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24 avril 2025
Politique
À DAKAR, LE FRONT DE MER PROGRESSIVEMENT ROGNÉ
Depuis des années, les promoteurs ont pris pour cible le rivage de carte postale de la ville, érigeant hôtels et résidences de luxe et défigurant petit à petit le paysage en se jouant d'une législation complexe et peu appliquée
Une matinée a suffi aux bulldozers pour faire tomber des pans de la colline du phare de Mamelles. Le site, d'où la vue est à couper le souffle, subit les assauts des promoteurs immobiliers, comme une bonne partie du front de mer de Dakar.
Fin mai, un homme s'est présenté avec un permis et a entrepris de terrasser au pied de la colline pour construire un hôtel, causant la stupéfaction des habitants et des élus locaux, raconte Mamadou Mignane Diouf, de l'ONG Forum social.
Pourtant, "ici, personne ne doit construire", dit-il, car la colline, surmontée d'un phare emblématique depuis 1864, est une zone verte protégée.
La capitale sénégalaise, métropole de trois millions d'habitants en rapide expansion sous la pression de l'exode rural, se sent de plus en plus à l'étroit sur sa péninsule qui s'enfonce dans l'Atlantique.
Depuis des années, les promoteurs ont pris pour cible son rivage de carte postale, érigeant hôtels et résidences de luxe et défigurant petit à petit le paysage en se jouant d'une législation complexe et peu appliquée.
Les Dakarois ordinaires se plaignent de cette privatisation du littoral, qui réduit l'accès à la mer et aux plages dans une ville manquant cruellement d'espaces de loisirs collectifs.
- Electrochoc -
La destruction d'une partie de la colline des Mamelles, bien que loin d'être un fait sans précédent, a constitué un électrochoc et soulevé de nombreuses protestations.
Avec la colline voisine, surmontée de l'imposant monument de la Renaissance africaine, bâti par la Corée du Nord, les deux monticules volcaniques d'une centaine de mètres de haut portent le nom évocateur de "Mamelles".Elles sont un élément reconnaissables entre tous du paysage, auxquels les Dakarois sont attachés.Leurs abords sont déjà largement urbanisés.
Après des protestations dans la presse et sur les réseaux sociaux, la police a interrompu le terrassement, qui laisse un trou béant au ton ocre.
"Ils ont déjà causé beaucoup de dégâts", regrette M. Diouf en parcourant un amas de gravats et en se demandant "pourquoi quelques privilégiés pensent qu'eux seuls ont droit d'accéder au littoral, de le privatiser, de le fermer et de permettre uniquement à eux et à leur famille d'y accéder au détriment des autres Sénégalais".
Le ministre de l'Urbanisme, Abdou Karim Fofana, assure à l'AFP que le gouvernement du président Macky Sall, au pouvoir depuis 2012, travaille à une nouvelle loi de protection du littoral.
Mais l'attribution sous les précédents régimes de titres de propriété et de permis de bâtir signifie que de nombreux projets immobiliers vont probablement se poursuivre, explique-t-il avec une dose de fatalisme.
"Il faut sauvegarder les parties non occupées, faire en sorte que les Sénégalais et la population dakaroise y aient accès", dit-il.
- "La loi des plus forts" -
Pays pauvre de 16 millions d'habitants, le Sénégal s'est engagé dans un programme de développement et de modernisation.La construction d'autoroutes, le développement de carrières de calcaire et la construction à tout-va de logements pèsent sur l'environnement, déjà mis à mal par le changement climatique et la déforestation sauvage.
Pour Marianne Alice Gomis, une élue dakaroise spécialiste d'urbanisme, "le problème principal vient des titres liés à la propriété foncière", le cadastre étant très lacunaire.
La majorité des constructions à Dakar sont illégales, dit-elle, en soulignant que de nombreux responsables méconnaissent les codes urbanistiques.
Mme Gomis cite en exemple un conflit qui oppose sa commune (subdivision de Dakar), Mermoz-Sacré-Coeur, au promoteur d'un projet d'appartements qui verrait le jours aux abords d'une des plus grandes plages.La commune de Mermoz affirme que le terrain litigieux se situe sur son territoire.Le promoteur détient un permis de bâtir, mais il a été délivré par une commune voisine.
Le maire de Mermoz, Barthélémy Diaz, a qualifié l'opération "d'agression flagrante sur le domaine public maritime" et estimé qu'il "s'agit d'une contribution significative de ce promoteur à l'érosion côtière"."Et c'est cela qui est inadmissible", a-t-il ajouté.
Balla Magassa, 43 ans, est propriétaire d'un petit bar sur ce qui reste de la plage des Mamelles, au pied de la colline.Déjà entouré de bâtiments, il craint d'être définitivement chassé par de nouveaux projets."C'est simplement la loi des plus forts", dit-il.
MARCHÉ SANDAGA : LA DÉMOLITION DÉMARRE VENDREDI PROCHAIN
Les commerçants sont avertis. Le marché Sandaga sera rasé à partir de vendredi prochain, 4 juillet 2020.
Les commerçants sont avertis. Le marché Sandaga sera rasé à partir de vendredi prochain, 4 juillet 2020. Mais il y a de l’électricité dans l’air. Car renseigne L’As, bien que favorables au projet, des commerçants, regroupés au sein du collectif ’’And Taxawu Sandaga’’, grognent, dénonçant un coup de force.
Normalement, l’opération de décantinisation concernera les nombreuses cantines jouxtant le mythique marché Sandaga. Ainsi, les occupants ont été sommés de déguerpir au plus tard vendredi.
Dans le cadre du processus de modernisation des marchés de Dakar mené de concert par l’État et les collectivités territoriales, un site de recasement a été implanté au champ des courses pour reloger les commerçants du marché Sandaga.
En compagnie des maires de Dakar et de la Médina, Soham El Wardini, et Bamba Fall, le ministre de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique, Abdou Karim Fofana, avait visité les lieux, rassurant sur les dispositions prises pour le relogement des commerçants dans le nouveau marché.
Une affaire à suivre.
FRAUDE SUR LES LICENCES DE PÊCHE
Adama Lam, ancien directeur de la Sopasen, se prononce sur les implications et les enjeux de l’introduction de 56 navires de pêche dans les eaux sénégalaises, en violation, selon lui, de toutes les procédures régissant le secteur
Membre éminent du secteur de la pêche depuis 35 ans environ, ancien directeur de la Sopasen, M. Adama Lam se prononce ici sur les implications et les enjeux de l’introduction de 56 navires de pêche dans les eaux sénégalaises, en violation, selon lui, de toutes les procédures et des règles régissant le secteur. Il estime que si les choses ne sont pas corrigées rapidement c’est toute la pêche sénégalaise qui est condamnée à disparaître à moyen terme.
Depuis un certain temps, le ton monte entre les organisations des pêcheurs et leur ministère de tutelle à la suite de l’agrément d’une cinquantaine de bateaux chinois. Pourquoi la situation actuelle est-elle plus grave que quand on a parlé de bateaux russes, ou même, de la mise en place d’usines à farine de poisson ?
Votre question appelle d’abord la nécessité de bien camper le sujet pour permettre au lecteur de bien saisir la problématique. On dit que la répétition est pédagogique.
Le Gaipes avait constaté vers le mois de septembre 2019, des mouvements importants de navires chinois et turcs dans le port de pêche au môle 10 du Pad, avec des débarquements de poissons divers dans des cartons sans aucune inscription, ce qu’on appelle des cartons neutres. Le Groupement s’est renseigné et a obtenu une copie d’une licence d’un navire chinois portant une immatriculation sénégalaise, avec sur la licence : Pêche demersale profonde, option poissonniers céphalopodiers. En professionnels de la pêche, nous avions noté que cette option n’existait pas dans le code de la pêche, ni dans son décret d’application et en plus, nous nous demandions si la sénégalisation du navire était conforme à la loi. Pour en avoir le cœur net, le Gaipes a saisi le ministère chargé des Pêches pour des éclaircissements.
