LES BOUFFÉES MYSTIQUES DU THIOURAYE
Élément important de l’arsenal de séduction de la femme sénégalaise, l’encens assure d’autres fonctions dans bien des espaces de vie
Des maux de tête et des crises ! C’est le calvaire de Ramatoulaye Niang, depuis des lustres. Elle est élève en classe de première S au lycée Seydina Limamoulaye de Guédiawaye. La jeune fille vit avec cette souffrance depuis ses 12 ans. Un jour, sa maman, Mariama Mbaye, en touche un mot à un marabout se trouvant aux Parcelles assainies. Et depuis lors, sa santé est meilleure. « Le marabout m’a donné du thiouraye (encens). Je l’utilise deux fois par jour. Le matin et le soir vers 19 heures », confie-t-elle, la mine contractée. Une autre vertu de l’encens, au-delà de ses senteurs. Ce que confirme un guérisseur traditionnel, accueillant ses « patients » à la Gueule Tapée. Il préfère garder l’anonymat. Dans la chambre où il accueille ses clients, le décor n’est pas des plus gais. Tout y est sombre. Seuls quelques rayons de soleil perçant la fenêtre y jettent une lueur blafarde. Pour lui, l’encens fait partie de la médecine traditionnelle. Dans certains cas, cette substance est « incontournable » et très « efficace ». Quelquefois, « des femmes viennent me demander, révèle-t-il, le type d’encens qu’il faut utiliser pour retenir leurs maris mystiquement ».
Élément important de l’arsenal de séduction de la femme sénégalaise, l’encens assure d’autres fonctions dans bien des espaces de vie. Seynabou Dieng, la dentition belle, l’allure altière et le teint noir, en connait un rayon. « Les débuts de mon mariage ont été difficiles. Mon foyer était instable. Un jour, je suis allée voir un marabout pour des prières. Il m’a donné de l’encens que je devais mettre dans un coin de la chambre », raconte cette trentenaire habitant à Pikine qui a connu, par la suite, des « jours plus heureux ». S’il y a des femmes qui utilisent le produit pour « se soigner », d’autres y font recours pour se protéger contre les caprices du sort. « À quelques jours de mon mariage, ma tante est venue me remettre un sachet contenant de l’encens destiné à protéger mon foyer contre le mauvais œil », se souvient Mariama, la mère de Ramatoulaye.
Thiouraye « dépucelage »
Un tour dans les boutiques spécialisées de Tilène où les senteurs sont pénétrantes. Dès l’entrée de la boutique « Makine cosmétique et thiouraye », l’odeur de l’encens titille les narines. Un lieu bouillant où des femmes se ravitaillent. Pas moins de 10 hommes, tous portant des teeshirts noirs, gèrent ce grand commerce. Moussa Konaté Guéye est l’un d’eux. Chez lui, le thiouraye Oud est le plus prisé. « Les femmes utilisent beaucoup ce produit. Car il est recommandé pour l’intimité, surtout pour une femme qui s’apprête à faire son premier rapport sexuel », soutient-il, heureux de cette vogue qui lui profite.
Quant au « thiouraye Liban Zakar », il mènerait à la prospérité et attirerait les clients dans le domaine du commerce. Le guérisseur traditionnel, lui, recommande à ses clients l’encens « Bois santal » pour s’épanouir dans le travail. Dans une élégante combinaison, Khoudia Guèye vient de décrocher un contrat de travail dans une banque. Pour se protéger des mauvaises langues, son marabout lui a recommandé d’acheter l’encens « Nur Muhamad ». Et elle a ainsi « bon espoir de conjurer le sort ».