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23 avril 2025
Diaspora
TEMPÊTE DANS LES MONTAGNES LOZÉRIENNES
Jean-Luc Mélenchon, en voulant célébrer la richesse littéraire antillaise, a involontairement offensé tout un département. Ses paroles ont ravivé le débat sur la place des zones rurales dans le paysage culturel français
(SenePlus) - Jean-Luc Mélenchon, leader charismatique de La France Insoumise, est connu pour ses déclarations provocantes. Lors de la récente université d'été de son parti dans la Drôme, il a une fois de plus fait parler de lui en comparant la Martinique et la Lozère d'une manière qui a suscité l'indignation chez de nombreux Lozériens.
Dans son discours, Mélenchon a vanté les mérites intellectuels de la Martinique, déclarant : "La Martinique, lieu assez spécial et tout petit endroit. Malgré tout, ils sont 300 000, et pardon pour les autres, les Guadeloupéens, et ils ont toujours cultivé un certain sentiment d'élite intellectuelle. Il a ensuite énuméré plusieurs écrivains martiniquais de renom, tels que Franz Fanon, Aimé Césaire, Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau.
Cependant, c'est la comparaison directe avec la Lozère qui suscité la polémique. Mélenchon a ainsi affirmé : "En Lozère, vous n'avez pas ça, vous avez juste qu'à vous en rendre compte." Cette déclaration a été perçue comme une attaque gratuite envers le département le moins peuplé de France.
La réaction des habitants de la Lozère ne s'est pas fait attendre. Sur les réseaux sociaux et les ondes de France Bleu Gard Lozère, de nombreux Lozériens ont exprimé leur mécontentement. Une auditrice a déclaré : "Nous n'avons pas besoin de lui pour savoir qui nous sommes", reflétant un sentiment de fierté locale et de rejet des commentaires de Mélenchon.
D'autres ont rappelé les contributions importantes de la Lozère à l'histoire et à la culture française. Un internaute a souligné sur Facebook : "La Lozère compte entre autres le célèbre Jean-Antoine Chaptal (1756-1832), scientifique (inventeur de la chaptalisation du vin). Rien que pour ça, il n'y a pas match."
Laurent Suau, président LREM du conseil départemental de Lozère, a vivement réagi, qualifiant dans une déclaration à France 3 Occitanie, les propos du leader de La France Insoumise de "calamiteux". "C'est dramatique que quelqu'un qui dit défendre le peuple, les gens, attaquent une population travailleuse et respectueuse des valeurs de la république", a-t-il ajouté.
Suau a également rappelé plusieurs personnalités lozériennes importantes, dont Guy de Chauliac, inventeur de la chirurgie moderne, et Théophile de Roussel, figure de la protection de l'enfance. Il a souligné : la "population dont les enfants réussissent particulièrement bien à l'école. J'aurais envie de l'interroger sur les dossiers qu'il a portés pour la France à part ses déclarations à l'emporte-pièce."
Cette polémique soulève des questions plus larges sur la perception de la ruralité en France et la façon dont les régions les moins peuplées sont prises en compte dans le débat national. La comparaison de Mélenchon, bien qu'apparemment destinée à mettre en valeur la richesse culturelle de la Martinique, a eu pour effet collatéral de raviver le sentiment d'abandon souvent ressenti dans les zones rurales françaises.
Par Makhtar DIOUF
UN PREMIER MINISTRE QUI GOUVERNE
EXCLUSIF SENEPLUS - Naufragés du 24 mars 2024, lâchez donc ces primo-élus à la tête du pays qu’ils s’évertuent à extirper du sous-développement dans lequel vous l’avez enfoncé durant une soixantaine d’années
L’actuelle Constitution 2001 du Sénégal (avec sa réforme de 2016) et les précédentes sont toutes inspirées comme en copier-coller de la Constitution française de 1958.
Cette Constitution supprime le titre de ‘’président du conseil des ministres’’ et le remplace par ‘’Premier ministre’’ pour donner plus de poids à la fonction par rapport au président de la République. Ce que Georges Vedel professeur de Droit public à la Faculté de Droit de Paris avait appelé « bicéphalisme administratif ».
Le poste de Premier ministre sera occupé en France par d’éminentes personnalités comme Michel Debré, Georges Pompidou, Maurice Couve de Murville, Pierre Mesmer (ancien gouverneur général de l’AOF), Jacques Chaban-Delmas, Jacques Chirac, Lionel Jospin, Michel Rocard… Pompidou et Chirac accéderont à la présidence. Raymond Barre, professeur émérite d’université avait été nommé Premier ministre par le président Giscard d’Estaing, le présentant comme ‘’le meilleur économiste de France’’. Ce rappel est fait pour montrer l’importance de la fonction de Premier ministre dans une démocratie.
La fonction de Premier ministre est bien mise en évidence lorsque son parti remporte une élection législative. Il est alors imposé au président de la République une cohabitation qui émiette sur ses prérogatives, car il à ses côtés un Premier ministre qu’il n’a pas nommé et qu’il ne peut pas révoquer.
Au Sénégal, c’est pour faire cavalier seul que Senghor avait en décembre 1962 accusé Mamadou Dia de tentative de coup d’Etat pour l’éliminer du champ politique. Le général Jean Alfred Diallo qu’il nomme chef d’Etat-Major de l’Armée dira vers la fin de sa vie que Mamadou Dia n’avait jamais tenté de faire un coup d’Etat et qu’il ne pouvait pas le faire.
Les quatre premiers présidents, Senghor, A. Diouf, Wade et Macky ont tous supprimé le poste de Premier ministre, pour le rétablir. Tout Premier ministre qui affiche une forte personnalité est immédiatement démis. Senghor a rétabli le poste de Premier ministre confié à Abdou Diouf après avoir mis en place une nouvelle Constitution dépouillant la fonction de Premier ministre de l’essentiel de ses prérogatives de la Constitution de 1960.
Sous Wade et Macky, le Premier ministre est ravalé dans les bas-fonds de la servitude, de la servilité. Les images de photo et de vidéo sont là pour nous montrer tel Premier ministre en position ‘’tarbiyou’’ serrant la main du président obséquieusement, se prosternant, s’inclinant en presque angle droit comme un talibé devant son guide spirituel. Un Premier ministre béni-oui-oui qui ne fait qu’exécuter les désirs du président, son maître.
C’est à ce type de Premier ministre qu’on veut nous ramener ? Alors que l’actuelle Constitution du Sénégal donne au Premier ministre une autre dimension, avec une autre image.
Dans la loi constitutionnelle du 5 avril 2016 portant révision de la Constitution, on lit :
Le gouvernement conduit et coordonne la politique de la Nation sous la direction du Premier ministre.Il est responsable devant le président de la République et devant l’Assemblée nationale dans les conditions prévues par les articles 85 et 86 de la Constitution…
Le Premier ministre dispose de l’administration et nomme aux emplois civils déterminés par la loi (article 57).
Le tandem Diomaye – Sonko n’a rien à voir avec le tandem Senghor-Dia, deux personnages que tout opposait. Il s’apparente plutôt au binôme Abdou Diouf- Habib Thiam : même génération d’âge, même formation supérieure, même socle d’amitié de longue date. Habib Thiam a occupé une dizaine d’années le poste de Premier ministre à deux reprises (1981-83, puis 1991-98), en se conformant aux pouvoirs que lui conférait la Constitution.
Ceux qui disent que c’est l’actuel Premier ministre Sonko qui gouverne à la place du président de la République ne se donnent même pas la peine de visiter ou de revisiter la Constitution. Ils préfèrent fonctionner au crypto-personnel émotionnel. Peuvent-ils citer un seul acte pris par l’actuel Premier ministre en dehors des attributions que lui confère la Constitution ?
S’ils se donnaient la peine de consulter l’histoire constitutionnelle du Sénégal, ils verraient que de tous les Premiers ministres, c’est Mamadou Dia qui disposait le plus de pouvoirs qui lui étaient conférés par la Constitution de 1960. Raison pour laquelle Senghor l’avait brutalement éliminé de la scène politique pour instaurer un régime présidentiel.
Il est impossible de ne pas mentionner ici le cas spécial constitué par Jean Collin. Français naturalisé Sénégalais, il a une trentaine d’années (1960-91) occupé de nombreuses et hautes fonctions dans l’appareil d’Etat. Il ne s’est jamais départi de ce réflexe colonial de commander des Africains. Il commandait, prenait des décisions, intervenait dans la nomination des ministres, des gouverneurs, des préfets, qui tous le craignaient. Collin a même fait incursion une fois sur un problème d’ordre pédagogique à la Faculté de Droit et de Sciences économiques de l’Ucad pour y imposer son diktat, par-dessus la tête du ministre de l’Enseignement supérieur et du recteur.
L’opinion le considérait à juste titre comme le maître du pays, alors qu’il n’était investi par aucun article de la Constitution. A la surprise générale, en 1991, Abdou Diouf limoge Jean Collin lors d’un remaniement réduisant le nombre de ministres de 27 à 21. Habib Thiam était un des rares à lui faire de la résistance.
Collin est tout le contraire de Sonko que certains s’offusquent de voir gouverner le pays. Comme l’y autorise la Constitution.
Ses détracteurs n’acceptent pas qu’il prenne l’avion de commandement pour représenter Diomaye à l’investiture du président du Rwanda, invoquant l’impératif de rationaliser les dépenses. Pourtant lorsque Macky prenait le même avion pour faire du tourisme dans les Caraïbes, personne ne les entendait. Ils crient au scandale lorsque le Premier ministre reçoit des ambassadeurs. Parce que pour eux, seul le président est habilité à recevoir des ambassadeurs, alors que même le recteur de l’Ucad reçoit des ambassadeurs.
Ils s’offusquent aussi de l’intention des nouvelles autorités de supprimer le Conseil économique et social et le Haut conseil des collectivités territoriales (ancien Sénat). L’histoire de ces deux institutions a été ponctuée de création, suppressions et rétablissements, sans que cela fasse de bruit. C’est maintenant qu’on cherche à en faire un problème.