C’est ainsi que Madame la ministre de l’époque a convoqué une réunion élargie aux autres acteurs de la pêche artisanale. Après confirmation de l’existence de cette licence «hors la loi» par le Directeur des Pêches Maritimes (Dpm) avec comme justificatif de cette décision qu’un ministre pouvait donner une licence qui n’était pas dans la loi, Mme la ministre a décidé de mettre en place une commission technique composée des professionnels industriels, pêcheurs artisans et des techniciens du Département des pêches pour faire la lumière sur cette affaire. Je signale que lors de cette réunion, l’Administration des pêches ne voulait pas donner ou indiquait ne pas savoir le nombre exact de navires qui ont bénéficié de ces licences illégales. Cette commission a tenu deux séances et identifié 12 navires dont les licences sont jugées non conformes à la loi. Cette commission n’a jamais demandé la régularisation de ces dossiers, et cela se comprend car le travail n’était pas exhaustif et terminé.
Mme la ministre a été remplacée au Département des pêches au mois de novembre 2019 et les travaux de la commission ont été purement et simplement arrêtés. Les acteurs de la pêche artisanale et ceux de la pêche industrielle ont alors saisi l’Ofnac pour signaler que de forts soupçons de corruption et de concussion pèsent sur la délivrance de ces licences dont on ne veut pas divulguer le nombre. 12 erreurs, c’est impossible à croire pour des dossiers qui passent devant autant de professionnels qui gèrent les licences !
Au mois d’avril, en plein Etat d’urgence dû au Covid 19, le directeur des Pêches maritimes a convoqué une autre séance de la Commission consultative d’attribution des licences de pêches pour étudier à domicile, 56 nouveaux dossiers de demandes de promesses de licences de bateaux chinois et turcs. Les membres de la commission devaient répondre par oui ou non sur les dossiers, ce qui est contraire à l’esprit de la commission dont les échanges sont interactifs en tenant compte de l’avis du Crodt (Centre de recherches océanographiques de Dakar-Thiaroye) sur la disponibilité des ressources halieutiques, presque toutes surexploitées ou en pleine exploitation. Bref, notre demande de report de la réunion du fait du nombre de bateaux, du contexte de la pandémie, de la nécessaire rencontre avec le ministre de tutelle pour attirer son attention sur la gravité de la situation, a reçu une fin de non-recevoir. La presse est saisie pour alerter l’opinion.
Pour répondre à votre question, il m’a paru nécessaire de faire ce rappel, tellement la situation est inédite dans l’histoire halieutique de notre pays. 56 navires (dont 52 sont des étrangers) à étudier et on se rend compte qu’il y a déjà 56 autres bateaux dans la pêcherie des eaux sénégalaises. S’il est vrai que les 56 premières demandes ont été théoriquement rejetées ces derniers jours, le problème reste entier avec 56 navires étrangers ayant bénéficié de licences de pêche et de sénégalisation. C’est le désastre le plus important tant par le nombre que par les espèces effectivement ciblées et débarquées par ces bateaux (poissons des fonds moyens (thiofs, diarègne, sompatte, etc.), poissons de surface (pélagiques : yaboy, diaye, weuyeung) dont vivent nos populations, et surtout espèces que cible aussi la pêche artisanale. Les bateaux russes faisaient des incursions dans la pêcherie avec l’accord secret de l’Etat et arrêtaient leur intervention avec la pression des pêcheurs sur les décideurs. Mais cette fois-ci, ces bateaux chinois sont introduits de manière définitive avec leur sénégalisation non conforme aux lois de notre pays.
Cette question est aussi plus destructrice que les usines de farine de poisson parce que les navires pêchent pour exporter sur le stock de poissons que la pêche artisanale a l’habitude de capturer. Les usines de farine de poissons privaient nos populations de poissons, nos femmes transformatrices de matières premières et enfin incitaient à une surexploitation des petits pélagiques, ce qui conduirait à une grave crise alimentaire, mais le prélèvement devrait être fait par des pirogues si le gel des licences est respecté.
Des informations contradictoires sont avancées en ce qui concerne l’état de la ressource halieutique. A qui selon vous, devrait-on se fier ?
L’avis de la recherche scientifique (Crodt) a été volontairement ignoré en ce qui concerne l’introduction de ces navires dans le pavillon et la pêcherie, avec évidemment, la complicité de Sénégalais qui servent de prête-noms. Le faux prétexte, c’est de dire que des campagnes d’évaluation directes des stocks de poissons n’ont pas été faites. Mais pourquoi elles n’ont pas eu lieu ? Parce qu’un avis du Crodt, qui s’appuie sur des constats physiques, dérange. Les crédits budgétaires qui ont été votés pour qu’il fasse son travail n’ont pas été mis à sa disposition selon les informations reçues.
Je parle de faux prétexte aussi parce que malgré cela, une évaluation indirecte des ressources halieutiques par le Crodt est possible. La preuve, c’est que, saisi par le Gaipes au nom de la coalition des pêcheurs, le Centre de recherche halieutique (Crodt) a émis un avis sans appel sur l’état désastreux des stocks de poissons pour la plupart des pêcheries. L’avis du Crodt est fondamental pour la possibilité de donner ou non des licences de pêche. Mais, même en dehors du principe de précaution qui recommande la prudence en matière de ressources épuisables, comment comprendre que l’on interdise l’immatriculation de nouvelles pirogues en faveur de la pêche artisanale, que l’on interdise l’immatriculation de nouveaux bateaux par les industriels sur la pêche démersale côtière, que l’on mobilise dans un projet de l’Etat des fonds pour la destruction de navires sénégalais afin de réduire l’effort de pêche, pour ensuite donner 56 licences de pêche à des navires étrangers faussement sénégalisés ! Le comble, c’est que l’on commence par donner les licences sur un segment de pêche qui n’existe pas dans la loi, qu’on «régularise» sur la base de promesses de licences non conformes aux textes législatifs, et qui plus est, sur un stock inexistant ! Tout cela est fait sciemment et des navires étrangers ôtent le pain de la bouche des pêcheurs et des consommateurs sénégalais.
Le vrai débat n’est pas sur une question de nationalité, de couleur de peau ou de stigmatisation d’un pays. Ce sont des ressources nationales régies par des lois et règlements et qui de surcroit, nourrissent nos populations parce qu’étant directement comestibles, contrairement au pétrole et au gaz. Alors pourquoi tant de désintéressement vis-à-vis de ce qui fait le ciment social de notre Nation et qui plus est, la nourrit ?
N’existe-t-il pas de cadre de concertation entre les différents acteurs de la pêche ?
Vous avez raison de poser cette question tellement la contradiction est frappante avec la multitude d’organisations bien structurées dans le secteur de la pêche. Les acteurs ont toujours eu des cadres de concertations mais nous constatons qu’à chaque fois qu’il y a une crise majeure, on essaie d’opposer la pêche artisanale, toutes composantes confondues, à la pêche industrielle. Ces entités sont effectivement les grandes branches du secteur de la pêche maritime. Le but est connu : diviser pour mieux brader la ressource ! Un pays comme le Sénégal a besoin de sa pêche artisanale, de sa pêche industrielle et des acteurs connexes.
Quand le Département des pêches a besoin des acteurs, il sait où les trouver car sur ce dossier, les principaux acteurs parlent d’une même voix dans le cadre de la coalition mise en place et qui continuera d’exister quelles que soient les solutions trouvées. Les ministres passent et laissent toujours en place les acteurs et les ressources halieutiques. La rengaine est la même, faute d’arguments crédibles : c’est le Gaipes qui détruit la mer, c’est le Gaipes qui embarque la pêche artisanale (pourtant très mature) sur des chemins tortueux, c’est le Gaipes qui met les bâtons dans les roues des ministres des Pêches. Pourtant, Messieurs Sadibou Fall, Djibo Ka (paix à son âme), Souleymane Ndéné Ndiaye, Mme Aminata Mbengue, aucun de ces ministres n’a eu des divergences profondes avec les pêcheurs. Il faut donc chercher l’erreur ailleurs ! Le Gaipes ne fait que s’inscrire dans l’objet de sa création, comme tout syndicat : défendre les intérêts matériels et moraux de la profession.
