GUET-NDAR ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ
Un endroit paradisiaque où grâce à une solidarité agissante on rend de nombreux services à son prochain sans ostentation - REPORTAGE

Le pont El hadji Malick Gaye offre une belle vue panoramique sur le quartier de Guet-Ndar. On peut apercevoir le populeux quartier, dense et vivant avec ses ruelles étroites, ses ribambelles d’enfants qui s’esclaffent, se tiraillent, se contorsionnent.
En cette belle matinée du mois de septembre 2018, la chaleur est torride et suffocante dans la capitale du Nord. Il est 12 heures 30 minutes. Le soleil est au zénith. Derrière les clôtures de bois, de tôles ou de parpaings, les maisons en dur sont aussi nombreuses que les baraques. Mais, ce qui frappe dans ces constructions ce sont leur petite taille et leur entassement dans un espace réduit. Guet-Ndar, ce quartier de pêcheurs atypique, exhibe fièrement ses vieilles chaumières, attrayantes dans leur prodigieux enchevêtrement. Sa grande mosquée trône imperturbable au milieu de Lodo et de Pondokholé (sous-quartiers). Le site de Diamalaye où on débarque la sardinelle, «yabooye» en ouolof et le cimetière «Thiaka Ndiaye» où on découvre des tombes hérissées de piquets de bois ou de fer, recouvertes de filets de pêche qui, à l’origine, étaient l’unique moyen de protéger les sépultures contre les chacals et les chiens errants s’offrent à la vue du visiteur. Plus de 300 familles de cette partie de la Langue de Barbarie, victimes des derniers raz-de-marée ont été relogées sur le site du croisement Bango/Ngallèle/Khar Yalla. Trapues et recroquvillées sur elles-mêmes, dégoulinantes de sueur, ces vendeuses de sardinelles, salées ou séchées, de poissons fumés, tambadiang et autres produits halieutiques, font la navette entre l’Avenue Ousmane Thiané Sarr (exLamotte) et le marché de NdarToute. La circulation est dense. L’entrée de cette avenue principale qui coupe le quartier en deux grouille de monde. Les pêcheurs vaquent tranquillement à leurs occupations, en attendant de récupérer dans l’après-midi les revenus tirés de la vente du «yabooye».
KHAR YALLA : UN SITE DE RELOGEMENT MAL AIME
A cause des fréquents raz de marée qui ont emporté plusieurs concessions de GuetNdar, certains habitants ont été obligés de déménager vers le site de recasement de Khar Yalla. C’est le cas, notamment de Mody Sène Gaye, 43 ans, père d'une famille de 14 enfants. Il en est de même pour Mame Boly Sarr, 38 ans, pêcheur de sennes tournantes, qui réalisait de bons chiffres d'affaires, lorsqu'il habitait à Guet-Ndar. Ndèye Marigui Diop, mareyeuse et Rokhayatou Farma Diène, transformatrice de produits halieutiques sont dans la même situation. Ces habitants de Guet-Ndar, devenus des pensionnaires de Khar-Yalla, ont eu le temps de changer de vie et de se reconvertir dans d'autres domaines de la vie économique. Rencontrés à Khar-Yalla, ils nous ont fait comprendre qu'ils mènent actuellement des activités professionnelles, respectivement dans les domaines du maraîchage, de l'aviculture, de l'embouche bovine et de la teinture. Nos interlocuteurs soutiennent qu'ils n'envisagent pas de retourner s'installer à GuetNdar. «Nous avons appris que la Banque mondiale va investir 16 milliards dans la construction de plus de 400 logements sociaux destinés aux sinistrés de la Langue de Barbarie, sur un site viable, déjà identifié et situé à quelques encablures de l'Université Gaston Berger, plus précisément à Diougob, dans la commune de Gandon, c'est un projet de grande envergure qui pourra nous soulager et nous permettra de rompre définitivement avec les raz-de-marée récurrents qui touchent Gokhou-Mbathie, Santhiaba, Guet-Ndar, l'hydrobase et les localités du Gandiolais», explique-t-il.
