie. Il a dit que son rapport avec le Coran, c’est comme le non-voyant et son guide. Il a non seulement appris, mais il l’a enseigné. Il avait des personnes qui ne s’occupaient que de l’écriture, d’autres que de la lecture, avec des exigences très fortes. Pendant plus de 50 ans, il a vécu ainsi. Tout était Coran. Lui-même le disait, le Coran était devenu mélangé à tout ce que je faisais. C’est devenu presque une affaire de sang », a-t-il révélé.
Selon Khaly Diakhaté, Serigne Modou Diop Dagana, un des plus grands narrateurs de la vie de Serigne Touba, a raconté une anecdote qui en dit long sur cet amour entre le Cheikh et le Livre saint. Un jour, dit-il, un Maure, doté d’une grande habileté dans l’écriture du Coran, informé des montants que Serigne Touba était prêt à mettre pour un livre bien écrit, a tout simplement décidé d’en faire son gagne-pain. « Il écrivait et vendait à Serigne Touba au prix fort. Il était un amoureux inconditionnel du Coran. Tous ceux qu’il a formés ont ouvert des écoles coraniques partout pour promouvoir l’apprentissage des saintes Écritures », souligne-t-il. Le lancement, cette année, du Grand prix international Cheikh Ahmadou Bamba pour le Saint Coran, qui réunit diverses nationalités, illustre parfaitement cet amour pour le Livre saint dans la cité religieuse.
La « parole » aux sourds-muets
Dans un modeste daara situé à Jannatul Mahwa (Touba), des sourds-muets sont initiés à l’apprentissage du Coran. Le précurseur est Serigne Amdy Moustapha Diop dont le fils souffre de ce handicap.
Au troisième étage d’un bâtiment quelconque dans le quartier Jannatul, le calme est plat. L’endroit semble inoccupé tant le silence est profond. Chose rare dans une école coranique. Ici, les apprenants sont assez particuliers. Ils sont des sourds-muets. Un handicap qui ne les empêche guère d’exceller dans l’apprentissage du Livre saint. Ils forment de petits cercles autour de leur maître. Ce matin, ils font trois groupes. Un pour les filles, un pour les débutants, un autre pour les plus anciens. Ce dernier groupe est sans doute le plus impressionnant. Même l’enseignant est sourd-muet. Alors, comment initier des sourds-muets à l’apprentissage du Coran ? Comment savoir s’ils ont maîtrisé les choses ou pas ?
C’est le précurseur lui-même qui explique la méthode. « Au début, on les aide à identifier les lettres, ensuite les syllabes. Puis, on leur fait écrire sur un grand plat couvert de sable. Ils te montrent qu’ils ont maîtrisé quand ils réussissent à écrire correctement, en respectant l’accentuation », explique Serigne Amdy Moustapha Diop. Depuis un certain temps, les ardoises numériques sont en train de suppléer les plats remplis de sable. Elles permettent un apprentissage plus rapide.
Mourtalla, le déclic
Marié à un proche parent, Serigne Amdy Moustapha Diop savoure la naissance de son premier fils. Le jeune Mourtalla grandit. Mais au moment d’apprendre à prononcer ses premiers mots, son père se rend compte que son fils est un sourd-muet. « On m’a dit que c’est la conséquence de la consanguinité. Sa mère est un parent très proche », explique le pater. Fervent croyant, il accepte la Volonté divine. Mais pour lui, il était hors de question de ne pas initier son fils à l’apprentissage du Coran, même s’il ignore encore par quel moyen : « Je savais qu’il fallait qu’il apprenne ».
Il décide alors d’expérimenter la méthode du plat avec du sable. Le résultat l’impressionne, selon ses propres mots. « C’est grâce à cette méthode qu’il a écrit trois exemplaires du Coran à main levée », révèle-t-il. La méthode commence à faire le tour de la ville sainte. Ses collègues maîtres coraniques le supplient d’amener son fils à un célèbre concours de récital. « Au début, j’étais réticent, mais j’ai par la suite compris que c’était une bonne idée. Les gens ont compris qu’il était possible d’initier un sourd-muet à l’apprentissage du Coran, comme cela se fait avec l’enseignement moderne. Je me suis rendu compte que personne ne connaissait l’existence de cette méthode », confie-t-il.
Aujourd’hui, Mourtalla est en train de perpétuer le modèle de fort belle manière, beaucoup mieux que son père. Selon ce dernier, la transmission est beaucoup plus simple entre sourds-muets. Il encadre dans l’école coranique de son père beaucoup de jeunes sourds-muets.