Pour dialoguer, il faut être deux au moins. Le Département des pêches semblerait ignorer, à moins que je ne me trompe, les instructions du chef de l’Etat demandant une large concertation avec tous les acteurs, dans le respect des textes en vigueur. En effet, si on ne discute pas avec ceux qui sont membres de la coalition où tous les acteurs qui contestent les décisions sont représentés, c’est qu’on ne veut pas trouver une solution.
De deux choses hypothétiques l’une, en souvenir de mon passage dans l’Administration : la tutelle a reçu des instructions fermes de donner des licences de pêche. Si cela est exact, la mise en œuvre ne peut s’opérer que dans le respect des textes en vigueur, comme aimait le rappeler feu Jean Collin (Que la terre lui soit légère) lorsqu’il transmettait des instructions présidentielles. C’est cela l’esprit d’une administration républicaine. En effet, comment des promesses de licences de pêche valables 6 mois et renouvelables une seule fois, peuvent-elles être renouvelées en 2018, en 2019 et validées en 2020 ! Et l’autorité nous dit que je n’ai signé que des renouvellements de licences sur la base des promesses. Eh bien, c’est de l’illégalité que l’on essaie de faire passer en se dédouanant par la continuité du service public et la solidarité gouvernementale. Ces 56 licences de pêche, pour la plupart, sont nulles et non avenues au regard des lois de notre pays (caducité de la promesse, pas de passage obligé à la Commission d’attribution des licences, etc.), et de surcroit sur une ressource inexistante (le merlu). Ce procédé était simplement une porte d’entrée pour taper sur les démersaux et le pélagique côtier. Laisser pourrir la situation pour espérer une lassitude des acteurs semble être la stratégie. Les vrais acteurs sont déterminés mais ouverts au dialogue. Ils ne sont pas des adversaires, encore moins des ennemis ou des «va-t’en guerre». Même les guerres mondiales ont fini autour d’une table de négociation et on est très loin de cette situation.
L’autre : la tutelle prendrait ses propres responsabilités ou s’appuierait sur les services techniques qui l’ont induit en erreur, en validant et en délivrant des licences de pêche sur le stock de demandes non conformes. La prudence aurait dû être observée tant pour le démarrage d’une carrière ministérielle que pour le respect des textes de loi, d’autant que l’essentiel des 56 licences est supposé être délivré sur un stock de 3 000 tonnes, soit une pêche de 2 mois par année et par bateau. C’est hallucinant aussi bien pour l’épuisement programmé de cette ressource que pour la rentabilité économique et financière desdits bateaux. Cela veut dire, en réalité, qu’on permet à ces navires de faire des activités en violation de leur licence de pêche. C’est une faute grave (art 125, alinéa f du code de la pêche).
En tant que Sénégalais, certes novice dans la chose politicienne, il me semble que l’une ou l’autre de ces hypothèses desservirait profondément les actions de M. le président de la République en matière de pêche car, 56 navires qui pêchent en majorité dans les 12 miles, c’est-à-dire sur le stock de démersaux, en plus de l’effort de pêche existant, c’est condamner irrémédiablement toute la pêche maritime à l’arrêt à plus ou moins long terme. Les captures débarquées sont passées en 3 ans, de 400 000 à 450 000 tonnes, puis environ 525 000 tonnes. Ces statistiques parlent d’elles-mêmes et les débarquements des produits capturés dans les pays limitrophes sont effectués sur ce stock transnational. La bonne question, c’est dans combien de temps il n’y aura plus une écaille dans nos eaux maritimes. Tous les efforts consentis pendant des décennies par l’Etat, les communautés de pêcheurs, les bailleurs de fonds seraient annihilés.
De l’autre côté, «ventre vide n’a pas d’oreilles», dit l’adage. Laisser pourrir la situation c’est faire le lit d’une dégradation profonde des conditions de vie des pêcheurs et des populations à faible revenu qui, d’une part, trouvent dans la pêche une activité refuge durant les temps de soudure, d’autre part, affaiblit l’apport en protéines des populations. Développer une perspective d’émergence suppose un climat social apaisé sur un secteur retenu dans les grappes de croissance, comme secteur prioritaire.
Pourquoi alors ce dialogue de sourds, et comment pourrait-on y mettre fin ?
Le dialogue de sourds est introduit par la tutelle, à mon avis. Les professionnels du secteur privé demandent le respect des lois et la sauvegarde de leur outil de travail et la tutelle répond par une personnalisation du débat autour de personnes dont le seul tort est d’être des dirigeants d’un syndicat patronal. Tout y passe : accusation de chantage, monopole inexistant, club de «richards», ségrégation, alors que le Gaipes compte dans ses membres des partenaires chinois, coréens, espagnols, français et tutti quanti. La propre personne de ces acteurs, certes importants, n’intéresse pas le commun des Sénégalais. C’est à croire qu’on n’est plus dans une République et que le fait d’être un industriel qui a honnêtement réussi est une tare ! Tout le monde sait que même le bonnet de la tutelle est plus important que ces messieurs. S’il leur arrivait de le piétiner par inadvertance, ils ne passeraient pas la nuit chez eux ! Un ministre, c’est le démembrement du président de la République et sa posture doit s’inscrire dans la grandeur de cette fonction. En tous cas, moi je sais ce qu’est la dimension de la charge de ministre de la République pour avoir passé dix ans dans l’Administration sénégalaise. Il faudrait que certains comprennent qu’ils sont parmi les meilleurs parce que choisis par le chef de l’Etat mais nous tous réunis, nous sommes bien meilleurs qu’eux. Ce rappel était un viatique pour les princes du Sine fraîchement intronisés.
Le vrai débat posé est, je le rappelle : combien de licences ont été accordées en 2018, 2019, 2020, par qui et sur quel segment de pêche ? Quel est l’effort de pêche que les différentes ressources peuvent supporter ? Les «sénégalisations» des navires sont-elles adossées sur le respect des lois ? Comment relancer le secteur de la pêche en cette période de pandémie et de post pandémie ?
Pour mettre fin à ce blocage, il faudrait, à mon avis, que l’autorité reprenne la main sur ce dossier et écoute les récriminations des vrais acteurs, sans exclusive. Il y a une petite nuance entre une tutelle et une autorité directe. Un facilitateur, et beaucoup de bonnes volontés se sont offertes, pourrait favoriser le rapprochement. En écoutant les acteurs, je note que la plupart des organisations déplorent ce qu’elles considèrent comme un manque de respect de la part de la tutelle. Certains affirment, qu’en plus de les infantiliser comme étant à la remorque du Gaipes, des courriers sont adressés au Département des pêches sans même un accusé de réception, a fortiori traiter les questions qui sont posées. Le Gaipes souligne qu’au moins 3 courriers adressés au Département de tutelle, bien avant la crise, sont restés sans réponse.
Par ailleurs, les rumeurs les plus folles circulent dans le milieu de la pêche au point d’indisposer et d’affliger tout le monde. Vrai ou faux, beaucoup d’acteurs penseraient que ce serait une vraie machine de fraude sur les licences qui se serait installée dans l’Administration des pêches avec la complicité de certaines autorités et fonctionnaires, par le biais d’officines parallèles. Aucun cadre ou directeur de L’Administration, directement concerné par ce dossier, ne veut éclairer la lanterne des acteurs sur les dossiers de sénégalisation et les licences de pêche incriminées, malgré des saisines par voie d’huissier. Quelle est la bonne information ? Si publier la liste des navires qui pêchent dans nos eaux est un secret d’Etat, cela accrédite de plus en plus ces rumeurs qui n’honorent personne ! Cette liste est d’utilité publique et devrait être accessible à tous les citoyens et même aux étrangers désireux d’investir dans notre pays. L’Etat doit nécessairement éclairer ses citoyens sur ces vraies ou fausses «affaires». Les pêcheurs ont l’habitude de dire que le poisson pourrit par la tête et j’espère que les acteurs échapperont à cette maxime.