Le Conseil économique et social n’avait été créé en France que pour recaser des barons du régime battus aux élections. La France, pays développé, avec ses hôpitaux bien équipés, ne comptant pas une seule école abri provisoire, peut se permettre une telle fantaisie. Les dignitaires du défunt régime au Sénégal, défenseurs du Cese et du Hcct n’envoient pas leurs enfants dans des écoles abris provisoires et allaient se faire soigner dans des hôpitaux français, avec l’argent public. La quinzaine de milliards de francs récupérée chaque année de la suppression de ces deux institutions pourra servir à supprimer toutes les écoles abris provisoires et contribuer à l’équipement de nos hôpitaux.
Les pratiques dénoncées sous Abdou Diouf ont été reconduites sous Wade, puis sous Macky Sall. Les tares communes à tous ces régimes sont le gaspillage des deniers publics et l’ignorance des priorités.
L’économie sénégalaise plie aussi sous le poids d’éléphants blancs institutionnels…
Des structures comme le Conseil économique et social (ajouter ‘’environnemental’’ pour faire comme Sarkozy, et avoir Cese), le Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct) qui sont aussi inutiles que coûteuses sont à supprimer.
Pour rappel, les économistes appellent éléphants blancs des éléphants à peau blanche qui en Inde sont du décor des palaces des grands dignitaires. Chacun de ces pachydermes ingurgite 200 kg de végétaux et 100 litres d’eau par jour, et ne rapporte rien, étant exempté de tout travail.
Bien auparavant, j’avais tiré sur le Conseil économique et social et sur le Sénat, au nom de la rationalité économique en termes de calcul économique coût-avantage. Un pays ne peut pas se développer si les dépenses publiques ne sont pas rapportées à leur avantage à l’économie nationale. Le développement passe par la chasse aux « faux frais ». La rationalisation des choix budgétaires est un impératif de développement. Le projet de suppression de ces deux institutions n’est donc pas une lubie de l’invention du nouveau régime. Rien à voir avec une politique politicienne. Pourquoi tous ces bruits ?
Je précise que je ne suis pas membre de Pastef, ni d’aucun parti politique. Je ne suis candidat à aucun poste. J’écris toujours sous la dictée des valeurs éthiques de raison, vérité et justice, en guerre contre la déraison, le mensonge et l’injustice. Comme bien d’autres compatriotes patriotes qui ne sont animés que par l’intérêt du Sénégal. Nous continuerons à le faire au gré de l’actualité. Personnellement, je me suis toujours donné comme règle de n’évaluer un nouveau régime au pouvoir qu’à mi-terme de son mandat. Aucun régime nouvellement arrivé au pouvoir n’a été aussi harcelé que celui de Pastef avec Sonko. Il dérange certains, allez savoir pourquoi.
Naufragés du 24 mars 2024, foutez donc la paix à ces primo-élus à la tête du pays qu’ils s’évertuent à extirper du sous-développement dans lequel vous l’avez enfoncé durant une soixantaine d’années ! A l’indice de développement humain du Programme des nations unies pour le développement (calculé à partir du produit intérieur brut, des indicateurs de santé, d’éducation et des droits humains) en 2023, le Cap Vert et la Mauritanie dépassent le Sénégal du Plan émergent et du Livre blanc de l’APR (extirpé des pages rouges).
La démocratie s’accommode mal d’une opposition politique uniquement fondée sur la haine, la jalousie, la frustration, la crainte de poursuites judiciaires justifiées.
Cela dit, préservons-nous de cette quête effrénée de visibilité, de m’as-tu vu avec des interventions au quotidien, maladroites, non réfléchies. Les personnes de valeur reconnue qui s’y adonnent font mal à leur capital de crédibilité.
par Pape Samba Kane
POUR 417 FRANCS PAR SÉNÉGALAIS, S'ÉVITER UNE CRISE POLITIQUE COÛTEUSE
EXCLUSIF SENEPLUS - Un bras de fer entre l'exécutif et le législatif, dans cette période de transition politique coûterait en argent plus que ce que risque de nous coûter HCCT et CESE réunis, d'ici leur disparition inéluctable
Lundi 2 septembre, toute la journée et une partie de la soirée, les députés sénégalais, réunis en plénière, nous ont offert un spectacle, du genre dont ils ont le secret ; quoique, cette fois-ci, le script, resté granguignolesque, n'a pas connu les rebondissements tragicomiques traditionnels depuis que les dernières législatives avaient apporté un certain équilibres des forces dans la chambre. Est-ce parce les opposants d'aujourd'hui (le Benno) sont moins énervés que ceux d'hier (Yewwi, maintenant maître de l'exécutif) ? Je suspends cette question pour une autre fois, un prochain papier (leb na ko ba beneen, comme dirait l'inoubliable Thione Seck).
Cependant, le calme revenu après le show retransmis en direct par au moins quatre chaînes de télévision, quelques petits calculs, une petite comptabilité pour le dire mieux, nous ont conduit à la conclusion suivante : "Tout ça, pour ça ? ..."
On va s'expliquer après un petit détour sur ce qui a été présenté aux Sénégalais comme une affaire politique majeure, un enjeux de gouvernance décisif, le respect urgent d'une promesse électorale ; et aussi, un tournant vital pour l'avenir des députés de la présente législature. Il y a du vrai dans tout ce qui précède, mais un brin dramatisé par la classe politique, comme un appât fabriqué de toute pièce pour distraire le Sénégalais lambda ; appât sur lequel, cependant, la presse a été la première à se jeter. Tout le monde est resté le nez dans la boue de l'actualité, personne, à ma connaissance, n'a levé la tête pour prospecter ce que vraiment vont nous coûter ces institutions "budgétivore" pour la courte échéance qu'il leur reste avant de disparaître. De toute façon ! Comparativement à ce que pourrait nous coûter une crise politique entre exécutif et législatif, pendant que le premier prend à peine ses marques.
Il semble que les deux institutions coûtent aux contribuables sénégalais 15 milliards. Cette somme, il est vrai, isolée, est sidérante pour les fauchés que nous sommes généralement, nous, la majorité écrasante des Sénégalais. Surtout si on retient - si et seulement si on retenait, que "ces institutions sont inutiles".
C'est revenu dans l'argumentation de tous les intervenants favorables au projet de loi constitutionnelle portant dissolution des HCCT et CESE : avec de pareilles sommes, on construirait des hôpitaux, des abris provisoires, les hémodialysés du pays verraient leur calvaire prendre fin., etc., etc. ! Ce n'est pas tout à fait faux !
À les entendre également, si on ne les suivait pas, nous irions encore, pauvres contribuables, casquer, pendant un an, 15 milliards de francs, pendant cinq ans 75 milliards. Or, rien n'est moins vrai. Nous allons y venir, retournons aux enjeux supposés déterminants pour l'avenir politique de notre pays autour de cette affaire.
Un enjeu majeur nicherait dans l'issue de cette plénière. Si la loi n'était pas votée, le chef de l'Etat dissoudrait cette Assemblée "en rupture avec la volonté populaire" pour paraphraser le président Bassirou Diomaye Faye - au lendemain du retoquage de son projet de loi. Il tenait à remplir un engagement électoral, en engageant ce bras de fer finalement trop politiquement coûteux pour lui - il est en Chine pour une visite d'Etat, et parallèlement un sommet Chine-Afrique, quand tous ses interlocuteurs apprennent que sa première initiative de haute politique a échoué.
Laissons ça pour parler du coût de cette initiative en politique intérieure, coût en adversités agressives, en contentieux politiques évitables - et à impérativement éviter, sous quelque forme, si le souhait de tous est seulement que ce pays marche, que sa démocratie se renforce et que ce gouvernement travaille dans les meilleures conditions pour assurer la réussite de ses missions.
Un bras de fer entre l'exécutif et le législatif, dans cette période de transition politique, comme suggéré plus haut, coûterait en argent (puisque c'est ce qui semble intéresser certains) plus que ce que risque de nous coûter HCCT et CESE réunis, d'ici leur disparition inéluctable, dans six mois au maximum - parce le président va dissoudre l'Assemblée nationale de toute façon, dans quelques semaines ; et cela ne devrait pas prendre six mois, entre cette décision, et l'installation d'une nouvelle législature qui lui serait favorable pour dérouler toute politique qu'il voudrait.
En chiffres, cela veut dire, considérant les 18 millions de Sénégalais - pour schématiser - comme les " contribuables" en question, que chacun d'entre nous cotiserait seulement 416,8 francs CFA pour entretenir ces institutions d'ici là.
Voici donc que ces dernières, qui sont des recommandations des Assises nationales et du CNRI, pour quinze milliards par an, auront coûté chaque année, à chaque Sénégalais (15 M ÷ 18 millions =) 833,3francs CFA. Dans six mois, elles nous coûteraient la moitié, 416 virgule machin de francs, avant de disparaître. Et " bon débarras", pour ceux qui n'en voulaient pas, et qui en ont le droit.
Chaque Sénégalais appréciera maintenant - tout cela étant clair -, sa préférence pour les deux schémas suivants :
1)- pour un coût de 417 francs par Sénégalais - attendre tranquillement que Diomaye Faye, dans quelques semaines, dissolve l’Assemblée nationale, organise des élections législatives dans les trois mois suivants, comme la loi l'y contraint, installe la nouvelle législature, qui devrait, nous l'avons dit, lui être favorable (c'est de tradition !), pour alors tenir sa promesse électorale en dégageant ces institutions.
- Soit dit en passant, je sais que ce n'est pas si simple. Il faudra bien contourner la contradiction entre la loi constitutionnelle, qui veut que l'élection se tienne dans les 90 jours suivant la dissolution, et le code électoral qui fixe 150 jours pour le bouclage du processus des parrainages, nécessaire pour une organisation, dans les règles, des législatives ; sans parler de la loi de finance rectificative, pas encore votée, ni du budget 2025 que seule une Assemblée dûment installée permet. Bref, ces messieurs du pouvoir ont vraiment d’autres chats à fouetter que de se tuer à nous faire économiser 417 francs chacun pour les six mois à venir, à ce coût ! - Justement, "attendre tranquillement" signifie, pendant ce temps, quand personne ne se sent politiquement acculé ou " humilié", "méprisé" même, ont déploré des élus de Benno lundi, discuter. Discuter avec la classe politique sénégalaise, qui ne se réduit pas à Benno (mais Benno tient l’Assemblée), douée pour au moins une chose : trouver des compromis. Cela permettra de contourner ces obstacles, sommes toutes pas plus compliqués que ceux qui se dressaient devant une bonne tenue de l'élection présidentielle du 24 mars dernier, et qui ont été contournés, par suite de discussions politiques entre la prison du Cap et quelque hôtel. Preuve, s’il en est, qu’en politique, tout peut se régler par la discussion.