YOUSSOU DIOP, LE SERVITEUR DÉVOUÉ
Entre le responsable moral de Hizbut Tarqiyyah et son défunt prédécesseur, Serigne Atou Diagne, c’est un compagnonnage de près de 40 ans. Son parcours, son histoire avec la « dahira » et son sens du sacrifice ont fait de lui son successeur naturel
Entre le responsable moral de Hizbut Tarqiyyah, Serigne Youssou Diop, et son défunt prédécesseur, Serigne Atou Diagne, c’est un compagnonnage de près de 40 ans. Son parcours, son histoire avec la « dahira » et son sens du sacrifice ont fait de lui son successeur naturel. Récit de vie d’un homme au service de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké.
« Indigent spirituel, disciple de Cheikh Ahmadou Bamba qui ne loue en lui que la faveur imméritée qu’il a eue de son Seigneur d’être compté parmi les membres de ce cercle de bienheureux dénommé Hizbut Tarqiyyah et à l’endroit duquel il se sentira éternellement redevable ». C’est en ces termes que Serigne Youssou Diop, responsable moral de Hizbut Tarqiyyah, se décrit dans un livre hommage-témoignage dédié à son défunt prédécesseur, compagnon, inspirateur et aîné, Serigne Atou Diagne. Des propos touchants, mais qui prouvent à suffisance comment la vie de Serigne Youssou Diop se confond à l’histoire de cette « dahira ». C’est un témoignage, dit-il, en avant-propos de son ouvrage « qu’il destine à un aîné qui a tout fait pour lui pendant plus de 38 années ».
Arrivé dans la « dahira » en 1983, alors qu’il n’avait que 19 ans, le natif de Rufisque et originaire de Dagana trouve tout de suite ses marques : « J’habitais à deux rues du siège qui était à la Sicap rue 10. Mais, à chaque fois que je les entendais chanter les panégyriques, j’avais des frissons. J’étais dans une autre dimension. J’ai tout de suite senti que c’est ici que je pouvais étancher ma soif de servir Serigne Touba et c’est tout ce qui m’intéressait ». Exit son Bep en Comptabilité. Pour lui, rien d’autre ne comptait désormais, si ce n’est suivre cette voie et y consacrer sa vie. C’est ainsi qu’il devient membre permanent en 1984.
Le continuum
Ici, il trouve le premier permanent de la « dahira », le défunt Serigne Atou Diagne, ce diplômé de l’École normale supérieure qui a sacrifié sa carrière de professeur pour être au service exclusif de Cheikhoul Khadim. Leurs chemins ne se sépareront qu’au rappel à Dieu, le 22 janvier 2021, de celui qu’il a remplacé. « Pendant les 38 ans que nous avons passés ensemble, il m’a inspiré. Il avait compris le sens du sacrifice. C’était un modèle pour moi. Je peux témoigner de sa sincérité. Trente-huit années de parcours durant lesquels je n’ai jamais vaqué à une occupation autre que la sienne. Il me faisait entièrement confiance », confie-t-il, la voix grave.
C’est cet homme qui l’a façonné. En des termes plus touchants, il est écrit, dans son ouvrage (avant-propos) : « Il fut pour lui un tuteur, un modèle, un compagnon de même but, un éducateur qui a su l’encadrer sans relâche et annihiler en lui toutes les traces et séquelles d’une enfance tumultueuse passée au cœur de la capitale sénégalaise et qui ne présageaient en rien un avenir de soumission intégrale à la cause du Mouridisme ou une assimilation de valeurs islamiques authentiques, encore moins des responsabilités les plus minimes dans le service si sanctifiant de notre vénéré guide, Khadimou Rassoul ». Un compagnonnage connu de tous. C’est donc tout naturellement que le Khalife général des Mourides le désigne comme son successeur : « Il ne m’a même pas consulté. Je n’y ai jamais pensé ».
Les « Xassaïd » et la machine à boules
Sitôt arrivé, sitôt impliqué. Alors qu’il était encore novice dans la « dahira », Serigne Youssou Diop se voit coopter dans une mission aussi noble que prestigieuse. Alors Khalife général des Mourides, Serigne Abdoul Ahad Mbacké recommande la traduction de certains poèmes en français. La commission pour ce travail était dirigée par feu Serigne Atou Diagne avec l’appui de Serigne Sam Mbaye. Serigne Youssou Diop, fort de ses notions en dactylographie acquises lors de sa formation en comptabilité, se charge de la saisie. « C’était en 1984. Nous avions une machine à boules de marque Ibm. Ensuite, on les amenait en reprographie. C’est comme cela qu’on avait travaillé sur plusieurs poèmes. Il n’y avait pas autant de machines à l’époque », se souvient-il en brandissant des exemplaires de ces saisies d’une autre époque.