En un mot la confiance est rompue et profondément, même si je reconnais qu’il est toujours temps de bien faire malgré le fait d’un département ministériel très technique, complexe, vital pour l’économie et la cohésion sociale. Il faudrait la reprise des travaux de la commission technique ou tout autre organe paritaire, capable de disposer de l’ensemble des dossiers objets du différend, de retenir les licences qui sont en conformité avec la loi et les recommandations du Crodt. Les navires qui sont hors la loi devraient sortir de la pêcherie tant qu’ils ne répondent pas aux critères d’exercice définis par le code de la pêche et celui de la marine marchande. Les Sénégalais complices de ces forfaits doivent être remis sur le droit chemin. Il est quand même paradoxal, malgré que la loi ne le prévoit pas, que la tutelle réclame des bilans comptables de sociétés existantes depuis plus de 30 ans pour renouveler leur licence de pêche et que cette même tutelle ne sente pas obligé de vérifier que des bénéficiaires de licences ne sont pas de simples bénéficiaires de commissions. Que je sache, l’autorité elle-même serait parfaitement outillée pour démêler cette situation qui est décriée comme étant des actes de prête-noms pour certains tout au moins, par la simple lecture de leurs états financiers. Tout le monde sait qui est qui dans le port de pêche.
Si rien n’est fait pour résoudre cette crise, comment se présentent pour vous, les perspectives du secteur de la pêche
A mon avis, le temps nous est compté. D’abord l’incertitude du Covid rend difficile toute projection sur le devenir de la pêche, fortement touchée par les conséquences de la pandémie. Les pêcheurs, les mareyeurs, les femmes transformatrices, les transporteurs et tous les métiers connexes vivent dans de graves difficultés cachées par la sauvegarde de leur dignité. La plupart des acteurs vivent de la sueur de leur travail et l’inquiétude se lit facilement sur leur visage, malgré les sourires accueillants et les attitudes taquines qui caractérisent les acteurs.
Si rien n’est fait, ou du moins si ces navires ne sont pas sortis de la flotte, ce sera la fin irrémédiable de la pêche. C’est simplement une question de temps. Ce n’est pas pour faire peur, être alarmiste ou encore être un oiseau de mauvais augure. Une catastrophe sans précédent est en train de s’installer dans la gestion des ressources halieutiques.
Pour s’en convaincre, il suffira de demander aux chercheurs dont la science est reconnue, de développer un modèle bioécologique et même bioéconomique sur les impacts des 56 licences accordées à ces navires étrangers.
Il faudrait que ceux qui ont les destinées de notre Nation à quelque niveau que ce soit prennent la température de la situation et agissent en conséquence. L’ennemi principal, c’est le temps durant lequel les ressources halieutiques sont actuellement agressées. Ces licences auraient été décriées même si les bateaux appartenaient à 100% à des Sénégalais. La contrainte, c’est la disponibilité de la ressource halieutique.
Si rien n’est fait, la précarité s’installera de manière importante dans le secteur de la pêche et cela impactera très profondément le tissu économique et social du pays.
Si rien n’est fait, le Sénégal continuera de perdre des emplois directs et indirects dans le secteur de la pêche avec des fermetures d’entreprises et par ricochet, dans les industries qui sont les fournisseurs des unités de traitement de poissons et des armements à la pêche. Si rien n’est fait, le Trésor public ne bénéficiera pas des rentes économiques et financières que génère la pêche.
Enfin, et je pourrais continuer à énumérer les nombreux inconvénients induits par cette décision de mettre 56 navires dans la pêcherie. Le Sénégal paiera un lourd tribut en voulant s’inscrire de manière aussi peu structurée, en termes de choix géopolitique, dans le projet de Bri (Belt and Road Initiative) de la Chine. Nous devrions tous éviter de nous livrer pieds et poings liés aux puissances de ce monde, au détriment de notre propre survie en tant qu’Etat et Nation.
Je pense que c’est une démarche citoyenne qui incombe à chacun d’entre nous de faire le maximum pour que le droit soit dit sur cette affaire. On ne peut violer de manière aussi flagrante le code de la pêche, notamment sur le caractère de patrimoine national de la ressource halieutique (art 3), sur la concertation avec les organisations patronales (Art 5), sur la cogestion (art 6), sur l’avis obligatoire de la Ccalp (art 35) et espérer gérer le secteur au profit de l’intérêt général. La pêche n’est certes qu’un maillon de l’économie maritime mais elle est primordiale si j’en juge par la préséance dont elle bénéficie dans l’appellation du ministère. La pêche, c’est fondamentalement le pêcheur, le poisson et son écosystème. On ne peut pas ignorer le premier et occulter la capacité de l’offre du second et tendre vers une gestion efficiente du secteur. La mer ne peut donner plus qu’elle n’a et elle appartient à toute la nation. Les acteurs ne sont que des exploitants par dérogation encadrée par la loi. Enfin, un républicain ne perd jamais la face quand il s’agit d’exécuter une décision conforme aux lois votées par le Peuple, pour le Peuple.
Pour terminer, personne ne pourra dire que je n’étais pas au courant ou que je ne savais pas la gravité de la situation. En ce qui me concerne, à 70 ans et sans aucune prétention, je continuerai à m’investir dans toutes les actions tendant à raffermir la justice sociale, à œuvrer pour que mon pays soit un havre de paix, de prospérité, de dignité, d’accueil de l’autre, dans le respect de nos lois.
«LA POLITIQUE DU PRESIDENT, CE N’EST PAS LE BRADAGE MAIS L’AMENAGEMENT»
Le ministre conseiller, porte-parole de la présidence, Seydou Guèye a, à l’image du ministre de l’Urbanisme, de l’hygiène publique et du logement, Abdou Karim Fofana, dégagé la responsabilité du régime actuel dans ce scandale foncier.
Le bradage du littoral a été l’œuvre des précédents régimes et les autorisations ont été signées par les autorités de la ville de Dakar. C’est en substance ce qu’a dit le ministre conseiller, porte-parole de la présidence. Invité à l’émission Objection de la radio Sud Fm d’hier, dimanche 28 juin, Seydou Guèye indique que la politique du chef de l’Etat n’est pas de brader, mais plutôt de procéder à un aménagement concerté.
La lancinante question du bradage du littoral qui a tenu en haleine le peuple sénégalais s’est invitée à l’émission Objection de la radio privée Sud Fm d’hier, dimanche 28 juin.
En effet, le ministre conseiller, porte-parole de la présidence, Seydou Guèye a, à l’image du ministre de l’Urbanisme, de l’hygiène publique et du logement, Abdou Karim Fofana, dégagé la responsabilité du régime actuel dans ce scandale foncier. Il dira que «pour l’essentiel, les baux qui ont été érigés ont été signés bien avant 2012 et pour l’essentiel, c’étaient les autorités de la ville de Dakar qui avaient donné les autorisations». Il a ainsi rejeté la faute sur les régimes précédents, même si par ailleurs, il estime qu’il ne faudrait qu’ils se renvoient la balle ou les accusations.
Le porte-parole de la présidence a, en outre, informé du travail qui est en train d’être fait par le gouvernement pour régler ce problème du littoral. Il indique «qu’il y a une procédure qui est engagée pour le retrait des beaux». La finalité, explique-t-il, «c’est de restituer tous les emprises à l’Etat pour qu’on puisse développer les stratégies sur le littoral». Sur ce point, il a tenu à préciser que «le président a dit que sa politique, ce n’est pas le bradage, mais c’est plutôt l’aménagement».
Parlant de la politique du régime en place sur le littoral, Seydou Guèye révèle que l’objectif est d’avoir une gouvernance foncière irréprochable, vertueuse. Selon lui, les services de l’Etat travaillent, en rapport avec les orientations politiques du président, dans la perspective d’un aménagement concerté du littoral et une gouvernance régulière à travers des réformes au niveau des domaines.