2) - chacun restant sur ses positions - persister dans la confrontation politique, dont le deuxième round - cette session extraordinaire de l’Assemblée nationale pour le vote d'une motion de censure contre le Premier ministre - se joue ce vendredi 6 septembre, et qui viendra s'ajouter à l'imbroglio déjà bien inextricable que nous avons entrevue. Que la motion passe ou ne passe pas, un camp se sentira humilié et se braquera sûrement pour la suite des événements.
Du coup, le nécessaire, absolument nécessaire dialogue pour, après l'inévitable dissolution de la représentation nationale, organiser des législatives apaisée, s'en trouvera sinon compromis, en tout cas compliqué.
Le risque, c'est des élections retardées, une démocratie sans parlement au moins un certain temps, des tensions politiques toujours plus ou moins dangereuses pour un régime en place, un président obligé de gouverner par décret.
Et ça, croyez-moi cher compatriote, ça nous coûterait bien plus cher que 417 francs chacun pour prix d’un sursis en faveur des deux institutions en question.
Alors, que tous ceux qui parmi nous en ont la possibilité, en respectant pour chacun le rang que les Sénégalais lui ont donné, veuillent bien pousser le président de la République et les députés de Benno, à passer ce cap pas si terrible que ça, s'il est abordé par chacun avec la volonté de convaincre et non de vaincre.
par Thierno Alassane Sall
FAUTE DE VISION, LE POUVOIR OPTE POUR LA DIVISION
Jamais un pouvoir n’aura, en seulement cinq mois, cherché autant la confrontation avec les contre-pouvoirs, ignorant que ses véritables adversaires sont le sous-développement, la pauvreté et le désespoir, qui poussent des jeunes à prendre la mer
Les Sénégalais ont donné à Diomaye Faye, en lui conférant une majorité nette dès le premier tour, les moyens d’ouvrir une nouvelle ère démocratique. Les premières déclarations du président Diomaye Faye semblaient conformes à cette demande populaire d’un dialogue national pour refonder nos institutions, approfondir la démocratie, bâtir une économie au service de tous.
Cependant, les actes posés vont exactement dans le sens de l’exacerbation des tensions dans un pays qui s’est retrouvé, à plusieurs reprises, au bord du gouffre. Au point où l’invraisemblable est advenu dans l’escalade d’un conflit, qui, il faut bien le dire, est né du mépris assumé du Premier ministre à l’égard de la représentation nationale : une motion de censure annoncée par le groupe BBY.
Cette situation, il faut le souligner, a prospéré en raison de l’incapacité du président de la République à assumer la plus élémentaire de ses charges : suggérer à - puisque l’on ne saurait dire instruire - son Premier ministre de se conformer à la Constitution sans chercher des alibis dans l’absence de dispositions dans le Règlement intérieur de l’Assemblée, une loi de moindre portée.
Jamais un pouvoir n’aura, en seulement cinq mois, cherché autant la confrontation avec les contre-pouvoirs (la presse, l’opposition), ignorant que ses véritables adversaires sont le sous-développement, la pauvreté et le désespoir, qui poussent des jeunes à prendre la mer dans un exode incessant.
La prochaine escalade ? La dissolution de l’Assemblée nationale, pour désorganiser les élections législatives qui s’annoncent comme les plus chaotiques de notre histoire. En effet, comment organiser en 60 jours, ou 90 jours maximum le parrainage, son contrôle, la période de contentieux et la campagne électorale, avec, de surcroît, un effet de surprise si ce n’est dans le chaos et la confiscation de la démocratie ? Quelle crise justifie une si dangereuse précipitation ? Justement, le rejet du projet de suppression du HCCT et du CESE, ainsi que la motion de censure, offrent un prétexte bien opportun.
Le président Diomaye Faye, dans le rôle qu’il s’est assigné dans le duo de bad cop - good cop, va nous jouer la petite musique des regrets, tout en poursuivant le plan que le Pastef a concocté pour asseoir, à tout prix, un pouvoir total.
Le peuple avait cru à un projet sur toutes les lèvres, avant de s’apercevoir que le nouveau régime n’avait pas de vision pour mener le pays. En attendant de prodiguer le remède miracle promis, le bon professeur Diomaye et son "Boss" appliquent la vieille solution : diviser pour mieux régner.
VIDEO
SONKO DÉFIE L'OPPOSITION
Le Premier ministre confronté à une motion de censure, contre-attaque avec audace. Il laisse planer le doute sur l'avenir de l'Assemblée nationale. "D'ici le 12 'septembre', ces gens auront autre chose à faire que d'être députés", a-t-il lâché ce mercredi
Dans une déclaration ce mercredi 4 septembre 2024, le Premier ministre Ousmane Sonko a rejeté l'idée d'une motion de censure agitée contre son gouvernement.
"Il n'y aura pas de motion de censure", a-t-il affirmé avec assurance, balayant ainsi la menace qui plane sur son gouvernement depuis l'annonce du député de la majorité parlementaire Abdou Mbow. Ce dernier est passé à l'acte, en déposant avec ses collègues, une motion de censure sur sur la table du président de l’Assemblée nationale, Amadou Mame Diop, hier.
Sonko n'a pas mâché ses mots envers ses détracteurs, les qualifiant de "politiciens complètement dépassés par les événements" et soutenus par "leur presse".
Le Premier ministre a profité de cette occasion pour esquisser sa vision de l'avenir. Il a souligné la nécessité de moderniser l'administration publique et de la mettre au service du développement national. Il a également évoqué l'importance de réformer certaines pratiques au sein de la fonction publique, suggérant que des changements significatifs sont à venir.
D'un ton provocateur, il a prédit qu'après le 12 septembre, ses opposants "auront autre chose à faire que d'être députés à l'Assemblée nationale". Cette déclaration laisse entrevoir une possible dissolution de l'Assemblée nationale par le président de la République Bassirou Domaye Faye dans les prochains jours, telle que prévue par la Constitution.
lettres d'amérique, Par Rama YADE
LE PARADOXE AFRICAIN
Alors que le continent abrite 30% des minerais stratégiques du monde, et donc de toutes les ressources nécessaires pour être une réponse puissante à la crise énergétique mondiale et aux impératifs de la transition verte
Il y a un paradoxe africain : alors que le continent abrite 30% des minerais stratégiques du monde, et donc de toutes les ressources nécessaires pour être une réponse puissante à la crise énergétique mondiale et aux impératifs de la transition verte, les pays africains ne parviennent toujours pas à en tirer le meilleur profit pour leurs intérêts stratégiques vitaux. Or, à condition qu’ils soient adossés à un nouveau modèle de développement, les minerais stratégiques offrent une occasion historique d’en finir avec la soi-disant malédiction des ressources naturelles en Afrique.
La fable de la malédiction des ressources naturelles
De la Norvège aux Emirats Arabes Unis, de nombreux pays offrent des exemples réussis de croissance économique et de développement grâce aux ressources naturelles. Troisième plus grand producteur de gaz au monde et onzième plus grand producteur de pétrole, la Norvège est la deuxième économie mondiale en termes de Produit intérieur brut par habitant (après le Luxembourg et devant l’Irlande et à la Suisse), selon les chiffres du Fmi d’avril 2023, soit plus de 2, 5 fois le niveau de vie de la France. Quant aux Emirats Arabes Unis, neuvième producteur mondial de pétrole et quinzième de gaz naturel, le poids de leur économie a quintuplé en vingt ans. Ce pays mise désormais sur l’économie du savoir, devenu assez riche pour s’engager dans une ère post-pétrole, plus diversifiée, voire décarbonée.
En Afrique aussi, le cas du Botswana dément les sombres anticipations appliquées systématiquement au continent. Ces dernières années, ce pays -qui figure parmi les plus importants producteurs mondiaux de diamant, mais également un des moins corrompus- a imposé une stratégie inclusive dans le secteur extractif, investissant ses revenus dans la santé et l’éducation, mais surtout dans un fonds souverain au service des besoins des générations futures. Le Botswana a aussi mis en place toute une série de mécanismes et d’institutions pour prévenir et punir les cas de corruption, prouvant ainsi que le succès dans les affaires et la lutte contre la corruption sont parfaitement compatibles.
Une demande gigantesque en minerais stratégiques
La course aux minerais stratégiques a été relancée avec la crise énergétique, plaçant l’Afrique en pole position. Ces métaux sont en effet indispensables pour les véhicules électriques, les batteries au lithium, les téléphones portables, les scanners médicaux ou encore le matériel militaire, autant de secteurs stratégiques pour la transition énergique et la sécurité nationale de nombreuses puissances. Or, cette course risque de se faire au détriment des économies africaines, déjà privées des financements promis mais non honorés par la Communauté internationale en matière de lutte contre le changement climatique. La Banque africaine de développement (Bad) a estimé à 2800 milliards de dollars les besoins financiers de l’Afrique pour couvrir ses objectifs de lutte contre le réchauffement climatique entre 2020 et 2030. Or, le continent reçoit moins de 10% des fonds dédiés à cet effet, alors qu’il n’est à l’origine que de 3% des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle internationale. Voilà désormais les pays africains soumis à des logiques d’extraction prédatrice qui leur font perdre non seulement ces ressources, mais également les emplois qui vont avec.
Une stratégie d’investissement plus responsable dans les minerais stratégiques constituerait non seulement une contribution majeure au développement de l’Afrique, mais aussi une solution durable aux défis de la transition énergétique pour le monde entier.
La pression souverainiste des opinions africaines
Alors que les jeunes générations expriment un fort désir de contrôler le destin de leurs pays sur les plans politique (au point d’applaudir les putschistes sahéliens), culturel (avec la restitution des œuvres d’art historiquement spoliées), économique (avec la remise en cause du F Cfa), la maîtrise du sol africain est un élément de plus en plus central des campagnes électorales et des transitions politiques, qu’elles soient démocratiques ou autoritaires. Dans ce contexte, il n’est pas certain que les stratégies prédatrices, y compris chinoises, l’emporteront sur le long terme.