Si sa désignation comme successeur de Serigne Atou Diagne n’a souffert d’aucune contestation, c’est en partie parce que la vie de Serigne Youssou Diop se confond à celle de la « dahira » au service de laquelle il s’active depuis ses 19 ans. Aujourd’hui, il en a 58.
Secrétaire permanent, Secrétaire général, Superviseur de la Coordination technique centrale, Responsable de l’Institut international d’études et de recherches sur le Mouridisme (Iierm) créé en 2006, Serigne Youssou a gravi « tous les échelons », toujours aux côtés de son aîné, Serigne Atou. Il devient, par la suite, responsable de la mise en œuvre des mécanismes financiers dans les cellules ainsi que dans la supervision de la Direction des études techniques et des grands projets d’aménagement de Hizbut Tarqiyyah, avant d’être désigné Responsable du Comité directeur chargé de la préparation du grand Magal de Touba au sein de cette célèbre « dahira ».
Dans le domaine des Technologies de l’information et de la communication, il a été chargé de l’implantation de l’imprimerie au « daara ». Il a acquis une solide expérience en tant que Chef de projet de la mise en place du Système d’information et de gestion des membres de Hizbut Tarqiyyah et de l’intranet. Avant d’être Responsable moral, il a été, pendant longtemps, Secrétaire général de la Direction générale de Hizbut Tarqiyyah, en charge des dossiers de la coopération et des partenariats.
L’Organisation islamique du Mouridisme, Hizbut Tarqiyyah (ex-« dahira » des étudiants mourides de Dakar), a été fondée au cours de l’année académique 1975-76, sous le khalifat de Serigne Abdoul Ahad Mbacké, troisième Khalife général des Mourides. La trajectoire de vie de Serigne Youssou Diop est intimement liée à cette illustre institution qu’il continue de servir avec ferveur.
À L'ORIGINE DU TITRE FONCIER DE TOUBA
Après une dernière extension, en 2005, sous Serigne Saliou Mbacké, beaucoup d’habitations se trouvent en dehors du tracé du titre foncier. Il se pose, dès lors, le débat sur l’élargissement de cette assiette foncière
D’un bail signé, en 1930, par l’autorité coloniale, la cité religieuse jouit d’un Titre foncier au nom de Cheikh Ahmadou Bamba. Après une dernière extension, en 2005, sous Serigne Saliou Mbacké, beaucoup d’habitations se trouvent en dehors du tracé du Titre foncier. Même si Touba bénéficie d’un statut d’exterritorialité, il se pose, dès lors, le débat sur l’élargissement de cette assiette foncière.
Quel endroit est mieux indiqué que Bëyti pour conter l’histoire du Titre foncier de Touba ! La demeure est située non loin de la Grande mosquée. Tout un symbole. Juste après la prière de l’Asr (Takusan), Serigne Ousmane Mbacké, fils de Cheikh Mbacké Gaïndé Fatma, et quelques disciples s’y retrouvent. Une demeure majestueuse. La vaste cour est bien nettoyée avec son sable fin et propre. Des nattes sont étalées à même le sol. Le chef religieux, par ailleurs Coordonnateur du Comité d’organisation du grand Magal de Touba, et les disciples y prennent place autour d’un sachet rempli de cacahuètes. Le café Touba est aussitôt servi à volonté. Bëyti est un pan important de l’histoire de Touba, la cité de Cheikh Ahmadou Bamba. Ville emblématique, ville sainte, « ville idéale » fondée par Cheikh Ahmadou Bamba, Touba est devenue la deuxième plus grande ville du Sénégal en termes de population.
Cependant, ce qui fait la spécificité de Touba est qu’elle bénéficie d’un statut d’exterritorialité. Touba est un Titre foncier au nom de Serigne Touba, précise d’emblée Ahmadou Ndiaye Nguirane, tasse de café Touba à la main. Maître coranique, mais aussi chercheur mouride, M. Nguirane informe que cette cité est le deuxième village fondé par Cheikh Ahmadou Bamba après Darou Salam. Cependant, ce qui fait sa spécificité est que son fondateur voulait en faire une ville religieuse, un endroit pour adorer Dieu. « Ce n’est pas une terre qu’il a cherchée pour développer l’agriculture ou l’élevage. C’est Dieu qui l’a guidé vers cette terre. Dans Matlabul Fawzeyni, il a formulé tous ses vœux pour cette ville. Son projet était de faire de Touba une ville de recherches, d’enseignement et d’apprentissage des saintes écritures, un endroit pour former des hommes, un capital humain », informe Ahmadou Ndiaye Nguirane.