Cela, avec comme but de corser davantage les procédures de régulation ou d’attribution des baux. Parce que, conformément à la révision de la Constitution qui consacre des droits au peuple sénégalais sur les ressources naturelles et sur le foncier, «il faut faciliter la jouissance et l’accès à la mer à tous les Sénégalais avec le compromis qu’il faut trouver pour les aménagements de rentabilisation du foncier en termes d’équipements, d’infrastructures hôteliers, d’espaces de convivialité», assure-t-il.
112 CAS ET TROIS DÉCÈS SUPPLÉMENTAIRES
Le ministère de la Santé a déclaré lundi matin avoir recensé au cours des dernières vingt-quatre heures 112 cas de Covid-19 et trois décès portant à 108 le cumul des personnes qui ont succombé à l’épidémie.
Dakar, 29 juin (APS) - Le ministère de la Santé a déclaré lundi matin avoir recensé au cours des dernières vingt-quatre heures 112 cas de Covid-19 et trois décès portant à 108 le cumul des personnes qui ont succombé à l’épidémie.
Depuis le 2 mars, 6.698 personnes ont été infectées par le Covid-19, un effectif comprenant les 112 nouveaux cas, lesquels proviennent de 956 tests effectués par les services du ministère de la Santé.
Le rapport du nombre de nouvelles infections sur l’effectif des personnes testées donne un taux de positivité de 11,7%.
Les derniers tests positifs concernent 99 personnes contacts suivies par les services sanitaires et 13 autres contaminées par voie de transmission communautaire, cette forme de contamination dont la source n’est pas identifiée.
Les cas de Covid-19 causés par transmission communautaire ont été recensés à Colobane (2), Rufisque (2), Touba (2), Cité Sipres (1), Keur Massar (1), Kaolack (1), Dalifort (1), Mbao (1), Nord Foire (1) et Dakar-Plateau (1), a précisé le docteur Mamadou Ndiaye, directeur de la prévention au ministère de la Santé.
Cinquante patients ont été contrôlés négatifs et déclarés guéris au cours des dernières vingt-quatre heures, a indiqué M. Ndiaye en publiant le dernier bilan national de la pandémie de coronavirus.
Selon lui, 4.341 patients ont recouvré la santé depuis la détection du premier cas de Covid-19 au Sénégal, le 2 mars.
Vingt-sept patients, dont l’état est jugé grave, sont pris en charge dans les services de réanimation des hôpitaux, a dit Mamadou Ndiaye.
Par CALAME
DÉMOCRATIE ÉNERVÉE
L’interprétation “populaire” de cet article relatif à la vacance du pouvoir, au-delà des sarcasmes qui s’en sont suivis dans les réseaux sociaux, pose plus sérieusement une fois encore, la question de l’aménagement du pouvoir au sommet de l’Etat.
L’isolement volontaire depuis le 24 juin du président de la République, malgré un test (négatif) à la Covid-19, pour une durée d’au moins deux semaines, a répandu la rumeur (on dit qu’elle est le plus vieux média du monde) de la vacance du pouvoir. Dès le lendemain, sur la chaîne de la télévision publique, à une heure de grande écoute, le ministre Seydou Guèye, son conseiller en communication, y coupe court et déclare : « L’État n’a aucun problème de continuité. Donc, il n’y a aucune vacance du pouvoir, il n’y a pas besoin d’intérim. Le Président, à partir de sa position de chef de l’État, de commandant des troupes, continue à gérer la situation de la façon la plus normale. Encore une fois, il n’est pas malade».
L’article 39 de la Constitution votée par référendum en mars 2016 énonce les conditions de la vacance du pouvoir : «En cas de démission, d’empêchement ou de décès, le Président de la République est suppléé par le président de l’Assemblée nationale. Au cas où celui-ci serait lui-même dans l’un des cas ci-dessus, la suppléance est assurée par l’un des vice-présidents de l’Assemblée nationale dans l’ordre de préséance».
En ces temps de Coronavirus, l’Assemblée nationale, elle-même a vu 26 de ses députés de la Commission des Lois, placés sous surveillance médicale, après avoir été en contact avec une des leurs, contaminée. Mais ceci n’est qu’une parenthèse. L’interprétation “populaire” de cet article relatif à la vacance du pouvoir, au-delà des sarcasmes qui s’en sont suivis dans les réseaux sociaux, pose plus sérieusement une fois encore, la question de l’aménagement du pouvoir au sommet de l’Etat. Chacun des Présidents a eu un rapport particulier avec cet aménagement, rapport, il est vrai résultant d’un contexte politique précis, mais qui est également fonction, plus subtilement, de la personnalité même de chacun d’eux. Senghor, dominé par les doutes d’une nation naissante nouvellement indépendante, est demeuré hésitant à couper le cordon ombilical le liant à la France.
Sa francophilie en est assurément la raison et l’attrait s’est traduit par une reproduction constitutionnelle hexagonale. Même si, soit-dit en passant, en ces temps-là, les Etats à qui l’indépendance venait d’être accordée, ont eu du mal à se départir du modèle de la puissance qui les avait colonisés. Pour Senghor, très vite, l’exercice du pouvoir va révéler la difficulté d’avoir un pouvoir exécutif bicéphale, avec un Président de la République et un « Président du Conseil ».
La crise de décembre 1962 qui n’en finit pas de faire parler d’elle, presque 60 ans après, achève la difficulté d’avoir un attelage de deux hommes forts, tant du point de vue de leurs pouvoirs que du point de vue des personnalités respectives de Senghor lui-même et Mamadou Dia.
Sorti « victorieux » du conflit qui l’a opposé au Président du Conseil Mamadou Dia, Senghor traduit en termes constitutionnels la prépondérance du chef de l’Etat : le poste de Premier ministre est supprimé, les ministres et les secrétaires d’Etat doivent lui rendre compte, sans perdre de vue, qu’ils peuvent être démis à tout moment. Mieux, ils ne sont responsables que devant lui. Le Sénégal rompt donc avec sa “tradition” parlementaire et dans le même temps, la conception senghorienne du pouvoir est mise en exergue. Le pouvoir ne se partage plus. De ce point de vue précis, c’est l’héritage qu’il a légué à tous ses “illustres” successeurs. La bonne marche de l’Etat requiert que soit “répudié” tout schéma de dyarchie.
Fatigué d’être le centre de la vie politique, lassé d’une prépondérance qui pourrait très vite «dévaloriser» la fonction présidentielle en la banalisant, parce que obligé de se mêler de tout, Senghor nomme un Premier Ministre, mais dont fonction n’a plus rien à voir avec celle du « président du Conseil » de 1962. Le Premier ministre est sous la dépendance étroite du Président, lequel détermine la politique de la Nation et peut quand il veut le révoquer.
La création de la fonction ne doit pas, non plus, faire illusion: aucune volonté d’amorce pour changer la substance du régime. Ici, il s’agit simplement de trouver un « collaborateur », dont la loyauté sera, on le devine bien après les événements de 1962, une qualité essentielle. L’homme qui sera choisi pour occuper le poste est conforme aux arrières pensées du Président : administrateur effacé, ancien secrétaire général de la Présidence, n’ayant a priori nulle ambition politique, le Premier ministre Abdou Diouf paraît bien faire l’affaire.
Sa longévité à ce poste en atteste. Il l’a occupé sans discontinuer de 1970 à 1981. Il est juste de retenir du passage de Senghor, l’ouverture pluraliste, cette particularité longtemps sénégalaise, en un temps où le monopartisme était la règle un peu partout sur le continent africain, même si celui-ci est resté limité à l’époque, le Président voyant dans un pluralisme sans borne un « péril mortel » pour une démocratie jeune. La présidence d’Abdou Diouf est plus contrastée. En plus de la suppression puis du rétablissement de la fonction de Premier ministre, en 1983 et en 1991 respectivement, la création du Sénat en 1998, le réaménagement du pouvoir judiciaire avec la réforme de 1992, la réforme de mai 1981, qui a ravi la palme est celle qui fait sauter le verrou de la limitation du nombre de partis politiques, consacrant une liberté que d’aucuns, jusqu’à présent estiment l’usage abusif.