Sous la pression des opinions africaines, il ne fait aucun doute que les partenaires de l’Afrique devront se repositionner, en passant à un modèle de développement plus inclusif s’ils veulent avoir un avantage compétitif sur ce marché très concurrentiel qui oppose non seulement les puissances globales, mais également les moyennes puissances du Moyen-Orient à l’Asie du Sud-Est. Les effets de la pandémie du Covid-19 sur les chaînes d’approvisionnement et l’impact de la guerre en Ukraine, qui ont accéléré cette nouvelle ruée vers l’Afrique, ne sauraient être une raison suffisante pour ignorer les besoins spécifiques de l’Afrique : les Africains, eux aussi, devraient pouvoir profiter des téléphones portables dernier cri d’Apple, conduire les voitures électriques de Tesla, et bénéficier de scanners médicaux de qualité lorsqu’ils sont malades. Tous ces produits sont fabriqués à partir de minéraux stratégiques qu’ils fournissent, mais dont ils ne bénéficient pas.
Les attentes des investisseurs internationaux
Mais il leur revient également de prendre leurs responsabilités en mettant en place des cadres réglementaires transparents et efficaces, en formant des ingénieurs capables de négocier des contrats miniers, en définissant une feuille de route répondant à leurs besoins de développement et en élaborant une stratégie de transformation industrielle avec l’appui des organisations régionales et de la récente Zone de libre-échange africaine qui pourrait jouer un rôle crucial dans la création de marchés locaux plus adaptés aux investissements internationaux.
Précisément, alors que la demande mondiale en minerais stratégiques n’a jamais été aussi élevée et que les industries vertes sont plus que jamais essentielles à la lutte contre le réchauffement climatique, ces investissements demeurent largement insuffisants. Lorsqu’ils existent, très peu sont menés à bien. Les raisons de ce sous-investissement chronique tiennent à plusieurs facteurs explicités par un récent rapport d’Atlantic Council et son auteure Aubrey Hruby, notamment la mauvaise perception des risques inhérents à l’investissement en Afrique et la sous-mobilisation du secteur privé.
Enfin, aucune de ces recommandations ne saurait aboutir sans stabilité. Or, dans des zones comme la région des Grands Lacs où la République démocratique du Congo, pays aussi grand que l’Europe de l’Ouest, est déchirée par des guerres civiles et régionales depuis plus de trente ans, il ne saurait y avoir d’investissements sans paix. C’est pourquoi la pacification des Grands Lacs doit être à l’avant-garde des efforts diplomatiques et des politiques énergétiques en Afrique.
Rama Yade est Directrice Afrique Atlantic Council.
par Mahamadou Lamine Sagna
ENTRE L’AUBE ET LE CRÉPUSCULE D’AMADOU ÉLIMANE KANE OU UNE EXPLORATION EN PROFONDEUR DE LA CONDITION HUMAINE
EXCLUSIF SENEPLUS - Chaque page de cette œuvre nous transporte dans un univers dense et complexe. C'est un vibrant hommage à l’intelligence humaine, à sa capacité à ne pas se confondre avec le totalitarisme
Pour le sociologue que je suis, il y a des moments où la lecture de romans permet d’explorer des dimensions complexes de l’existence et de déchiffrer certains codes sociaux implicites. En d’autres termes, il y a des romans qui nous aident à mieux comprendre les sociétés humaines en dévoilant les nuances de la vie sociale, les dynamiques sociales ayant lieu parfois dans des structures invisibles aux chercheurs en science sociale. Certaines œuvres littéraires deviennent ainsi des miroirs subtils des réalités sociales. Elles offrent des perspectives nouvelles dans la compréhension des interactions sociales dans les systèmes de pouvoir. Il en est ainsi de l’excellent livre d’Amadou Elimane Kane.
Chères lectrices et chers lecteurs, c'est avec un immense plaisir que je vous présente cette critique d'un magnifique roman. Entre l'aube et le crépuscule, la nouvelle œuvre d'Amadou Elimane Kane, nous emporte dans un voyage initiatique en deux parties, où un univers imaginaire se mêle habilement à une réalité transformée pour les besoins de la fiction.
Dans la première partie, l'histoire se concentre sur Salamata, une jeune femme passionnée par les récits de son père, qu'elle perpétue en fondant sa propre famille. En parallèle de son quotidien et de son histoire familiale, les récits des reines d’Afrique, qu'elle transmet à ses enfants, offrent des moments privilégiés d'éducation, reflétant ainsi les enseignements qu'elle-même a reçus. Ces récits constituent des fils conducteurs entre les générations, témoignant de la transmission culturelle et de l'importance des racines dans la construction de l'identité et du lien familial.
Dans ce premier épisode, Salamata occupe une place singulière, nous plongeant au cœur des émotions les plus profondes de la nature humaine. À travers son regard, nous partageons ses douleurs, ses joies, ses espoirs et ses craintes. Avec émerveillement, nous découvrons la richesse de la culture africaine et la profondeur de ses traditions. Nous sommes transportés dans un univers où le passé et le présent s'entrelacent pour tisser la trame même de l’existence. Cette immersion dans l'intimité de Salamata nous permet de saisir la vitalité de son héritage culturel et la puissance de sa connexion avec les traditions ancestrales, offrant ainsi une exploration captivante de l'humanité et de son rapport au monde qui l'entoure.
Ainsi, je retiens ce passage saisissant du prologue, le moment où Salamata est en train d'accoucher, celle-ci ressent une diminution progressive de la douleur physique et se plonge dans ses pensées et ses souvenirs. Elle se remémore les histoires que son père lui racontait dans son enfance, notamment celles des princesses Yannega, Zingha, Pokou, Ndatté Yalla, et Ndjombött Mbodj, des femmes puissantes de l'histoire africaine. Ces récits lui procurent du réconfort et de la force alors qu'elle endure les douleurs de l’enfantement.
Au fil du travail, Salamata puise en elle-même et dans les paroles de son père pour sublimer le déchirement de la naissance de son enfant. Le récit de Salamata nous emmène dans un voyage à travers les émotions humaines les plus profondes, des moments de détresse insoutenable à ceux de joie indicible. La nuit est tombée sur Dagana, et Salamata entreprend de raconter des histoires à ses fils. Elle leur parle cette fois-ci de la reine Kassa du Mali.
Ce passage, qui évoque les empreintes historiques qui nous constituent, nous invite à réfléchir sur l'importance de préserver et de transmettre nos histoires, nos traditions et notre héritage culturel, tout en reconnaissant la valeur inestimable de ces récits dans la construction de notre identité et de notre compréhension du monde qui nous entoure.
De même, par le truchement du personnage de Salamata, l’auteur fait danser la ronde des ancêtres, comme sauvegarde de la mémoire, une sagesse contenue dans l'héritage culturel et historique africain et qui demeure un axe fondateur de la quête de la justice et de la liberté.
Ainsi, en écoutant les récits de Salamata, avec une mise en abîme de sa propre trajectoire, on emporte avec soi une expérience qui transcende les limites des pages imprimées, nous incitant à nous approprier les épisodes d’un monde antérieur, qui a été oublié, mais qui est un ancrage à notre propre réalité, à nos valeurs et à notre destinée.
Mais l’auteur opère ici une subtile articulation littéraire car Pathé, le fis de la Salamata, qui démontre une grande aptitude à l’appropriation des récits, devient le maillon de l’histoire, en prenant le relais de sa mère et en devenant le narrateur principal de la suite du récit.
Dans la deuxième partie du roman, un saut temporel et spatial nous transporte soudainement vers l'émergence de la République des Samba Kounkandé, une construction fictive qui évoque néanmoins, par certains aspects, la réalité contemporaine du Sénégal. Le temps a évolué, et Pathé est devenu écrivain et professeur, ayant également fondé sa propre famille. Nous le découvrons à un moment crucial pour la stabilité morale et sociale du pays. Cette ellipse romanesque place Pathé au premier plan du récit, tout en laissant en toile de fond la voix persistante de Salamata. C'est à travers ses yeux que nous explorons les défis et les enjeux de cette nouvelle ère, alors que le passé et le présent se mêlent pour façonner l'avenir incertain de la nation et de ses habitants.
La mission de Pathé est celle de la recherche de la vérité, au nom d’une justice dénuée de tout intérêt personnel. Il s’agit ici de mener une enquête de manière objective, en déjouant tous les pièges, toutes les menaces et toutes les manipulations pour rétablir une loyauté devenue folle.
Le récit est conduit avec les techniques du roman à enquête, avec des zones d’ombre et des rebondissements, dans une ambiance inquiétante et qui très souvent se dérobe à la raison.
Dans ce passage, l'auteur/narrateur dépeint de manière incisive un pan de la société sénégalaise, exposant le népotisme, la corruption, les déclarations mensongères, et dénonçant l’hérésie d’une justice dévoyée. Cette critique sociale féroce met en lumière la cupidité des dirigeants politiques et la souffrance indignée du peuple qui en découle. Elle s'élève contre la complaisance face à l'oppression et à l'exploitation, ainsi que contre la propension de certains à sacrifier leur dignité pour un gain personnel. C’est également un appel à l’action pour toutes et tous ! Ne pas céder à l'oppression et à l'injustice, en exhortant les individus à ne pas rester silencieux face à une autorité malfaisante qui ne cherche que le bâillonnement des consciences. Amadou Elimane Kane nous propose un réveil littéraire et citoyen qui consiste à lutter, encore et toujours, pour un retour à la mesure gouvernementale et à l’intégrité qui sont synonymes de liberté.
Tel un éclair illuminant soudainement l'obscurité, à la conclusion de l'histoire, la voix de Salamata résonne à nouveau, relatant les siècles de dictatures à travers le monde pour mettre en lumière la décadence humaine qui en découle. Cette narration résonne comme une illustration frappante, soulignant la persistance de l'oppression et de l'injustice à travers les âges, et offrant ainsi une réflexion poignante sur la condition humaine.
