LE MARIAGE A L’EPREUVE DES CASTES
Quand les préjugés priment sur les valeurs sociale et religieuse - Difficile union entre des amoureux de classes sociales différentes
Aujourd’hui, de nombreux projets de mariage avortent du fait de parents qui refusent, pour leurs enfants, le «mélange des classes sociales», de «sangs» pour veiller à la «pureté» de la race, de l’ethnie. Les sociétés africaines traditionnalistes, de manière générale, y veillent. Mais, en particulier, la société sénégalaise est obsédée psychologiquement par l’esprit de caste. C’est un mal bien plus profond car, pour certains, c’est de l’abus moral contre des gens qui n’ont commis aucun crime que la loi et tous les textes sacrés, comme le Saint Coran, ont sanctionnés mais que dans l’esprit, certains groupes refusent pour des raisons sans fondement. Pour d’autres, il s’agit d’un legs ancestral, vieux de plusieurs millénaires qu’il faut respecter. Et, au Sénégal, ces considérations sont plus entretenues chez les musulmans. D’ailleurs, malgré que l’Islam prône l’égalité entre les personnes, quand il s’agit du mariage, les religieux qui véhiculent cet enseignement sont les premiers à le refuser, déplore le Professeur de Littérature comparée et Sémioticien à l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis, Kalidou Sy. Et de souligner que «le départ de cette confusion, c’est la famille référentielle de l’Islam…» L’imam Alioune Mbaye, prêcheur à Sud Fm, convaincu que le mariage ne repose pas sur le sang car, tous les hommes sont descendants d’Adam et Eve, insiste qu’«en matière de mariage, la religion musulmane, ne fait aucune distinction entre les hommes».
QUAND LES PREJUGES PRIMENT SUR LES VALEURS SOCIALE ET RELIGIEUSE
La caste est considérée comme une classe ou une catégorie sociale jouissant de privilèges jouant sur des prérogatives que certains possèdent sur les autres, qui font qu’une classe se croit supérieure à une ou toutes les autres. Ce sentiment renforce la discrimination raciale au Sénégal, réputé «un pays de la Teranga». D’un côté, il y a ceux qui se considèrent comme les plus nobles (les Guër) et, de l’autre, les basses classes: Teugg (forgeron, orfèvre), Laobé (sculpteur de bois en tout genre), Gueweul (griot) etc., car leurs métiers sont considérés par les premiers comme avilissants. Il y, a par ailleurs, un autre cas différent du lot «le jaam», l’esclave. Chaque classe a non seulement sa particularité, mais c’est surtout ce sont les premiers qui donnent de l’argent, qui récompensent par des pécules les derniers. Même à l’intérieur de cette prétendue «basse classe», il y a des refus de s’allier aux autres, par n’importe quel moyen. Cette tendance fait que d’autres lignes sont tracées entre ces différents pôles. La plus forte, c’est celle où le mariage est refusé à quiconque n’est pas de la même classe sociale. Dès lors, le mariage ne se fait qu’entre les gens de la même catégorie sociale.
Alors, l’on se demande pourquoi un tel refus, sachant que tous les hommes naissent libres et égaux, que la même culture et la même foi en Dieu lient toute la communauté ? Sur quoi se fonde-t-on pour créer un respect de chaque classe si tous vivent dans la même société ? Qu’est-ce qui anime l’esprit de caste par rapport au mariage ? Ce désir de conserver la pureté de la race. Comment, dans un pays africain, marqué comme d’autres Etats, par une longue tradition d’avilissement dans l’histoire du continent noir: esclavage, colonisation, racisme etc., peut-on créer, entre frères de même couleur, cohabitant dans un même espace géographique, des différences raciales, des distinctions de classe ? Pourtant, il arrive de voir des parents refuser de marier leur enfant à une personne (de même confession religieuse) dont ils connaissent les origines. Mais les mêmes parents, dès que le prétendant est un étranger, pour ne pas dire un blanc, n’hésitent pas à accepter le mariage de leur fille ou fil avec ce dernier. Est-ce une manière de dire que mieux vaut marier son enfant à un inconnu plutôt qu’à un voisin ?
