« AU SÉNÉGAL, L’ADMINISTRATION S’EST AFFAISSÉE. NOTRE PAYS N’A PAS UNE CULTURE D’ÉVALUATION»
El Hadj Ibrahima Sall n’use jamais dans la langue de bois quand il évoque l’écosystème politico-économique du Sénégal.
El Hadj Ibrahima Sall n’use jamais dans la langue de bois quand il évoque l’écosystème politico-économique du Sénégal. Le président de la Commission d’évaluation des politiques et programmes publics, s’exonérant volontairement de la réserve que lui impose son statut, a vivement déploré hier ce qu’il a appelé « l’affaissement de l’administration sénégalaise ». Et pire, il a indiqué que « le Sénégal n’a pas une culture d’évaluation. De l’indépendance à nos jours, il n’y a jamais eu une seule fois une évaluation des politiques et des programmes publics ». L’ancien ministre du Plan du président Abdou Diouf intervenait au deuxième jour du Forum de la Communauté des acteurs portuaires (CAP) Sénégal sur la Stratégie portuaire nationale.
El Hadj Ibrahima Sall sait séduire par son discours, mais aussi capter son auditoire. Invité à dérouler son pedigree, l’ancien enfant de troupe du Prytanée militaire de St-louis s’est exécuté de bonne grâce. Il a fait état de ses diplômes obtenus respectivement à l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales (HEC) de Paris en économie, The Wharton School of Finance de University of Pennsylvania (USA) en finance, à l’Université Paris IV Sorbonne (en philosophie) et à Harvard University (en Homeland and International Security) aux Etats-Unis.
Ce brillant esprit a enseigné en DEA de Mathématiques Appliquées à l’Université Cheikh Anta Diop, en économie à HEC Paris, en Management des grandes organisations à l’Université Paris IX-Dauphine, puis en économie publique à l’Ecole Supérieure de Commerce de Paris (ESC Europe). Le crack rufisquois a aussi étalé son parcours professionnel en disant qu’il a occupé des fonctions de Directeur et de Directeur Général dans des institutions bancaires ou de prévoyance retraite comme l’Ipres. Il a été Chargé d’Investissements à la Société Financière Internationale du Groupe de la Banque Mondiale. Il a aussi servi dans les organisations internationales (Nations Unies, OCDE), et a occupé des fonctions ministérielles dans le gouvernement de la République du Sénégal.
En tant que Ministre du Plan et de la Coopération de la République du Sénégal, M. Sall a été Membre ou Membre Suppléant des Board of Governors du Fonds Monétaire International (FMI), de la Banque Mondiale et de la Banque Islamique de Développement (BID). Il a été aussi pendant plusieurs années membre du Conseil National du Crédit de la BCEAO. Présentement, il préside la Commission d’évaluation des politiques et programmes publics. Après avoir étalé son riche CV de même que son parcours professionnel hors du commun, El Hadj Ibrahima Sall s’est dit à l’aise pour parler de comment les acteurs privés portuaires doivent participer à la Stratégie nationale portuaire en cours d’élaboration. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il a orienté son discours vers le mot persévérance. Un concept, selon lui, totalement bloqué au Sénégal. « Certes, je me dois de dire que ma fonction de Président de la Commission d’évaluation des politiques et programmes publics m’impose un droit de réserve. Mais j’ai convaincu le président de la République de m’octroyer une indépendance dans mon action et surtout dans le choix des hommes pour être indépendant de l’administration et des partis politiques. Une telle perspective me garantit une totale crédibilité de nos rapports ».
A l’en croire, le problème du capital humain est extrêmement important dans toutes les stratégies publiques et privées mises en place dans notre pays. « Mais au Sénégal, nous avons un problème général avec notre écosystème global. Les compétences au Sénégal se sont dégradées, l’administration s’est affaissée. Le pays est plongé dans un laxisme généralisé. Le service public a disparu. L’administration ne répond pas au téléphone. Le privé est obligé de faire le pied de grue devant les locaux de l’administration pour faire avancer les dossiers importants » diagnostique l’ancien ministre du Plan du président Abdou Diouf.
Conquis, le public a interrompu Ibrahima Sall plusieurs fois à travers des ovations nourries. « Aujourd’hui, dans notre pays, on doit travailler à être sérieux, aucune évaluation des politiques et programmes n’a été faire depuis que le Sénégal existe » Devant la Communauté des acteurs portuaires et ses invités qui buvaient littéralement ses paroles, El Hadj Ibrahima Sall a continué à asséner ses vérités. « Aujourd’hui, nous devons travailler à être plus sérieux et rigoureux dans les procédures pour que les choses soient normalisées. Nous devons revoir notre façon de parler, de faire. Les compétences sont affaissées alors qu’elles doivent être revalorisées.
La question des compétences doit être arrimée à un écosystème pour les valoriser. Depuis que le Sénégal existe, il n’y a pas eu une seule fois une évaluation des politiques et programmes mis en œuvre par les gouvernements successifs. C’est seulement sous Macky Sall qu’il y a eu une première évaluation historique concernant le secteur de la santé. Ce travail sur le système de santé notamment les objectifs, les dispositions, les financements, les moyens, les infrastructures… a été fait pendant deux ans. Nous venons de terminer ce travail. C’est pour vous dire que nous n’avons pas une culture d’évaluation au Sénégal » dit-il.
Enfin après avoir posé tous ces préalables, El Hadj Ibrahima Sall a donné son point de vue sur la Stratégie nationale portuaire et, notamment, la participation de la CAP-Sénégal. « La compétitivité du Port de Dakar ne saurait se régler sans un écosystème intégral assaini à tous les niveaux. A côté du Plan défini de la Stratégie nationale portuaire, il doit y avoir une organisation qui mette en œuvre ce plan. Aller vite, c’est une bonne chose, mais savoir comment y aller, c’est encore mieux. La Stratégie nationale portuaire réussira si le public et le privé s’accordent à travailler en synergie totale. L’approche devrait être interministérielle.
A défaut d’une machine commanditée par un Premier ministre, elle devrait impliquer une quinzaine de ministres sous la coordination par exemple du ministre de l’Economie et des Finances. Dans tous les cas, l’approche doit être interministérielle et intersectorielle pour une prise en charge au plus haut niveau permettant de mieux aider le président de la République à prendre une décision finale appropriée » a conclu El Hadj Ibrahima Sall qui a décidément conquis son auditoire hier.