À travers les riches références à la culture africaine et à la mémoire collective, Amadou Elimane Kane, profondément ancré dans le panafricanisme par conviction, renforce le sentiment d'identité et de dignité des opprimés. Il affirme avec vigueur que leur histoire et leur héritage sont des sources d’efficacité, d’unité et de résilience. En mettant en valeur ces éléments, il éclaire la voie vers la reconnaissance et la célébration de la richesse culturelle et de la force collective des peuples africains.
Plonger dans les profondeurs du roman Entre l’aube et le crépuscule d'Amadou Elimane Kane est une expérience captivante, une plongée dans les abysses de l'existence humaine. Chaque page de cette œuvre nous transporte dans un univers dense et complexe où les personnages naviguent entre leurs luttes intérieures et les défis extérieurs qui toujours se dressent sur le chemin. Bien plus qu'une simple narration, ce roman nous convie à une exploration profonde de l'âme humaine, nous invitant à sonder les tréfonds de nos émotions et de nos pensées.
Au cœur de cette épopée, les personnages se dévoilent dans toute leur humanité, partageant leurs luttes, leurs espoirs, leurs peurs et leurs victoires, résonnant ainsi avec une universalité frappante. L'un des aspects les plus saisissants de Entre l'aube et crépuscule réside dans son exploration profonde et captivante de la quête humaine pour la vérité, la justice et la liberté. Dans un monde où la corruption, l'injustice et la tyrannie sont la norme, les personnages se dressent courageusement pour défendre leurs convictions. Leurs voix résonnent avec force à travers les pages, puisant dans l'héritage de leurs ancêtres pour nourrir leur combat et inspirer les générations futures.
À travers ces pages, nous sommes transportés dans un univers où la tradition et la modernité se rencontrent, où le passé et le présent s'entrelacent pour former le tissu même de l'existence. Nous découvrons avec émerveillement la richesse de la culture africaine et la profondeur de ses traditions, tout en contemplant les défis contemporains auxquels sont confrontés ses protagonistes.
Chaque mot, chaque phrase de ce roman exprime avec une intensité palpable la recherche incessante de la vérité et de la justice pour mettre à terre toutes les formes de répression mentale. Les passe-droits et la pollution morale qui gangrènent la société sont dépeints avec une évidence déconcertante, mettant en lumière la souffrance du peuple et la voracité des dirigeants politiques. Mais au cœur de cette obscurité persiste une lueur d'espoir, car les personnages refusent de se soumettre à leur sort, appelant à l'action, à la résistance, à la lutte pour un monde meilleur.
Quant à l’écriture, elle se présente ici comme une voix puissante et émouvante, une narration hydrique entre les récits de Salamata, issus du tissu mémoriel africain et un narrateur qui refuse de rester silencieux face à l’infamie et à l’asphyxie d’une société décadente, invoquant la mémoire et l'héritage des ancêtres pour nourrir une quête collective de vérité, de justice et de liberté. Tout comme la parole de Salamata qui revient à la toute fin du récit et qui dénonce les barbaries historiques qui ne sont que graines de violence et de haine de soi.
Entre l’aube et le crépuscule ne se contente pas d'être un simple roman ; c'est un vibrant hommage à l’intelligence humaine, à sa capacité à ne pas se confondre avec le totalitarisme, à opposer sa résistance pour faire jaillir l’équité collective. Il nous exhorte à embrasser nos histoires, nos traditions, nos héritages, et à les défendre avec témérité et détermination.
En refermant ce livre, nous emportons bien plus qu'une simple histoire littéraire ; nous vivons une expérience profondément émouvante et révélatrice qui résonnera en nous bien après avoir tourné la dernière page. Entre l’Aube et le Crépuscule transcende les frontières et les époques, nous invitant à réfléchir sur notre place dans le monde et sur le pouvoir de la résilience humaine, même dans les heures les plus sombres.
Mahamadou Lamine Sagna est Professeur de Sociologie, Directeur d’Africana Studies, WPI, (Worcester Polytechnic Institute), USA.
Amadou Elimane Kane, Entre l’aube et le crépuscule, roman, éditions Africamoude et éditions Lettres de Renaissance ; septembre 2024
par l'éditorialiste de seneplus, félix atchadé
L’AES, ENTRE DÉFIANCE ET STRATÉGIES GÉOPOLITIQUES
EXCLUSIF SENEPLUS - En ciblant principalement la CEDEAO, les membres de l'AES semblent détourner l'attention du véritable contentieux : leur appartenance à l'UEMOA. On peut envisager trois scénarios possibles pour l'avenir de la région et au-delà
Félix Atchadé de SenePlus |
Publication 03/09/2024
L’histoire contemporaine de l’Afrique de l’Ouest est jalonnée de tentatives de regroupements d’États dépassant le statut d’organisation internationale ou de coopération. Les premiers d’entre eux sont nés en plein processus de décolonisation. Ils ont été construits le plus souvent autour de trois États pivots à savoir le Sénégal, le Ghana et la Côte d’Ivoire. De la Fédération du Mali (Sénégal et Soudan français devenu République du Mali) à la Confédération de la Sénégambie en passant par le Conseil de l’Entente, ces entités ont connu des fortunes diverses mais n’ont jamais pu atteindre les objectifs qu’ils s’étaient fixés : mieux intégrer les économies des pays les composant et pesés davantage sur l’ordre du monde.
Le 6 juillet 2024 à Niamey, la Confédération de l’Alliance des États du Sahel (AES) regroupant le Burkina, le Mali et le Niger est née. En rupture avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) que les trois pays ont décidés de quitter. Une nouvelle entité, au sort destiné à être ressemblant à celui des ligues qui l’ont précédé ? Les sceptiques répondront par l’affirmative. Cet article n’a pas vocation à se lancer dans de telles spéculations. Il vise à comprendre les dynamiques en jeu et les processus de remodelage de la géopolitique sous-régionale qui vont en découler.
Dans quelle mesure la naissance de l’AES va influencer les relations avec les organisations régionales, CEDEAO et Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Quid des équilibres régionaux ? Quelles seront les implications économiques, stratégiques et politiques en Afrique de l'Ouest, surtout en considérant les contraintes géographiques ?
Nous commencerons par une analyse historique du sujet, puis nous développerons les enjeux contemporains, avant d’esquisser des perspectives. Pour guider notre analyse nous allons nous allons nous appuyer sur deux théories des relations internationales : celle de l’école du néoréalisme et celle des systèmes mondiaux.
La première postule que les États agissent principalement pour maximiser leur sécurité et leur pouvoir dans un système international anarchique, c’est-à-dire dépourvu d’une autorité suprême reconnu par tous. La théorie des systèmes mondiaux d’Immanuel Wallerstein, quant à elle met en exergue le fait que le système mondial est dominé par une économie capitaliste qui divise les pays en centre, semi-périphérie et périphérie. Partant de cela, les relations internationales sont caractérisées par des dynamiques d'exploitation et de dépendance.
Une brève histoire ouest-africaine des alliances
L'Afrique de l'Ouest a connu de nombreuses alliances pour contrer l’impérialisme et mieux associées les forces des États nouvellement indépendant afin de faire face à violence d’un monde injuste caractérisé par des échanges inégaux et la guerre froide.
Le premier de ces regroupements nous reste en souvenir sous la forme du tube Ghana-Guinea-Mali de la star de la musique highlife E.T.Mensah. Le 23 novembre 1958, un an après l’indépendance du Ghana et moins de deux mois après celle de le Guinée, l’union est scellée. Elle prend le nom d’Union Ghana-Guinée. Le 1er mai 1959, pour marquer son ouverture, l'Union est renommée Union des États africains. Quelques mois plus tard, après sa rupture d’avec le Sénégal, le Mali joignit l'Union. L'Union éclata en 1962, lorsque la Guinée s’est rapproché des États-Unis, contre la ligne marxiste de ses partenaires, qui étaient plutôt orientés vers l'Union soviétique. La Fédération du Mali, créée en 1959, a été une union entre le Sénégal et le Soudan français (actuel Mali) visant à former un État fédéral au moment de l'indépendance. Elle s'est dissoute en 1960 en raison de divergences politiques et administratives entre ses principaux dirigeants (Modibo Keïta, Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia) et des manœuvres de l’État colonial français. Pour faire contrepoids à la Fédération du Mali, toujours en 1959, le Conseil de l'Entente à l’initiative de Félix Houphouët Boigny était fondé. Outre la Côte d'Ivoire, le Niger, le Burkina Faso (anciennement Haute-Volta), le Bénin (anciennement Dahomey) et le Togo. Ce regroupement a pour but de à renforcer la coopération économique et politique entre ses membres. S’il est tombé en léthargie, le Conseil de l’Entende n’a jamais été dissous. La Confédération de la Sénégambie, formée en 1982 entre le Sénégal et la Gambie, avait pour objectif d'unifier les politiques économiques et de défense. Cependant, elle a été dissoute en 1989 en raison de tensions politiques, d'un manque de cohésion administrative et surtout des difficultés économiques de l’État sénégalais, qui finançait les institutions confédérales.
La CEDEAO un formidable instrument d’intégration mais miné par les influences extérieures
La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) est une organisation intergouvernementale ouest-africaine créée en 1975 pour promouvoir la coopération et l'intégration économique et monétaire. Son acte fondateur a été entériné par 16 États membres. En 2000, la Mauritanie a quitté l’organisation. Depuis sa création, la CEDEAO a mis en place une zone de libre-échange, un tarif extérieur commun et travaille vers une union douanière complète et une monnaie commune.
Elle a également entrepris des projets d'infrastructure pour améliorer la connectivité régionale, intégrer les réseaux énergétiques et de télécommunications, et garantir la libre circulation des personnes. La CEDEAO a également mis en place des structures pour la prévention et la gestion des conflits, la lutte contre le terrorisme, et le développement socio-économique, notamment dans les domaines de l'agriculture, de la santé et de l'éducation. Elle collabore également avec des organisations internationales pour renforcer la coopération régionale et attirer des investissements étrangers. La CEDEAO joue un rôle crucial dans l'architecture de paix et de sécurité de l'Union africaine (UA), s'inscrivant pleinement dans le cadre de l'Agenda 2063 de l'UA, qui vise à transformer le continent en une puissance mondiale de l'avenir.