Serigne Moustapha Mbacké, le bail et les 5 millions
Même si Cheikh Ahmadou Bamba n’a pas vécu très longtemps dans la cité religieuse, cette ville lui tenait à cœur. Depuis le Gabon, où il était exilé par le colon, il priait pour son retour à Touba, sa « ville idéale ». Mais, d’après M. Nguirane, depuis son départ de Touba, en 1895, Cheikh Ahmadou Bamba n’y est pas revenu. Cependant, dans ses écrits, il continuait à prier pour le rayonnement de cette ville. Le grand retour n’aura lieu qu’en 1927 quand il a rendu l’âme. Il a été inhumé dans sa première demeure de Touba conformément à son vœu.
Après sa disparition, en 1927, la principale préoccupation de son fils, Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké, par ailleurs son premier Khalife, était de sécuriser le foncier de Touba pour mieux mettre en œuvre les projets de son défunt père. L’un des plus grands était la construction de la Grande mosquée de Touba. Dès 1928, Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké a commencé les démarches pour obtenir des papiers permettant d’avoir un titre de propriété sur le lieu où sera érigée la future mosquée, rapporte le chercheur mouride. « C’est le 11 août 1930 qu’il a obtenu un titre de bail avec des papiers à l’appui. Le bail s’étendait sur une superficie de quatre km2, c’est-à-dire 400 hectares. La mosquée en était le point de départ. Toute cette superficie lui appartenait », renseigne le spécialiste de l’histoire du Mouridisme.
Serigne Mouhamadou Moustapha a mis le bail au nom de Cheikh Ahmadou Bamba. « Pourtant, il pouvait y mettre son nom, car c’est lui qui a mené toutes les démarches », relate Ahmadou Ndiaye Nguirane. Selon lui, le premier Khalife de Serigne Touba avait dépensé environ cinq millions de FCfa à l’époque pour entrer en possession du fameux papier. Après avoir obtenu le bail qui s’étendait sur 50 ans, il pouvait ainsi lancer le gigantesque projet de construction de la Grande mosquée de Touba. Celle-ci est devenue, aujourd’hui, l’un des plus grands lieux de culte du Sénégal. De loin, on peut apercevoir les minarets de cet édifice qui est symbole de la capitale du Mouridisme. Il est, par excellence, le point de départ de l’histoire de la capitale du Mouridisme.
Cheikh Mbacké Gaïndé Fatma et le Titre foncier
Après cette première concession foncière, Touba a multiplié les démarches. Finalement, c’est sous le khalifat de Serigne Abdoul Ahad Mbacké que le bail a été modifié en Titre foncier. D’après Ahmadou Ndiaye Nguirane, Cheikh Mbacké Gaïndé Fatma a mené toutes les démarches jusqu’à l’obtention du Titre foncier de Touba. Celui-ci, dit-il, est aussi le maître d’œuvre du lotissement de la ville sainte. Même si le Titre foncier-mère s’étend seulement sur quatre kilomètres à la ronde à partir de la Grande mosquée de Touba, Ahmadou Bamba Al-Khadim Mountakha Mbacké, fils du Khalife général des Mourides, renseigne que le Titre foncier a connu, par la suite, un élargissement du fait de la forte poussée démographique de la ville religieuse. Les limites du Titre foncier, confirme Ahmadou Ndiaye Nguirane, ont été élargies en 2005. Cette extension, précise-t-il, s’étend sur un rayon de 15 km à la ronde. « Les bornes montrant les limites du Titre foncier étaient implantées partout », renchérit-il.
Après 2005, vers une nouvelle extension ?
Entre 2005 et maintenant, la ville religieuse a connu une forte poussée démographique. Des villages comme Ndindy, Darou Karim et Sam sont tous rattachés à Touba. Beaucoup d’habitants se sont installés dans les périphéries de la ville, sous la bénédiction du Khalife général des Mourides. « Ceux qui habitent, aujourd’hui, derrière le Titre foncier sont tous de Touba », fait savoir Fallou Galass Sylla. Il souligne qu’il faut penser à un nouvel élargissement du Titre foncier. Ahmadou Ndiaye Nguirane est aussi du même avis. « Je pense qu’il est temps d’avoir une nouvelle extension, car la ville s’agrandit de jour en jour », dit-il. Mais, pour Serigne Fallou Galass Sylla, il n’y a pas lieu de s’inquiéter ; si une nouvelle extension s’impose, l’actuel Khalife va très vite s’en occuper avec les autorités compétentes.