ETRE TEUGG, LAOBE, GUEWEUL, JAAM…, UN «PECHE ETERNEL ?»
D’une part, il y a des parents qui refusent cette réalité des castes, cet «esprit insensé» de caste que rien n’explique. Puisque le mariage est un des principes sacrosaints du Coran et de tous les autres livres saints et ils estiment qu’il ne devrait y avoir aucune réticence à unir deux personnes qui s’aiment et veulent se marier. Seulement, c’est un nombre restreint qui pense de la sorte. Puisque, d’autre part, la majorité est contre le mariage d’avec une classe autre que la sienne. Combien sont-ils à souffrir d’être rejetés ainsi que toute leur famille par une classe très fière, qui revendique sa supériorité sur l’autre.
B.K, un jeune homme qui a requis l’anonymat et que nous désignons par ces initiales, en fait les frais. Décidé à épouser sa copine avec qui, il «sort depuis 5 ans», B.K s’est vu rejeté par la famille de cette dernière sous prétexte qu’il est un «jaam» (esclave). Alors que la fille appartient à la lignée noble d’un marabout, donc elle est une «guër». Il y en a aussi des femmes qui se sont vues rejeter par la famille de leur élu car elles sont des «Teugg» ou des «Laobés». Pis encore, d’aucuns refusent même l’union entre des ethnies différents, comme un mariage entre Toucouleur et Sarakholé ou autres.
DE L’OBLIGATION POUR LES FILLES DE NE PAS «SOUILLER» LEUR «ASKAN»
Interpellée, F. Ndiaye sur cette question, une mère d’une famille nombreuse, dont beaucoup de filles, avoue ceci: «je refuse de donner mes filles en mariage à des gens qui ne sont pas de notre catégorie sociale». Car, selon elle «je ne répète que ce que les miens m’ont appris, que les liens du sang sont tellement forts qu’il est impossible de braver cet interdit en violant cette règle que nos ancêtres, avant nous, ont perpétué. Même moi, j’ai été soumise à cette volonté. Le respect envers la tradition prime sur tout et que nos enfants doivent se soumettre à cette réalité. Sans quoi, ils ne connaîtront pas le bonheur du ménage, s’ils ne se fient pas à cette volonté parentale et décident de suivre leur propre voie.»
N’allez pas demander à F. Ndiaye pourquoi ce choix extrême et sur quoi se fonde ce sentiment, car elle reste convaincu de ceci: «si nos filles désobéissent et se lient à un homme d’une classe autre que la nôtre, elles vont briser leur «askan» (lignée, rang social), c’est-à-dire leur «classe noble propre» du côté de leur mère. Car, les enfants de celles-ci devant avoir le même nom que leur père qui est teugg, ou laobé. Ces enfants ne seront pas traités au sein de la famille de la fille de la même manière que ceux des autres filles qui ont épousées des hommes de leur classe.»
MALGRE LES REFUS… L’AMOUR FINIT TOUJOURS PAR TRIOMPHER
Mais les victimes de ce destin fatidique, pris pour eux, ces désavantagés qui constituent pour la plupart des jeunes, espèrent des anciens, des parents plus d’indulgence et les invitent à être plus regardants par rapport au sort qu’ils réservent aux jeunes générations et d’arrêter de s’opposer à l’union d’êtres qui s’aiment. C’est pourquoi, l’un d’eux, M. Diallo estime que «c’est à cause de ce refus d’unir des personnes qui s’aiment à cause de leur origine, qui est source de débauche et mère de toutes les catastrophes. Parce que l’amour finit toujours par triompher. C’est ce qui fait que, tellement désespéré, le couple illégal décide de coucher ensemble, commette l’adultère qui est un déshonneur pour la femme, mais qui l’accepte par amour.» Ainsi va naître, selon lui, «l’espoir que les parents cèdent finalement bon gré malgré à cette union bannie par leurs propres lois.»