Le Protocole Additionnel de la CEDEAO sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance de 2001, vise à renforcer les principes de gouvernance démocratique dans les États membres. Il réaffirme l'importance de la séparation des pouvoirs, de l'indépendance de la justice, et de la nécessité d'élections libres et transparentes pour toute accession au pouvoir. Le protocole met également l'accent sur la neutralité de l'État en matière religieuse et garantit la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Enfin, il établit des mesures contre la corruption et promeut la lutte contre la pauvreté, tout en encourageant la participation active des femmes et des jeunes dans les processus politiques et sociaux.
Depuis quelques années la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) est confrontée à plusieurs défis et tensions internes qui minent son efficacité et sa cohésion. La région est en proie à des crises dues à divers groupes d’insurgés. Certains d’entre eux revendiquent des affiliations à des groupes djihadistes notamment Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et l'État islamique au Grand Sahara (EIGS). L'insécurité chronique dans le Sahel et les attaques fréquentes déstabilisent les États membres et compliquent les efforts de coopération régionale. Les coups d'État militaires récents au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et au Niger ont profondément perturbé la région. Ces événements ont mis à l'épreuve la capacité de la CEDEAO à maintenir la stabilité, la démocratie et à proposer des solutions politiques de sortie de crise. La réponse de l'organisation à ces coups d'État a été variée, allant de la suspension de membres aux sanctions économiques. Elle a été à la base de la crise de l’organisation avec la sortie dans les prochains mois des trois pays formant l’AES.
L'Alliance des États du Sahel (AES)
L'Alliance des États du Sahel (AES) est un projet politique d'intégration régionale qui a vu le jour dans un contexte de crises multiples au Sahel, notamment l'instabilité politique, les défis sécuritaires et les pressions économiques. L'AES regroupe le Mali, le Burkina Faso et le Niger, des États confrontés à des coups d'État militaires récents et à des menaces terroristes persistantes. L'initiative est née de la volonté de ces pays de renforcer leur coopération pour faire face aux défis communs et affirmer leur souveraineté face aux influences extérieures, notamment de la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et des puissances internationales en particulier la France, l’Union européenne et les États-Unis.
L'AES se présente comme un projet confédéraliste, visant à renforcer l'autonomie et la coopération entre ses membres. Les principaux objectifs déclinés dans la charte de création : la sécurité collective (la lutte contre le terrorisme et l'insécurité) par la coordination et la mutualisation des efforts militaires et sécuritaires ; la souveraineté renforcée et l’intégration économique. L'AES aspire à créer un espace économique commun, favorisant la libre circulation des biens, des services et des personnes entre ses membres. Cela inclut la mise en place de projets d'infrastructure transnationaux et le renforcement des échanges commerciaux intrarégionaux. Ces objectifs ne sont pas en réalité différents que ceux que poursuivent la CEDEAO.
Pour envisager l'avenir de l'Alliance des États du Sahel (AES), il est utile d'analyser cette initiative à travers deux grandes théories des relations internationales : la théorie des systèmes mondiaux d'Immanuel Wallerstein et celle de l'école néoréaliste. Ces deux cadres permettent de comprendre les dynamiques structurelles et les rapports de force qui pourraient influencer le devenir de l'AES.
Selon Wallerstein, le monde est divisé en trois zones : le centre, la semi-périphérie et la périphérie. Les pays du centre dominent l'économie mondiale, tandis que les pays de la périphérie sont exploités pour leurs ressources, subissant les effets de la domination économique et politique des pays du centre. Les pays de la semi-périphérie occupent une position intermédiaire, profitant de certaines marges de manœuvre tout en restant sous l'influence des puissances centrales.
Les États membres de l'AES (Mali, Burkina Faso, Niger) se situent clairement dans la périphérie du système mondial, caractérisés par des économies dépendantes des exportations de matières premières et une dépendance vis-à-vis de l'aide internationale. Cette position périphérique limite leur capacité à influencer les dynamiques globales et les rend vulnérables aux pressions extérieures.
Dans le cadre de la théorie des systèmes mondiaux, l'AES pourrait être vue comme une tentative de ces États périphériques de résister à l'exploitation par les centres de pouvoir mondiaux (notamment les anciennes puissances coloniales comme la France et les institutions financières internationales). En se regroupant, les membres de l'AES cherchent à renforcer leur autonomie et à réduire leur dépendance par rapport au système mondial dominé par les pays occidentaux.
Toutefois ces efforts sont souvent limités par les structures rigides du système mondial qui maintiennent les inégalités entre le centre et la périphérie. Il est donc possible que, malgré leurs efforts, les membres de l'AES continuent de subir les contraintes du système mondial, notamment à travers des sanctions économiques, des pressions politiques internationales, ou l'influence continue des puissances extérieures dans la région.
L'école néoréaliste, notamment incarnée par des théoriciens comme Kenneth Waltz, part du principe que le système international est anarchique, c'est-à-dire qu'il n'existe pas d'autorité supérieure aux États pour réguler leurs interactions. Dans ce contexte, chaque État cherche à maximiser sa sécurité et sa survie, souvent en formant des alliances stratégiques.
L'AES peut être interprétée comme une réponse rationnelle des États membres à un environnement régional marqué par l'insécurité et l'instabilité. En se regroupant, ces États espèrent renforcer leur sécurité collective face aux menaces terroristes, aux ingérences étrangères et aux pressions des organisations régionales comme la CEDEAO. Pour les néoréalistes, cette alliance est donc une tentative de balance of power (équilibre des pouvoirs) visant à contrer l'influence des acteurs plus puissants de la région.
Dans une perspective néoréaliste, la viabilité de l'AES dépendra de la capacité des États membres à maintenir un équilibre interne et à prévenir l'émergence de tensions entre eux. L'alliance pourrait renforcer leur position collective dans un environnement international, mais seulement si les États membres parviennent à coopérer efficacement et à éviter les divisions internes. Cependant, les alliances de ce type sont souvent temporaires et motivées par des intérêts pragmatiques. Si les circonstances changent (par exemple, si l'un des membres de l'AES améliore ses relations avec une puissance extérieure ou si les menaces sécuritaires diminuent), l'alliance pourrait se désagréger. En outre, les États extérieurs à l'AES, percevant cette alliance comme une menace potentielle, pourraient chercher à la diviser ou à la neutraliser par des moyens diplomatiques ou économiques.
L'Alliance des États du Sahel : entre défiance et stratégies politiques
La formation de l'AES représente une réponse collective face aux sanctions imposées par la CEDEAO. Toutefois, derrière la rhétorique de défiance affichée par ces pays à l'égard de la CEDEAO, se cachent des dynamiques complexes et des enjeux stratégiques profonds. Dans leur communication, les membres de l'AES annoncent tourner le dos à la CEDEAO, affirmant ainsi leur volonté de rompre avec une organisation perçue comme un instrument d'influence étrangère, notamment française. Cependant, cette posture semble quelque peu paradoxale. En effet, si la CEDEAO a effectivement prononcé des sanctions à l'encontre de ces pays, les mesures les plus sévères ont été imposées par l'UEMOA, une organisation régionale économique et monétaire à laquelle ils sont également affiliés. Pour le Niger, des sanctions inédites ont été prises. En contradiction avec les textes fondateurs de l'UEMOA, le gel des avoirs du pays à la Banque Centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) a été ordonné.
En ciblant principalement la CEDEAO, les membres de l'AES semblent détourner l'attention du véritable contentieux : leur appartenance à l'UEMOA et, par extension, leur utilisation du franc CFA. Cette monnaie, symbole de l'influence persistante de la France en Afrique de l'Ouest, est au cœur des critiques de ceux qui appellent à une émancipation économique. La question se pose donc : les États membres de l'AES envisagent-ils de quitter l'UEMOA et de créer une nouvelle monnaie pour affirmer davantage leur indépendance ? Une telle décision serait lourde de conséquences économiques, mais pourrait également marquer un tournant dans les relations de ces pays avec la France et les autres puissances régionales notamment la Côte d’Ivoire.
Une stratégie à double tranchant
Quitter la CEDEAO n'est pas sans précédent. La Mauritanie, par exemple, a quitté l'organisation en 2000, marquant ainsi son désaccord avec certaines de ses orientations. Toutefois, les membres de l'AES doivent se méfier des répercussions régionales d'une telle démarche. Depuis 2017, le Maroc, une puissance régionale ambitieuse, cherche à intégrer la CEDEAO. Le départ du Mali, du Niger et du Burkina Faso pourrait ouvrir la voie à l'adhésion du Maroc, modifiant ainsi les équilibres géopolitiques de la région. Dans un tel scénario, quelle serait la stratégie de l'AES ? Pourrait-elle envisager de se rapprocher de l'Algérie, une autre puissance régionale ?
Un rapprochement avec l'Algérie, un acteur économique, démographique et militaire majeur, pourrait renforcer l'AES. Cependant, les relations entre le Mali et l'Algérie sont historiquement ambivalentes, marquées par une méfiance réciproque. Si l'Algérie rejoignait l'alliance, elle exercerait inévitablement un leadership en raison de sa puissance relative, ce qui pourrait créer des tensions au sein de l'AES. Le Mali, en particulier, pourrait hésiter à accepter un partenaire aussi influent, craignant une dilution de son propre pouvoir dans une alliance dominée par un voisin puissant.
Opportunités régionales : changement de régime au Sénégal et neutralité du Togo
La configuration actuelle au sein de la CEDEAO offre cependant de nouvelles opportunités aux membres de l'AES. Le changement de régime au Sénégal, un acteur clé de la CEDEAO, pourrait redéfinir les équilibres politiques au sein de l'organisation. Le nouveau gouvernement sénégalais a déjà annoncé qu’il aura une posture moins alignée sur les positions traditionnelles de la CEDEAO. Cela offre un espace de manœuvre aux pays sahéliens pour influencer les décisions au sein de l'organisation. De plus, la neutralité bienveillante affichée par le Togo dans les récents conflits au sein de la CEDEAO pourrait être un levier stratégique pour l'AES. Le Ghana et le Nigeria n’ont aucun intérêt à un affaiblissement de la CEDEAO. En s'alliant à des États qui partagent une vision plus flexible et moins interventionniste, le Mali, le Niger et le Burkina Faso pourraient changer la donne au sein de la CEDEAO, en favorisant une approche plus respectueuse de la souveraineté des États et en limitant l'influence des puissances extérieures.
