COUP DE MASSUE SUR LE PROCESSUS DE PAIX EN CASAMANCE
Les projets d'accompagnement des ex-combattants du MFDC et de réinsertion des populations déplacées se retrouvent brutalement interrompus, laissant des milliers de personnes dans l'incertitude, avec la suspension de l'aide américaine

C’est l’inquiétude à bord du processus de paix en Casamance, avec la suspension/retrait de l’intervention américaine. Les acteurs surpris ne cachent pas leurs tourments et leur désarroi quant aux conséquences désastreuses que pourrait engendrer ce retrait. Ex-combattants, populations déplacées, brutalement sevrés de l’intervention américaine en Casamance par la volonté du gouvernement américain, s’inquiètent et sont préoccupés par la capacité de l’Etat du Sénégal de prendre le relai de cet accompagnement dont ils étaient les bénéficiaires?
Dépendant, en partie, de l’appui américain, avec divers programmes et intervention, le processus de paix en Casamance accuse un coup dur avec la suspension/retrait annoncée de l’aide américaine au Sénégal. Surprise, désolation et désarroi animent, en ce moment, de nombreux acteurs du processus de paix en Casamance qui sont inquiets après la décision de suspendre cette intervention américaine.
Des ONG qui interviennent dans ce processus quittent les lieux et risquent de laisser derrière elles une situation difficile. L’accompagnement des ex-combattants du Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC) reconvertis risque d’être compromis. L’Initiative pour la Réunification des Ailes Politiques du MFDC (IRAPA), partie prenante de la signature des « Accords de Paix sur le dépôt des armes » des combattants de la faction du MFDC de Diakaye est ébranlée par cette nouvelle donne. Son coordonnateur, Lamine Coly, ne cache pas son inquiétude et ses craintes. Il se dit bouleversé. « En tant que coordonnateur de IRAPA, signataire des accords entre Diakaye et l’Etat du Sénégal, je vois que si l’USAID qui était là pour accompagner Diakaye, s’il n’est plus là, c’est le chaos total. Si les populations qui ont retrouvé leurs localités se retrouvent sans aide, sans accompagnement, c’est la panique. Comment ces populations vont se débrouiller. Est-ce que ces populations ne vont pas retourner pour aller mendier», s’interroge l’acteur de paix.
Les programmes d’infrastructures scolaires et enrôlement à l’état civil des déplacés et ex-combattants du MFDC et leurs familles affectés
M. Coly s’inquiète pour lui-même : « Moi, en tant qu’acteur de paix, je suis étranglé ébranlé parce que j’ai consulté pas mal de populations. Je les ai encouragés sur le retour dans leurs localités. Donc, si ces populations aujourd’hui n’ont pas satisfaction ça risque d’avoir beaucoup de problèmes », déplore-t-il. Des difficultés dans l’accompagnement des populations qui risquent d’aller crescendo les prochains mois, surtout dans la zone de Djignaky où la suspension de «Alliwili 2 Extension», un programme de l’USAID qui intervenait dans le domaine de l’état civil et la consolidation de la paix, pourrait engendrer des conséquences désastreuses sur l’accompagnement des populations de différentes localités de la zone. Pour Alphousseyni Diémé, le maire de la commune de Djignaky, les impacts de ce retrait sont multiples et de plusieurs ordres. «Dans le cadre de l’accompagnement et du processus de paix en Casamance, le projet Usaid Alliwili 2 intervenait dans la commune de Djignaky pour consolider cette paix que l’on veut définitive. L’enrôlement à l’état civil des ex-combattants, de leur famille et, peutêtre même, des communautés mais également la relance des activités économiques qui ont été bloquées pendant tout ce temps qu’a duré le conflit se retrouvent au point mort. Aujourd’hui, c’est un véritable coup dur. Je prends le cas de l’enrôlement à l’état civil, malgré que l’Etat semble revenir par des audiences foraines pour relever le défi, mais il y avait un stock qui était de l’ordre de 50.000 à 60.000 extraits de naissance en suspens. La suspension brutale de toutes ces actions par le gouvernement américain au Sénégal affecte cet accompagnement aussi sur le plan éducatif où le système bénéficiait d’infrastructures scolaires », se désole M. Diéme qui estime que cet arrêt de l’intervention américaine sera durement ressenti dans le processus de paix en Casamance.
Plus de 300 familles de déplacés de retour inquiétés pour la construction de leurs habitats
Et comme si cela ne suffisait pas, ce sont plus de trois cent (300) familles de déplacés qui s’inquiètent également. Elles qui bénéficiaient chaque année de l’accompagnement d’une ONG Américaine. Revenues sur leurs terres, ces populations s’interrogent sur la construction de leurs habitats. Et lorsqu’Ousmane Sanding, le maire de Boutoupa Camaracounda, zone d’intervention de l’ONG américaine Shelt For Life depuis 2017, apprécie, c’est pour étaler toutes ses inquiétudes. «Les populations déplacées sont en train de construire en banco leurs habitats. Et, avec l’hivernage qui approche, ce sont des maisons qui risquent de s’effondrer, si elles ne sont pas couvertes. Et cela risque d’être un désarroi pour les populations. C’est pourquoi nous avons sonné l’alerte pour que ces populations soient prises en charge dans le ‘’Plan Diomaye pour la Casamance’’», lâche le maire de Boutoupa. Le "Plan Diomaye pour la Casamance" (PDC), lancé par le gouvernement sénégalais, vise à revitaliser la région de la Casamance en soutenant le retour des déplacés et en améliorant les infrastructures locales. Le PDC prévoit une enveloppe budgétaire globale de 53,6 milliards de francs CFA. Ces fonds sont destinés à financer des infrastructures essentielles telles que des forages pour l'accès à l'eau potable, des écoles, des routes et le retour des services de l'État dans les zones précédemment abandonnées en raison de l'insécurité. L'objectif est de faciliter le retour de près de 6 000 personnes dans leurs villages d'origine, dont 33 sont encore désertés à ce jour.
Dans le contexte casamançais, « le Plan Diomaye pour la Casamance » apparaît comme une réponse nationale ambitieuse pour combler le vide laissé par le gel de l'aide américaine. En investissant dans des infrastructures de base et en rétablissant les services publics, le plan pourrait viser à continuer à travailler pour environnement propice au retour des déplacés et à leur réintégration durable. Cependant, des défis subsistent, notamment en ce qui concerne la régularisation de l'état civil des ex-combattants, un aspect crucial s’il en est.
Aujourd’hui, ce retrait de l’intervention américaine plonge la plupart des acteurs du processus de paix dans le désarroi total. L’inquiétude est grandissante et risque de fragiliser le processus de paix qui avait pourtant pris son envol pour une paix définitive. Aujourd’hui, ces acteurs de la paix lancent un cri de cœur pour le retour de l’intervention américaine qui a contribué grandement à l’accompagnement des populations déplacées mais aussi et surtout les ex-combattants du MDFC qui devraient, en attendant, compter sur l’Etat du Sénégal et ses différents programmes et projets, pour accompagner leur réinsertion.