Le « libéralisme » politique de la présidence de Diouf constituera une sorte de marque de fabrique de la démocratie sénégalaise, alors perçue comme une exception heureuse en Afrique. C’est sans doute cela qui explique que notre pays n’ait pas connu le rite de la « Conférence nationale », des cénacles élargis à toutes les « forces vives », où la parole critique se libère, où le pouvoir politique consent à entendre ceux qu’il a longtemps ignorés ou réprimés, s’il ne le partage avec eux. Malgré ces avancées, d’autres réformes presque unilatérales, fortement inspirées à Abdou Diouf par son parti dont la longévité au pouvoir, a réduit la lucidité et donné le mirage d’une invincibilité qui n’en était qu’illusoire : la suppression du « quart bloquant », le retour au septennat, sont autant d’initiatives regardées, au moins dans le pays, comme des reniements démocratiques.
Et l’homme, ne partageant le pouvoir avec personne semblait avoir perdu le sens des nuances démocratiques, même si on ne doute pas qu’il se soit converti à l’autocratie, l’usure du pouvoir l’a éloigné des réalités et affaibli son jugement politique. En 2000, quand survient la première alternance, la ferveur constitutionnaliste accompagne celle politique. L’une des principales promesses de l’opposition qui venait d’accéder au pouvoir, a été la mise en place d’un « régime parlementaire ».
Le débat institutionnel se trouve alors placé au cœur du projet politique des nouveaux gouvernants, et une Constitution est bientôt adoptée, dont on escomptait qu’elle éviterait les dérives de l’ancienne. Mais ce n’était qu’une illusion. L’illusion qu’il suffit d’avoir de bons textes pour avoir une bonne pratique des institutions. Comme jamais dans notre histoire, l’aménagement du pouvoir n’a sans doute paru aussi compromis dans des querelles partisanes, voire personnelles. La Constitution elle, a perdu de sa solennité, les réformes de circonstances en ont tué la majesté. Entre 2001 et 2010, elle a été modifiée au moins une dizaine de fois, mais manquant toujours cruellement de précisions qui ne prémunissent pas d’interprétations que l’on constate encore aujourd’hui, malgré le « oui » accordé à une Constitution votée par référendum en mars 2016.
C’est sous les mandats de Abdoulaye Wade que la question du partage de pouvoir s’est posée, jusqu’à la caricature. Dès élu, alors que la coalition qui l’a porté au pouvoir discutait des différents postes à pourvoir, il lui signifia d’entrée que « c’est (lui) l’élu ». Vice-présidence, dyarchie, héritier, ces mots n’ont jamais été autant utilisés que sous Abdoulaye Wade, Secrétaire national du Parti démocratique sénégalais ou président de la République. La captation politique du pouvoir pour ses fils politiques, Idrissa Seck, puis Macky Sall, ensuite familiale et politique pour son fils biologique, chargée à un moment d’une polarisation affective et émotionnelle forte, pour l’un ou pour l’autre selon les séquences politiques, n’en a pas moins empêché qu’ils ont lavé leur linge sale en public, faisant de celui-ci un espace de règlement des conflits domestiques et politiques.
Devenu président de la République, après avoir lui-même été Premier ministre, Macky Sall n’en n’a pas moins éprouvé trois, à ce jour. Le dernier en date, dont le poste a été supprimé en avril 2019, est apparu, en quelques déclarations, en quelques formules à l’emporte-pièce, en quelques interviews trop abruptes, comme un homme qui ne doute point. Il a traversé la station primatoriale sans vraiment la marquer. Impérieux et annonçant les pires avanies à ceux qui se permettaient d’émettre des réserves sur les programmes et/ou les actes posés par le Président de la République, il a déployé un tapis sous les pieds de ce dernier, qui n’en demandait sûrement autant et qui s’en débarrassa sans mettre de gant. Macky Sall devient dans le même temps, chef du gouvernement.
Exit le poste de Premier des ministres. Mohammed Boun Abdhallah Dionne est nommé ministre d’Etat, Secrétaire général de la Présidence de la République. Sans Premier ministre depuis plus d’une année, interpellé de toutes parts par toutes les couches de la population à qui il a demandé « d’apprendre à vivre avec la Covid-19, Macky Sall, Sall, «à partir de sa position de chef de l’État, de commandant des troupes, continue à gérer la situation de la façon la plus normale», pour reprendre Seydou Guèye, en ce temps de loi d’habilitation qui nous régit depuis le 1er avril. Et ce n’était pas un poisson. Dans ce pays qui a le goût de l’homme providentiel doté de tous pouvoirs, le «quinquennat, cette démocratie énervée» comme lu quelque part, les éléments constitutifs de la gestion pouvoir, n’ont pas beaucoup varié. Or, c’est une pratique, une culture des uns et des autres qui aide un pouvoir à faire ses preuves.
LES RISQUES D'UN ECO QUI NE SERAIT QUE L'AVATAR DU FCFA
Le 23 juin, les tweets du président nigérian ont enflammé la toile. Buhari a prévenu d'un risque de dislocation de la CEDEAO, en cas d'adoption unilatérale de l'eco par les pays membres de l'UEMOA. Des déclarations qui ont fait réagir Kako Nubukpo
La Tribune Afrique |
Marie-France Réveillard |
Publication 28/06/2020
Mardi 23 juin, les tweets du président nigérian ont enflammé la toile. Muhammadu Buhari a prévenu d'un risque de dislocation de la CEDEAO, en cas d'adoption unilatérale de l'eco par les pays membres de l'UEMOA. Des déclarations qui ont fait réagir Kako Nubukpo, doyen de la Faculté des sciences économiques et de gestion de l'Université de Lomé, qui appelle au débat et annonce la tenue prochaine des Etats généraux de l'eco...
Comment réagissez-vous au propos du président nigérian Muhammadu Buhari, qui a exprimé ses craintes à l'égard de l'eco dans une série de tweets ?
Kako Nubukpo : Le président Buhari a pointé le risque de dislocation de la CEDEAO [...]. J'ai applaudi quand les présidents Macron et Ouattara ont annoncé, le 21 décembre dernier, le changement de nom du franc CFA en eco. A cette époque, nous n'avions pas encore le projet de loi qui modifie le Traité de l'union monétaire ouest-africaine. Finalement, ce projet a été adopté par le gouvernement français fin mai et il est actuellement en discussion à l'Assemblée nationale française ainsi que dans les Assemblées nationales des pays membres de l'UMOA. A la lecture de ce projet de loi, on s'aperçoit que les changements sont limités au nom de la monnaie, à la fermeture du compte d'opération et au retrait des ressortissants français des instances de l'UMOA.
A la nuance près que, dans le même projet de loi, il est explicitement écrit, qu'en cas de crise, la France pourrait envoyer de nouveau ses ressortissants au Conseil de Politique monétaire de la Banque centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest - BCEAO - en qualité de garant financier de la zone... Par ailleurs, la flexibilité du taux de change tout comme le régime de ciblage de l'inflation sont deux éléments cruciaux qui ne sont pas réglés par ce nouveau traité, lequel présente l'eco comme un simple avatar du franc CFA, avec le maintien d'une parité fixe entre la future monnaie et l'euro. Pourtant, l'eco est une monnaie destinée à 15 Etats, il ne s'agit plus d'une monnaie du Trésor français avec l'UEMOA. Il faut donc clarifier les contours de cette monnaie de la CEDEAO, dont les principes ont été rappelés le 29 juin 2019 lors du Sommet des chefs d'Etat. L'eco est une monnaie flexible, attachée à un panier de devises, avec un régime de ciblage de l'inflation alors qu'aujourd'hui, on voudrait nous faire adopter une version différente selon laquelle l'eco serait toujours attaché exclusivement à l'Euro.
Les déclarations du président Buhari replacent au centre du débat, la difficulté d'une monnaie commune entre les pays de l'UMOA et le géant nigérian qui représente 71% du PIB CEDEAO et 52% de la population...