Les implications géopolitiques de l'AES : quels scénarios pour l'avenir ?
La création de l'AES a des implications géopolitiques importantes, tant au niveau régional qu'international. Elle modifie les rapports de force, les alliances et les rivalités entre les acteurs. Elle ouvre également des opportunités et des risques pour le développement, la sécurité et la coopération. On peut envisager trois scénarios possibles pour l'avenir :
Un scénario optimiste, dans lequel l'AES réussit à consolider son intégration et à devenir un pôle de pouvoir et de prospérité en Afrique de l'Ouest. Elle parvient à vaincre le terrorisme, à réduire la pauvreté, à diversifier son économie et à renforcer sa démocratie. Elle entretient des relations pacifiques et constructives avec les autres organisations régionales, notamment la CEDEAO et l'UEMOA, ainsi qu'avec les partenaires internationaux, notamment la France, la Chine et les États-Unis. Elle contribue à la stabilité et au développement du continent africain.
Un scénario pessimiste, dans lequel l'AES échoue à consolider son intégration et à devenir un pôle de pouvoir et de prospérité en Afrique de l'Ouest. Elle est confrontée à des tensions internes, à des crises politiques, à des conflits et à des coups d'État. Elle est également victime de la pression et de la concurrence des autres organisations régionales, notamment la CEDEAO et l'UEMOA, ainsi que des ingérences et des manipulations des partenaires internationaux, notamment la France, l’Union européenne et les États-Unis. Elle devient un facteur d'instabilité et de sous-développement du continent africain.
Un scénario intermédiaire, dans lequel l'AES connaît des succès et des échecs, des avancées et des reculs, des opportunités et des risques. Elle réalise des progrès dans certains domaines, tels que la sécurité, le commerce ou la culture, mais elle rencontre des difficultés dans d'autres, tels que le social ou l'environnement. Elle entretient des relations ambivalentes et fluctuantes avec les autres organisations régionales, notamment la CEDEAO et l'UEMOA, ainsi qu'avec les partenaires internationaux, notamment la France, la Chine et les États-Unis. Elle a un impact mitigé sur la stabilité et le développement du continent africain.
Ces scénarios ne sont pas exclusifs, ni exhaustifs, ni prédictifs. Ils sont simplement des outils d'analyse et de réflexion, qui permettent d'explorer les différentes hypothèses et les différents enjeux liés à la création de l'AES. Ils invitent également à se poser des questions et à proposer des solutions, pour que l'AES soit un projet porteur d'espoir et de progrès, non seulement pour les pays du Sahel, mais aussi pour l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest et du continent africain.
Si elle se concrétise, la formation de l'Alliance des États du Sahel (AES) marquera une rupture significative avec l'ordre régional établi par la CEDEAO et représentera une tentative de réinventer la géopolitique en Afrique de l'Ouest. Née d'un contexte de crises sécuritaires, politiques et économiques, cette alliance reflète le désir des États membres de renforcer leur souveraineté face aux influences extérieures et de trouver des solutions régionales à des problèmes complexes. Cependant, l'AES se heurte à des défis considérables, notamment les pressions internationales, leur enclavement, les risques d'isolement économique, et les tensions internes qui pourraient émerger entre ses membres.
La sortie des pays membres de l'AES de la CEDEAO entraînera des répercussions profondes sur les plans politique, économique et sécuritaire. Politiquement, elle redéfinira les alliances dans la région et ouvrira la voie à une influence accrue des puissances telles que la Russie, la Turquie et la Chine. De même, elle marquera le déclin de l’influence française. Économiquement, cette décision pourrait perturber les échanges commerciaux intrarégionaux et compromettre l'accès aux programmes de développement et aux aides internationales, essentiels pour ces pays.
Sur le plan sécuritaire, la sortie de la CEDEAO pourrait modifier les dynamiques migratoires et affecter la lutte contre le terrorisme. Les États membres de l'AES devront trouver de nouveaux moyens de coopérer sur ces questions, en dehors des cadres traditionnels offerts par la CEDEAO. L'AES pourrait ainsi se retrouver à devoir assumer des responsabilités supplémentaires en matière de sécurité régionale, tout en gérant les défis économiques et politiques associés à leur nouvel isolement relatif.
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7. Banque Centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO). (2024). Sanctions contre le Niger. Dakar : BCEAO.
8. Médard, J. F. (1982). État et bourgeoisie en Côte d'Ivoire. Y. A. Fauré (Ed.). Éditions Karthala.
9. Fanchette, S. (2001). Désengagement de l’État et recomposition d’un espace d’échange transfrontalier : la Haute-Casamance et ses voisins. Autrepart, (3), 91-113.
10. Candidature du Maroc à la CEDEAO. (2017). Documents de candidature. Rabat : Royaume du Maroc.
11. Alliance des États du Sahel (AES). (2024). Charte de l'Alliance des États du Sahel. Niamey, Niger.
12. CEDEAO. (1975). Acte de Création de la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Lagos, Nigeria.
Par Hamidou ANNE
LA DIPLOMATIE SOUS MACKY SALL
Après avoir parcouru «Macky Sall : 12 ans à la tête du Sénégal», je confirme ce que j’ai souvent rappelé, relativement aux succès diplomatiques accumulés durant ces douze dernières années
Gouverner c’est faire sienne l’assertion de Edouard Glissant : «Agis dans ton lieu, pense avec le monde.» C’est ainsi avoir la finesse et la présence d’esprit de ne pas soliloquer et assumer la responsabilité de l’action transformatrice de son pays tout en logeant sa trajectoire dans le temps du monde. Mieux que les discours creux, l’agir est fécond et permet de bâtir une œuvre censée nous survivre en tant qu’homme. Après le silence qu’impose l’action créatrice, les résultats surgissent et disent tout du temps passé au labeur. Le temps de l’action est suivi de celui de la reddition des comptes aux mandants qui, en démocratie, restent, en dernier lieu, les souverains.
La semaine dernière, les anciens collaborateurs du Président Macky Sall ont présenté son ouvrage bilan, qui retrace une action durant plus d’une décennie. Toute œuvre humaine est perfectible, mais incontestablement le Sénégal de 2024 est largement meilleur que celui légué en 2012. L’ouvrage présenté rend compte aux citoyens de la gestion publique, en vue de mettre à leur disposition une information juste, loin de la confusion, de la manipulation et des anathèmes. Il est possible d’apprécier positivement ou négativement l’action publique sous la houlette du Plan Sénégal émergent, mais il n’est guère aisé de contester ce que tous les chiffres des agences nationales et des organismes internationaux démontrent. Le Sénégal, sous le magistère du Président Sall, a effectué un grand bond en avant sur le plan économique. Les piliers sont solides, les infrastructures transforment le visage du pays, des villes aux campagnes, et la politique sociale touche directement les ménages. La politique de la Nation définie par le Président Sall et rappelée à chaque Déclaration de politique générale par ses Premiers ministres qui se sont succédé devant la Représentation nationale a porté ses fruits.
Après avoir parcouru «Macky Sall : 12 ans à la tête du Sénégal», je confirme ce que j’ai souvent rappelé, relativement aux succès diplomatiques accumulés durant ces douze dernières années. Le Président Sall s’est inscrit dans la continuation de notre trajectoire diplomatique inaugurée par le Président Senghor et entretenue depuis, en dépit des changements de majorité. Nous sommes une voix respectée et estimée sur la scène internationale malgré la modestie de notre poids économique.
La politique étrangère du Président Macky Sall s’est incarnée dans la conservation des acquis de ses prédécesseurs tout en labourant de nouveaux territoires d’opportunités. Ainsi, nous avons réitéré le vieux principe d’une diplomatie de la souveraineté «sans exclusivité ni exclusion» tout en nouant de nouveaux partenariats stratégiques, conformément à notre agenda pour l’émergence économique.
Dakar est restée une place forte de la diplomatie internationale ; et malgré la rationalisation de notre carte diplomatique et le redéploiement de nos ressources humaines et financières en 2012, notre capacité de projection à l’international s’est accrue. Sous le Président Sall, la diplomatie sénégalaise a obtenu des résultats majeurs ayant trait notamment à la poursuite des objectifs stratégiques liés à la paix et la sécurité internationales, à la promotion de la démocratie, à l’intégration africaine et à la traduction concrète des Objectifs des Nations unies pour le développement durable.
Au plan régional, c’est le Président Macky Sall en personne qui a pesé de tout son poids pour le respect du verdict des urnes en Gambie, avant d’être suivi par la Cedeao. Les efforts régionaux coordonnés ont ramené la démocratie dans ce pays plus que voisin mais frère siamois. L’érection du pont sur le fleuve Gambie, après des décennies de danse du tango, a rapproché les deux capitales et les deux versants d’un même peuple.
S’agissant de nos relations avec la Mauritanie, le pont de Rosso et l’exploitation conjointe du gisement gazier Grand Tortue Ahmeyim constituent la preuve matérielle que l’ère des conflits de voisinage est révolue au profit d’un partenariat gagnant-gagnant.
Loin des saillies panafricanistes sans acte concret, durant la pandémie du Covid-19, le Sénégal a acquis 200 000 doses de vaccin, et a choisi de mettre 10% du stock à la disposition de la GuinéeBissau et de la Gambie.
Pour la préservation de la paix et la promotion de la démocratie, la diplomatie sénégalaise a envoyé des troupes au Mali dans le cadre de la Minusma. Nos soldats sont morts pour la souveraineté et l’intégrité du territoire du Mali.
Après le putsch du chef du Rsp au Burkina, la médiation du Président Sall a permis le retour à une transition, qui a conduit le pays à une élection libre et transparente.
En sa qualité de président en exercice de l’Union africaine, le Président Macky Sall a facilité le choix de l’Afrique d’adopter une position de neutralité après l’éclatement du conflit russo-ukrainien. Aussi, ses appels à un cessez-le-feu et au retour de la paix définitive ainsi que ses déplacements à Sotchi et à Kiev ont placé le Sénégal au centre de l’agenda géopolitique mondial.
