VIDEOL'AMNISTIE, UNE IMPASSE CONSTITUTIONNELLE
Selon Maurice Soudieck Dione, l'abrogation créerait paradoxalement l'impunité, tandis que l'interprétation se heurte à la clarté du texte initial. Il pointe un dilemme révélateur des contradictions héritées d'une transition politique mal négociée

Ce dimanche 23 mars 2025, l'émission "Point de vue" de la RTS recevait le professeur Maurice Soudieck Dione, agrégé de sciences politiques à l'université Gaston Berger de Saint-Louis, pour dresser le bilan de la première année du gouvernement Bassirou Diomaye Faye. Parmi les sujets brûlants abordés, la controverse entourant la loi d'amnistie votée par l'ancien régime précédent a particulièrement retenu l'attention.
"Cette loi d'amnistie est une loi assez particulière", explique l'invité. "L'amnistie, comme vous le savez, c'est une amnésie provoquée et organisée juridiquement. Elle porte sur des faits passés, alors que l'abrogation d'une loi n'a d'effets que pour l'avenir."
Au cœur du débat se trouve une proposition de loi interprétative portée par le député Amadou Ba, visant à exclure du champ d'application de l'amnistie les auteurs de crimes de sang et de torture. Face à cette initiative, l'opposition et la société civile réclament une abrogation totale.
Maurice Soudieck Dione souligne toutefois une contradiction juridique majeure : "Comment une loi qui ne peut viser que l'avenir peut-elle régir un temps du passé ? Si on abroge la loi d'amnistie, en réalité, on crée l'impunité, puisqu'en droit, la loi nouvelle n'a d'effet que pour l'avenir."
Il précise également que la loi d'amnistie actuelle est parfaitement claire dans son exposé des motifs, qui mentionne que "pendant longtemps, le législateur a voulu privilégier l'amnistie de plein droit pour effacer toutes les infractions sans aucune distinction". Par conséquent, selon lui, "il n'y a pas matière à interprétation".
Pour le politologue, le véritable enjeu dépasse le cadre juridique : "C'est très grave ce qui s'est passé au Sénégal. Il y a eu un ensauvagement de la culture politique sénégalaise et ça, c'est extrêmement grave parce qu'après, cela produit des effets de désinstitutionnalisation démocratique."
Avec près de 80 morts lors des manifestations entre 2021 et 2024, une situation sans précédent dans l'histoire politique du Sénégal, Maurice Soudieck Dione insiste sur la nécessité de faire la lumière sur ces événements : "Si on ne fait pas la lumière, qu'est-ce qui va se passer ? On aura l'impression que ces faits-là sont passés par pertes et profits, et que finalement, on est dans une sorte de banalisation du mal."
Face à cette impasse juridique, le professeur suggère d'explorer d'autres voies : "Peut-être qu'on aurait dû aller vers des concertations plus larges et ne pas avoir seulement une perception juridique et judiciaire. Peut-être avoir une perspective plus englobante, non seulement judiciaire, mais également culturelle, sociale, psychologique, de prise en charge des victimes, de réconciliation, et pourquoi pas une loi constitutionnelle qui permettrait de surmonter cette difficulté."
Maurice Soudieck Dione rappelle que l'Histoire sénégalaise a connu plusieurs épisodes de violence politique, mais que la vague récente représente une dangereuse escalade qu'il faut absolument stopper : "Ce qui est sûr, c'est que si on laisse les choses passer de cette manière, on aura l'impression que la violence, c'est normal, et cela peut se reproduire à tout moment."