J'espère que les déclarations du président Buhari ouvriront un vrai débat au niveau des chefs d'Etat, des parlementaires, des chercheurs, de la société civile ouest-africaine et africaine dans son ensemble, concernant les modalités d'une mise en place optimale de cette monnaie [...] Il est également légitime qu'il y ait un débat entre économistes pour savoir si la CEDEAO peut devenir une zone monétaire optimale. Il existe 2 écoles. La première école, héritière du prix Nobel d'économie Robert Mundell, plutôt pessimiste, considère qu'une monnaie commune dans la zone CEDEAO n'est pas possible, car certains pays comme le Nigéria sont plutôt exportateurs de pétrole et les autres importateurs de pétrole. De fait, ils sont rarement dans la même phase du cycle économique, ce qui rend difficile l'efficacité de la politique monétaire.
La deuxième école qui est celle de l'endogénéité des critères d'optimalité, considère au contraire, que ce décalage permet de garantir la disponibilité permanente des réserves de change, car les cycles haussiers et baissiers se compensent [...] J'organiserai d'ici quelques semaines, les Etats généraux de l'Eco à l'Université de Lomé, dans l'objectif de fédérer un collectif de chercheurs qui proposera une feuille de route aux chefs d'Etat. Elle comprendra les modalités de transition du franc CFA à l'eco, assorti d'un calendrier et de dispositifs de suivi et évaluations des réformes [...]
Actuellement nous faisons face à un double test. Au niveau de la France, il s'agit de mesurer sa volonté de tourner la page de la Françafrique et d'établir les bases d'une véritable politique de coopération au développement. C'est ce que j'appelle « le test de sincérité ».
Au niveau des chefs d'Etat ouest-africains se présente le « test de crédibilité », quant à leurs capacités en matière d'action collective pour la mise en place d'une nouvelle monnaie, capable de financer nos économies et de supporter la compétitivité à l'export de nos biens et services.
Quel regard portez-vous sur l'opérationnalisation de la ZLECA, reportée pour cause de Covid-19 : s'agit-il d'un idéal encore lointain ?
Sur le principe, c'est une très bonne idée qui renvoie à une volonté de panafricanisme. Se posent néanmoins deux questions. Premièrement, le degré de solidarité auquel les Etats membres voudront bien consentir. Les pays n'ayant pas tous la même puissance économique, la zone de libre-échange ne pourra se réaliser avec succès, sans des transferts qui permettront aux régions les plus faibles de remonter leur niveau de compétitivité. Cela renvoie à la vision de l'intégration régionale que l'on veut traduire au sein de la ZLECA.
AU SAHEL, LA FRANCE FACE AUX LIMITES DE L'ACTION MILITAIRE
Les succès remportés ces derniers mois par les français permettent à Paris d'afficher un optimisme prudent, mais le bilan de sept années d'opérations en témoigne : les victoires tactiques ne suffisent pas à sortir durablement cette région de l'ornière
Les succès militaires remportés ces derniers mois au Sahel par les troupes françaises permettent à Paris d'afficher un optimisme prudent, mais le bilan de sept années d'opérations en témoigne: les victoires tactiques ne suffisent pas à sortir durablement cette région de l'ornière
Alors que les groupes armés avaient pris l'avantage en 2019 en multipliant les attaques contre des bases militaires maliennes et nigériennes, les soldats de la force antijihadiste française Barkhane, forts de 600 hommes supplémentaires - plus de 5.000 au total - ont inversé la tendance avec leurs partenaires.
D'abord contre les groupes liés à l'organisation Etat islamique, rassemblés par Paris sous le vocable Etat islamique au grand Sahara (EIGS).Désigné au sommet France - Sahel de Pau (sud de la France) comme l'ennemi numéro un en janvier, l'EIGS a depuis subi de lourdes pertes dans la zone des "trois frontières", aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso.
Ensuite dans le centre et le nord du Mali, où les forces spéciales françaises, aiguillées par un drone américain, ont tué début juin le leader d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), l'Algérien Abdelmalek Droukdal.
"On a inversé le principe d'incertitude.C'est nous qui sommes imprévisibles pour les groupes terroristes", se félicitait juste après l'opération un haut gradé de l'état-major français. "Aujourd'hui au Sahel, la victoire est possible et c'est bien la perception qui est en train de s'installer chez nos partenaires", claironnait même un conseiller de la présidence.
Mais l'optimisme parisien ne fait pas l'unanimité.
"C'est indéniable qu'il y a eu des succès tactiques" dans cette zone, estime Jean-Hervé Jezequel, chercheur à l'International Crisis Groupe (ICG).Mais il oppose un "sentiment de déjà vu" à cet auto-satisfecit."Les Français ont déjà tenu ce discours à plusieurs reprises, notamment en 2018".
A l'époque, s'alliant avec des groupes armés locaux, la France avait axé son action sur le nord-est malien.Résultat, "des gros succès tactiques mais un impact long terme limité voire nul.Car Barkhane a ensuite délaissé la zone pour se concentrer ailleurs et laissé le champ libre aux jihadistes qu'ils avaient chassés", analyse une source humanitaire dans la zone.
- Exactions des forces locales -
Les pouvoirs centraux de ces pays, parmi les plus pauvres du monde, peinent quant à eux à réinvestir les territoires fraîchement ratissés pour offrir protection, éducation, justice et services de base à des populations livrées à elles-mêmes.
Ainsi, le mantra français est invariable depuis des années: "le volet militaire n'est qu'un outil", répétait encore récemment la ministre française des Armées Florence Parly, en rappelant l'importance d'un retour des services de l’État et de l'aide au développement.
En janvier, le président Emmanuel Macron avait prévenu que "toutes les options" étaient sur la table, y compris un retrait français.Aujourd'hui, Paris continue de souligner que sa présence militaire n'a pas vocation à être éternelle, mais l'heure du départ n'a pas sonné.
La France vante une meilleure coordination avec les forces locales qui, selon l'exécutif français, ont progressé bien que toujours "fragiles".Dans les faits, ces armées sous-équipées et peu formées sont encore loin d'être autonomes. Mi-juin, dans le centre du Mali, au moins 27 soldats sont morts dans une embuscade.
"Le nombre d'attaques dans la région de l'Ouest Sahélien a augmenté de 250 pour cent depuis 2018. Les pays partenaires restent déterminés contre le terrorisme, mais n'ont pas les moyens de contenir ni réduire la menace de façon soutenue", estime le département d’État américain dans un rapport publié mercredi.
Et les accusations d'exaction commises par les forces locales ces derniers mois plombent les efforts de la communauté internationale (outre Barkhane, les forces onusiennes de la Minusma et la force de formation des Européens EUTM).
Le sommet de Pau avait précisément souligné l'importance de combattre à la source le sentiment anti-français dans la région. C'est d'ailleurs en partie pour atténuer la méfiance contre l'ex-puissance coloniale que la France se démène pour mobiliser ses partenaires européens.
Paris mise ainsi beaucoup sur Takuba, un groupement de forces spéciales européennes censées accompagner les Maliens au combat.Las, après un an de tractations, seuls une centaine d'Estoniens et de Français seront déployés en son sein cet été.Quelque 60 Thèques devraient les rejoindre à l'automne ainsi que 150 Suédois en 2021.La Grèce et l'Italie continuent d'étudier le dossier.
LUMUMBA, ICÔNE INUSABLE DES LUTTES ANTICOLONIALES
Patrice Emery Lumumba entre dans l'histoire et la légende ce 30 juin 1960 avec son discours contre le racisme des colons en présence du roi des Belges Baudouin pendant la cérémonie officielle marquant la naissance du Congo
La République démocratique du Congo célèbre mardi le 60e anniversaire de son indépendance de la Belgique, et son héros national, Patrice Lumumba, icône des nouveaux militants anticoloniaux qui demandent aux anciennes puissances coloniales d'assumer leur passé.