Sous le Président Sall, nous avons toujours condamné les coups d’Etat dans la sous-région et avons montré notre disponibilité à accompagner les transitions en vue d’un retour à un ordre constitutionnel. Conformément à notre tradition républicaine, et en cohérence avec les choix de nos Pères fondateurs, une autorité sénégalaise doit toujours promouvoir la démocratie et l’Etat de Droit partout où ceux-ci sont menacés.
C’est avec une immense fierté, un jour de septembre 2023, que j’ai appris l’entrée de l’Afrique au G20, grâce au talent des diplomates sénégalais, à leur finesse et à leur capacité à fédérer les énergies en Afrique et auprès des pays industrialisés afin d’obtenir l’unanimité sur le sujet.
La politique étrangère d’un pays a deux incarnations concrètes : le diplomate et le soldat. C’est parce que nous avons toujours eu une armée républicaine, une diplomatie sobre et efficace au service d’un leadership ambitieux, que le Sénégal est une grande nation. C’est sur ces acquis solides que le Président Sall a bâti une diplomatie économique ayant permis au Sénégal de se hisser parmi les 10 nations qui attirent le plus d’investissements directs étrangers.
Un homme d’Etat pense le long terme et agit pour laisser une trace dans l’histoire. Ce bilan présenté par le précédent régime est éloquent. Il contredit les rodomontades des partisans du nihilisme et les adeptes de la rhétorique fumeuse d’un Etat en ruine. Ce bilan doit être montré partout afin que la vérité, que certains esprits chagrins tentent de cacher, soit étalée sur la place publique pour débusquer et combattre les populismes et les oppositions à la République.
Enfin, cet ouvrage rappelle l’attachement du Président Sall au multilatéralisme inclusif. Il a en effet décidé d’ériger Dakar comme la 4ème capitale des Nations unies, après New York, Genève et Nairobi. C’est cette vision qui a sous-tendu l’édification en décembre 2023 de la Maison des Nations unies à Diamniadio.
Au soir du 2 avril 2024, le Président Macky Sall a laissé un pays aux fondements économiques solides et à la démocratie performante. Aussi, notre pays rayonne grâce à une politique étrangère ambitieuse, intelligente et efficace.
Macky Sall laisse une diplomatie à la hauteur de l’histoire de notre pays et de la grandeur de son peuple. Le Sénégal, démocratie solide, économie croissante, est désormais une puissance diplomatique qui compte et pèse sur la scène internationale. C’est un héritage lourd et précieux dont il faut se montrer digne quand on a l’insigne honneur de porter sur la scène internationale la voix du Sénégal.
Par Fadel DIA
MULTIPLE PHOTOS
QUAND LES VAINCUS ÉCRIRONT L’HISTOIRE
La commémoration de Thiaroye 44 doit être l’occasion d’une prise de parole pour bien signifier que « le temps de nous-mêmes » est arrivé, celui de nous réapproprier notre passé colonial, sans en occulter les zones d’ombre
«L’Histoire est écrite par les vainqueurs », aurait dit Winston Churchill, et quand le vainqueur a le monopole de ses sources, le risque est énorme qu’elle ne soit pas écrite par les faits. Les hommes et les femmes de ma génération avaient appris à l’école coloniale plus de choses sur le passé de ce qu’on appelait alors la Métropole que sur celui de leur propre pays et ce qu’ils savaient de celui-ci n’avait rien de glorieux.
Samory Touré était un bandit des grands chemins, El hadj Omar un fanatique et l’empreinte de cet enseignement était si prégnante que bien après notre indépendance, il y avait des Sénégalais pour encenser Faidherbe, l’affubler affectueusement du patronyme Ndiaye ou s’offusquer qu’Iba Der Thiam ait décidé de débaptiser le lycée qui portait son nom. Je ne crois pas pourtant qu’il y ait un « Lycée Bismarck » en France et la Place Waterloo est, à ma connaissance, sise au quartier Saint James à Londres et non au cœur des Champs Elysées à Paris.
C’est pour ces raisons que la décision des autorités sénégalaises de rendre hommage aux victimes de Thiaroye, sans solliciter l’aval, le soutien ou l’appui logistique de l’ancienne métropole, marque un tournant dans nos relations. La dernière fois qu’une cérémonie s’était tenue sur les mêmes lieux et à ce niveau de représentation c’était il y a dix ans, et comme c’était la règle, le représentant de la France était commis aux discours et aux grandes annonces, tandis que le rôle de la partie sénégalaise s’était limité à « potemkiniser » le site pour qu’il ne donne pas l’impression d’inaugurer un champ de pommes de terre. Nous avons toujours été les spectateurs de notre histoire coloniale, c’est l’ancien colonisateur qui donnait le ton, fixait le calendrier, proclamait les vérités, choisissait les héros et distribuait les hommages. Nous l’avons vu « cristalliser » les pensions qu’elle devait aux soldats africains qui avaient combattu dans ses armées, puis décider de les dégeler, avec une pointe de mesquinerie, sans jamais lui demander quel usage elle avait fait des retenues opérées sur les salaires et les primes des mutins de Thiaroye. Elle décerne à une poignée de Tirailleurs le titre glorieux de « mort pour la France », sans se donner la peine de nous dire pour qui étaient morts les dizaines de milliers de nos compatriotes qui gisent, dans des sépultures souvent anonymes, sur son sol ou en Syrie, en Lybie ou dans les Dardanelles. Elle vient seulement de décider d’accorder à ceux d’entre eux qui avaient servi sous son drapeau et qui sont encore en vie, tous plus qu’octogénaires, ce qu’elle présente comme un suprême privilège : ils pourront finir leurs jours près de leurs familles, alors qu’ils étaient jusque-là contraints de séjourner sur son territoire une partie de l’année, dans la solitude et l’ennui, sous peine de perdre le bénéfice de leurs pensions. C’est elle qui décide à quel évènement de notre histoire commune peuvent prendre part nos dirigeants et quelle y sera leur place. Ils ont été exclus de la commémoration du débarquement en Normandie et sont surreprésentés à celle, presque confidentielle, du débarquement en Provence. Si l’argument est que les soldats originaires d’Afrique subsaharienne et du Maghreb étaient absents en Normandie alors qu’ils constituaient plus de la moitié des forces françaises débarquées en Provence, qu’on nous explique la présence à Omaha Beach de tous ces chefs d’Etat, rois et reines de pays européens qui n’avaient pas non plus participé au débarquement du 6 juin1944 et celle de l’Allemagne, invitée de marque à la cérémonie, alors qu’elle était de l’autre bord puisque l’ennemi c’était elle !
Cet impérialisme du troisième type n’est évidemment pas une marque française, il est dans la nature de toutes les anciennes puissances coloniales européennes. C’est sur la base de critères et de dates arrêtés par leurs soins qu’elles soldent leur passé colonial, en décidant de se contenter de « reconnaitre » les crimes et les horreurs qu’elles ont commis (François Hollande, en 2012, pour les « souffrances » subies par le peuple algérien ), ou de se résoudre à les « regretter » ( le roi des Belges, en 2022, pour « le rôle » de son pays dans la colonisation du Congo ), ou de concéder des « excuses » en bonne et due forme (le gouvernement des Pays-Bas, en 2018, pour leur « siècle d’or » de colonisation et d’esclavage, ou le Premier ministre belge, en 2022, pour l’assassinat de Lumumba etc.) On aura remarqué que ce sont encore elles qui, une fois déterminé le degré de leur compassion, choisissent l’autorité à laquelle incombe cette insupportable mission : le gouvernement (par une simple et anonyme déclaration), le Parlement, un ministre ou le chef du gouvernement, ou plus rarement, le président ou le roi. Il est en revanche totalement exclu de se prêter à une humiliante repentance, tout comme il est exclu - (à une exception près : l’Allemagne pour le génocide des Hereros) - de promettre des réparations…
Ce qui s’est passé à Thiaroye, il y a 80 ans, n’est pas qu’une banale insurrection de soldats floués, c’est l’acte fondateur de toutes les révoltes qui devaient nous conduire à nous libérer du joug colonial. Sa célébration par ses victimes doit être l’occasion d’une prise de parole pour bien signifier que « le temps de nous-mêmes » est arrivé, celui de nous réapproprier notre passé colonial, sans en occulter les zones d’ombre. On notera au passage que c’est déjà perceptible dans la sémantique : Il y a dix ans François Hollande parlait de « répression sanglante » alors que le communiqué du gouvernement sénégalais évoque un « massacre », ce qui implique un grand nombre de victimes dans l’impossibilité de se défendre.
Cette célébration ne peut pas, ne doit pas, être une commémoration à l’échelle d’un seul Etat, mais en communion avec tous les pays d’où étaient issus les Tirailleurs, qui étaient loin d’être majoritairement Sénégalais et dont même, disait-on, « la langue officielle » était le bambara !
On nous annonce la présence d’Emmanuel Macron ? Chiche ! Mais seulement s’il a la courtoisie d’attendre qu’on l’y invite, au lieu de forcer notre porte comme le font tous les présidents français chaque fois qu’ils sont élus. S’il ne cherche pas à faire de la com et à dénaturer la cérémonie en tirant la couverture sur lui. S’il a du nouveau à apporter, qui soit grand, désintéressé et généreux. S’il est prêt, éventuellement, à y côtoyer les chefs des juntes qui gouvernent le Mali ou le Burkina, sans distribuer des leçons, en spectateur repentant et respectueux des autres, et non plus en maître des cérémonies…
Mais qu’il soit présent ou non la cérémonie nous laisserait sur notre faim si elle n’était pas l’occasion d’affirmer, solennellement, notre volonté de ne plus laisser aux anciens colonisateurs le monopole de nous apprendre notre passé partagé en recourant à des experts et à des commissions dont ils déterminent les objectifs et dont les travaux sont soumis à leur seule appréciation. Ce serait une belle occasion d’affirmer que nous mettrons désormais en place nos propres instances d’investigation, avec le concours de spécialistes reconnus du monde entier, mais surtout avec nos propres experts, et pas seulement des historiens, qui s’appuieraient sur le vécu de nos populations et sur les archives qu’ils devront bien nous ouvrir ou nous restituer.
Alors l’histoire sera aussi écrite par les vaincus…