Poursuivant son analyse, il explique que «ce refus même est à l’origine du «njaaloo» (l’adultère). Parce que l’homme peut être amené à tromper sa femme, ou la femme son mari par la personne qui lui a été jadis refusée pour le mariage.» Espérons, que les mentalités changent par rapport aux castes. Car, c’est l’espoir et le bonheur des enfants qui sont brisés. Le mariage, dans tous les cas, demeure un rituel social, culturel, religieux sacré.
KALIDOU SY, PROFESSEUR DE LITTERATURE COMPAREE ET SEMIOTICIEN A L’UGB : «Le départ de cette confusion, c’est la famille référentielle de l’Islam…»
Les questions liés aux castes constituent un véritable phénomène de société sont vécues de diverses manières au sein du pays, surtout quand il s’agit de mariage entre deux personnes de rang social différents. Kalidou Sy, professeur de Littérature comparée, Sémioticien à l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis explique ce qui anime l’esprit de caste. Il souligne, avant tout, son actualité dans les sociétés ouest-africaines, dans les pays limitrophes et surtout au Sénégal. Selon lui, «il y a des intellectuels qui se sont autoproclamés une noblesse de l’Islam».
A ce propos, il estime que le départ de cette confusion c’est «la famille référentielle de l’Islam», les «Torodo» c’est-à-dire «les nobles qui ont appris le Coran». Le Pr. Kalidou Sy révèle que «cette tradition a fini par prendre le dessus sur les préceptes de l’Islam, faisant que ceux qui ne sont pas issus de cette noblesse n’y sont pas accueillis. Même s’ils maîtrisent Coran.» Et pourtant, «cette réalité n’existait pas avant la pénétration de l’Islam», rappelle-t-il. C’est la raison pour laquelle, à l’en croire, on entend souvent ces propos: «je suis descendant de tel marabout, d’une lignée noble». Il poursuit en disant que c’est «ce qui crée les conditions d’un héritage patrilinéaire, qui accorde des prérogatives sociales. Et, du coup, être un religieux est un titre qu’on mérite au lieu de quelque chose qu’on conquiert par l’apprentissage du Coran.»
LES RELIGIEUX QUI ENSEIGNENT QUE L’ISLAM PRONE L’EGALITE ENTRE LES PERSONNES, QUAND IL S’AGIT DU MARIAGE, SONT LES PREMIERS A LE REFUSER
Allant en profondeur dans son analyse sur l’impact des castes dans le mariage au Sénégal, le Pr. Kalidou Sy développe cette idée: «dans la société, l’esprit de caste a créé une stratification sociale à travers une échelle de valeurs.» Ce qui fait que, psychologiquement, on se croit supérieur à l’autre. Et c’est ce qui justifie le fait qu’on puisse refuser de mélanger, par les liens du mariage, le «sang noble et pur» avec le «sang entaché». D’ailleurs, dit-il «cette échelle de valeurs est même visible par une division socioprofessionnelle.» Mais aussi, l’esprit de caste va au-delà du mariage dans la société. A entendre le Pr. Sy «même dans la sphère politique, les gens qui se réclament des nobles refusent que la personne considérée comme inférieure les dirige». D’où les propos du genre «kii douma jiitee» pour dire «il ne me dirigera pas», avec même une marque de dédain, de rejet et de mépris.
Pour finir, le Pr. Kalidou Sy, attire l’attention sur le fait qu’«il y a des choses qu’on ne dit pas. Les hommes religieux renseignent que l’Islam ne fait aucune distinction entre les personnes quand il s’agit du mariage, mais ce sont eux les premiers à le refuser.» Il faut le dire, la loi reconnaît la liberté et l’égalité par la convocation de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui considère que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. Et le mariage dans la société est le garant de la paix, de la stabilité du pays. Donc, c’est un outil fort pour consolider la famille et pour veiller au respect mutuel entre citoyens.