Patrice Emery Lumumba entre dans l'histoire et la légende ce 30 juin 1960 avec son discours contre le racisme des colons en présence du roi des Belges Baudouin pendant la cérémonie officielle marquant la naissance du Congo: "Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des Nègres".
Le Premier ministre du président Joseph Kasa-Vubu répondait au monarque qui venait de saluer l'oeuvre colonisatrice de son ancêtre, Léopold II, un "civilisateur" et non un "conquérant" selon lui.
Mardi en Belgique, la ville de Gand s'apprête à déboulonner une statue de Léopold II pour marquer les 60 ans de l'indépendance de l'ancienne colonie.
Des effigies de Baudouin et Léopold II, accusé par le collectif "Réparons l'histoire" d'avoir tué "plus de 10 millions de Congolais", ont été vandalisées début juin à Anvers et Bruxelles, en lien avec le mouvement "Black lives matter".
A l'inverse, un tout petit square Patrice Lumumba a été inauguré en plein centre de Bruxelles en 2018, aux portes du quartier africain de Matonge.
"C'est extrêmement important pour que la Belgique puisse assumer son passé colonial, et pour la fierté des Afro-descendants", explique Kalvin Soiresse, 38 ans, député au Parlement bruxellois d'origine togolaise.
Le parcours fulgurant de Lumumba s'achève six mois et demi après son discours retentissant, le 17 janvier 1961.
Déchu, humilié, torturé, le martyr de l'indépendance est exécuté en pleine brousse à 50 km d'Elisabethville (actuelle Lubumbashi) par des séparatistes katangais et leurs hommes de main belges.Il avait 35 ans.
Le Congo avait sombré dans le chaos (mutineries, sécessions, intervention militaire belge et de l'ONU).
Le Premier ministre avait été renversé dès septembre 1960.
Ses appels du pied à l'Union soviétique en pleine Guerre froide avaient braqué les Etats-Unis, qui redoutaient de perdre leurs approvisionnements en cobalt congolais.
- "Etre lumumbiste aujourd'hui" -
"Lumumba devint en un rien de temps un martyr de la décolonisation, un héros pour tous les opprimés de la Terre, un saint du communisme sans dieu", résume David Van Reybrouck dans sa somme "Congo, une histoire".
"Ce statut, il le devait plus à l'horrible fin de sa vie qu'à ses succès politiques", avec seulement deux mois et demi au pouvoir, nuance l'auteur belge de référence sur l'histoire du Congo.
La Belgique a reconnu sa "responsabilité morale" dans l'assassinat de Lumumba, dès 2001 au terme d'une commission d'enquête parlementaire.Le Parlement belge envisage une nouvelle commission sur la colonisation du Congo, du Rwanda et du Burundi.
Mardi, le prophète Lumumba sera célébré sans excès dans son propre pays, où aucune cérémonie n'est prévue en raison du coronavirus (les autorités ont annoncé une journée de "méditations").
A Kinshasa, sa statue, main droite levée vers le ciel, semble haranguer les automobilistes au milieu de l'immense boulevard qui porte son nom entre l'aéroport et le centre-ville.
Elle n'a été érigée qu'au début des années 2000, à l'époque des régimes Kabila père et fils.
Dans le paysage politique subsiste un petit Parti lumumbiste unifié (Palu) dont le patriarche, Antoine Gizenga, vice-Premier ministre en 1960, est décédé en 2019, à 93 ans.Son fils, Lugi, qui lui a succédé à la tête du Palu, est mort début juin.
Hors ce parti, des personnalités perpétuent l'héritage nationaliste de Lumumba, comme l'ex-porte-parole du président Joseph Kabila (2001-2019), Lambert Mende.
"Etre lumumbiste aujourd'hui c'est mener le combat pour que le Congo soit libre de choisir ses partenaires économiques en fonction de ses propres intérêts", affirme M. Mende, toujours prompt à dénoncer le "néocolonialisme" des "partenaires occidentaux" de la RDC.
Et que reste-t-il de Lumumba chez les moins de 20 ans (50% des plus de 80 millions de Congolais)?Au lycée, son histoire est enseignée de "façon lapidaire" reconnaît un professeur, Egide Mawaso.
Le sujet peut être délicat.Dans sa chute, Lumumba a été trahi par d'autres pères de l'indépendance, à commencer par son modeste chef d'état-major, Joseph Mobutu, le futur maréchal-dictateur (1965-1997).
Enfin, le mythe d'un Lumumba communiste a été entretenu par l'URSS elle-même, qui a donné son nom à une université accueillant à Moscou des étudiants africains venus de "pays frères".
"Communiste, il ne l'était pas.Il a répété plusieurs fois qu'il était nationaliste et non communiste", assure l'universitaire Jean Omasombo.
Cet auteur d'un livre sur Lumumba dénonce la "propagande coloniale" qui le présentait comme un agent soviétique.Le débat continue.
GORÉE, LA PLACE DE L'EUROPE CHANGE DE NOM
L'’île veut être à l’avant-garde du combat pour l’éradication de toutes les formes de racisme, particulièrement celles dirigées contre les personnes de race noire conformément à sa vocation de lieu de mémoire - COMMUNIQUÉ DU CONSEIL MUNICIPAL
SenePlus publie ci-dessous, le communiqué du conseil municipal de Gorée, daté du 27 juin 2020 et signé du maire Augustin Senghor, rebaptisant La Place de l’Europe en Place de Liberté et de la Dignité Humaine.
"Lors de sa réunion de ce samedi 27 juin 2020 à la Mairie de Gorée, le Conseil Municipal de l’île de Gorée a adopté à l’unanimité le projet de délibération portant changement de dénomination de la Place de l’Europe qui devient la nouvelle Place de la Liberté et de la Dignité Humaine. Cette mesure fait partie des actions importantes décidées par la municipalité de Gorée, site remarquable de la mémoire de la Traite et de l’esclavage des noirs pendant 4 siecles et classé à ce titre Patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO depuis 1978 en réponse à la persistance des actes de racisme et de violence dans le monde.
Face à la vague de violence Raciale dont la communauté noire et afrodescendante est régulièrement victime (dont la dernière en date a coûté la vie à George Floyd, afro-américain exécuté froidement par asphyxie, en pleine rue et sans résistance par un policier blanc), la communauté de l’île mémoire veut être à l’avant-garde du combat pour l’éradication totale et définitive de toutes les formes de racisme, particulièrement celles dirigées contre les personnes de Race noire conformément à sa vocation de lieu de mémoire proactive, résiliente et restauratrice de la dignité humaine à travers les valeurs de liberté universelle et de tolérance dans un monde réconcilié avec lui-même.
Le Conseil Municipal a décidé d’inscrire cette action dans une logique de mise en cohérence du Parcours de visite mémorielle de Gorée dans lequel le Pèlerinage à la Maison Esclaves, sanctuaire de la traite transatlantique et la visite de la Place de la Liberté seront les étapes les plus importantes. C’est ainsi qu’il a été adopté le principe du déplacement de la Statue de la Libération de l’esclavage située à côté de la Maison des Esclaves vers la nouvelle Place de la Liberté.
En marge de la cérémonie d’inauguration de ladite place, des manifestations d’hommage à George Floyd et à toutes les victimes de crimes raciaux contre les personnes noirs ou afrodescentes seront organisées avec le concours d’artistes Sénégalais de renom à travers des fresques murales et des jeunes Goréens à travers un grand rassemblement sur la plage de l’île de Gorée en présence des plus hautes autorités.
Enfin, Un comité scientifique comprenant outre des membres du Conseil Municipal, des intellectuels artistes et représentants de l’autorité étatique, des partenaires et personnes ressources a été mis en place en vue d’élaborer dans les meilleurs délais le document conceptuel et d’orientation de cet important projet. Le conseil Municipal tient à remercier vivement le Chef de l’État Macky Sall pour son soutien à cette initiative de la collectivité territoriale insulaire et à la représentation de l’Union européenne pour sa disponibilité constante à assister la commune de Gorée de sa volonté de promouvoir la Liberté et de l’égalité."