Retour à Guet-Ndar. Vieux Abdou Dièye, sexagénaire se montre disponible, modeste, humble et courtois. Faisant les cent pas aux abords du monument aux morts, il exhibe un visage rugueux, raviné par la fatigue et buriné par les intempéries et tout ce qu’il a enduré en haute mer durant ses longues campagnes de pêche. Pragmatique, il révèle que «Guettou-Ndar signifie le parc à bétail de Saint-Louis». A l’époque, précise-t-il, le quartier appartenait à un Maure très riche qui y parquait son bétail. «Selon la version servie par nos ancêtres, c’était le fief de l’Emir du Trarza qui y gardait ses troupeaux de bovins, d’ovins et de caprins. Au fil du temps, des groupes de pêcheurs s’y sont installés et ont mis à profit la période d’abondance du poisson pour réaliser de bons chiffres d’affaires. Finalement, ils ont occupé toute cette partie de la Langue de Barbarie, située entre la mer, le petit bras du fleuve, Santhiaba et le cimetière de Thiem appelé aussi Thiaka Ndiaye. Ces pêcheurs, pour étendre leurs habitations, finirent par fonder trois sous-quartiers que sont Lodo, Pondokholé et Dack», raconte-t-il. A l’en croire, Guet-Ndar a changé de visage au fil du temps. «Durant l’époque coloniale, les pêcheurs étaient très superstitieux et hésitaient à construire des maisons à étage qui risquaient de déranger Mame Coumba Bang, le Génie tutélaire des eaux. Un génie très sévère et exigeant qui n’acceptait pas que des constructions futuristes et autres immeubles imposants surplombent le grand bleu. Mais, du fait de la croissance démographique, de la modernisation, du brassage et du choc des cultures et de l’évolution des mentalités, les pêcheurs ont eu une autre conception de la vie. Aujourd’hui, ils ont tendance à trimer dur en haute mer pour édifier ces belles bâtisses qui contrastent avec un habitat sommaire», affirme notre interlocuteur.
Dans ce vieux quartier qui servait de lieu de pâturage aux Maures, un ancien pêcheur assis sur une placette à prière aménagée devant une grande maison d’un grand notable du quartier attire notre attention. Derrière ses lunettes de correction, il jette un regard à la dérobée. Haut cadre de l’administration, à la retraite, il se définit comme un intellectuel. «Je suis né à Guet-Ndar, mais je n’ai jamais été un pêcheur professionnel. J’allais en mer pendant les vacances scolaires. Je ne peux pas vous parler de parc à bétail ou de lieu de pâturage, je ne maîtrise pas cette version. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ce village est très ancien. Il appartenait aux Français qui le considéraient comme un territoire coutumier. Notre chef était nommé par le Gouverneur du Sénégal qui rappelait tout le temps à nos ancêtres qu’ils devaient fournir du poisson à Saint-Louis. Les colonisateurs français y avaient installé une batterie de canons pour surveiller le large. On raconte aussi qu’il y avait beaucoup de maisons en paille ravagées à plusieurs reprises par des incendies». Guet-Ndar est un monde exceptionnel, un havre de paix où on élève le ton à sa guise, où un voisin peut se permettre de réprimander et de corriger sévèrement l’enfant d’autrui pour lui apprendre les bonnes manières. Guet Ndar est un endroit paradisiaque où grâce à une solidarité agissante on rend de nombreux services à son prochain sans ostentation. L’altruisme, l’honnêteté, la loyauté dans les rapports, la gestion collective et communautaire des problèmes sociaux, la dignité et la sincérité sont autant de valeurs qui contribuent à l’équilibre de cette communauté que tout un chacun s’efforce de préserver. Une véritable marée humaine s’y déploie tous les jours à la recherche effrénée de sa pitance.