IMAM ALIOUNE MBAYE, PRECHEUR A SUD FM : «En matière de mariage, l’Islam ne fait aucune distinction entre les hommes»
Selon l’imam Alioune Mbaye, prêcheur à Sud Fm, la caste est un sujet inventé par les ignorants. Car, il estime qu’«en matière de mariage, la religion musulmane, matérialisée par L’Islam, ne fait aucune distinction entre les hommes». Poursuivant sa réflexion, Oustaz Alioune Mbaye, comme il est d’usage de l’appeler, explique les raisons qui font que la religion peut refuser le mariage entre un homme et une femme en ces termes: «si la personne ne fait pas partie de la religion musulmane (il interdit de marier une musulmane à un non musulman, ndlr) et si cette dernière n’a pas de dignité et refuse de travailler». Il y ajoute que « mis à part ces raisons, quiconque dit ‘‘Ach-hâdou an lâ ilâha illa -Allah’’ peut prendre, se marier, conformément à la charte du mariage religieux et que rien ne devrait empêcher» cela.
Et toujours, selon Oustaz Alioune Mbaye, «même si vous n’avez pas de liens de parenté avec le prétendant, cela ne devrait pas être un obstacle pour unir des personnes qui s’aiment». En plus, il rappelle les enseignements du Prophète Mohamed (Psl) qui disait que «si l’homme a une foi solide et un bon cœur, et qu’il peut subvenir aux besoins de la future épouse, on doit lui accorder la main de la femme convoitée, le reste importe peu.» Ce n’est pas dans le sang que repose le mariage. Car, nous sommes des descendants d’Adam et Eve, et les origines de ces derniers commencent sur terre.»
Par contre, imam Alioune Mbaye avoue que «le mariage doit être refusé à celui qui ne pratique aucun autre métier que celui d’utiliser sa parole à des fins pécuniaires». Car, à l’en croire, «l’Islam n’encourage pas cela, le fait qu’un homme ne travaille pas et se serve de sa bouche pour chanter et exalter les louanges d’un homme qu’il considère comme supérieur à lui. Il n’y a pas d’honneur à cela». Parce que personne ne voudrait donner sa fille en mariage à un homme qui se dévalorise. Par exemple, «le gueweul», selon oustaz Mbaye, n’existe pas. En ce sens que la personne qui en fait un métier aime la facilité. Il rappelle qu’au début, les griots étaient là pour redresser les rois, leur rappeler leurs devoirs et leur inspirer les valeurs du courage, de la fierté, de l’honneur que portaient en eux leurs ancêtres. Mais, aujourd’hui, les gens mélangent tout.
LES METIERS PROPRES A CHAQUE CLASSE SOCIALE N’ONT AUCUN RAPPORT AVEC LE MARIAGE, LA PREUVE PAR LES PROFESSIONS DES PROPHETES
En outre, oustaz Alioune Mbaye explique que les métiers propres à chaque classe sociale n’ont aucun rapport avec le mariage. Il invite, dès lors, à interroger les professions de nos Prophètes. La preuve, pour lui, c’est que «le Prophète Daouda (David - As) était un «teugg» (orfèvre); le Prophète Nouh (Noé – As) un «Laobé»; Ibrahima (Abraham - As) était un «maçon» etc.» Ainsi, on peut dire que toutes les professions se valent.
En plus, oustaz A. Mbaye éclaire sur le statut du «jaam», celui qu’on appelle «esclave ou captif». Il estime qu’ «avant d’indexer quelqu’un de «jaam», il faut d’abord savoir, sur quels critères on s’est basé. S’il s’agit de la force par l’achat de la personne, A. Mbaye pense que «c’est celui-là même qui achète qui est un esclave.» Mais l’esclave existait déjà, quand on interroge l’Appel au Jihad de Cheikh Oumar. Car, il avoue «que ceux qui refusaient de venir répondre, étaient capturés et faits esclaves. Et ceux-ci ne pouvaient avoir d’épouses ou d’époux pieux. Ils se mariaient entre eux.» Cependant, pour que l’esclave puisse se libérer, il devait donner de l’argent, une pratique qu’on appelle «jotou» (s’affranchir). Toutefois, lance-t-il, «ce n’est pas une raison pour penser que si l’arrière grand-père de quelqu’un est un «jaam», son petit-fils l’est aussi. Alors que celui-ci vit libre, travaille et gagne sa vie honnêtement.»