LES FEMMES DU BOIS SACRÉ, GARDIENNES DE LA TRADITION ET DE LA PAIX EN CASAMANCE
Héritières de savoirs séculaires, elles veillent dans l’ombre à la paix, soignent avec les plantes, et jouent un rôle discret mais crucial dans la résolution des conflits.

Dialan Bantang, situé à Soucoupapaye, un quartier de Ziguinchor (sud), est un lieu mythique devenu au fil des années le sanctuaire des femmes du bois sacré. Dans ce site sacré entouré d’un forte végétation, elles parlent aux esprits pour résoudre des problèmes graves qui peuvent perturber la quiétude de la société.
Il y a des rites pour l’âme des morts, pour bénir les mariages, d’autres pour invoquer la paix. Le bois sacré est un pilier de la société casamançaise traditionnelle. On y trouve nombre d’objets chargés de sens : têtes d’animaux plantées dans le sol, canaris à moitié ensevelis, bâtons et piquets fichés sur des monticules de terre entourés d’arbres appelés ‘’Bakin’’. Les femmes qui peuvent y pénétrer sont héritières de connaissances ancestrales. En cas d’épidémie, de sécheresse et d’autres calamités, elles y séjournent pour conjurer le mauvais sort.
En Casamance, chaque ethnie possède son bois sacré : les Diolas, les Baïnounks, les Balantes, les Mancagnes et les Manjacks. Parmi les femmes du bois sacré, on compte aussi des chrétiennes et des musulmanes. ‘’Chaque village a un bois sacré où se retrouvent les femmes pour échanger, parler des faits divers, régler des conflits et mener toutes les activités liées au village”, explique Marie Rosalie Coly, présidente des femmes du bois sacré du quartier Djibélor, visiblement satisfaite de recevoir ses visiteurs dans son domicile situé à la cité Biagui, un quartier de la commune de Ziguinchor.
Prenant le soin de parler aux esprits avant de répondre aux questions de l’APS, Marie Rosalie Coly renseigne que les femmes du bois sacré sont les détentrices de la tradition et qu’elles perpétuent l’œuvre des ancêtres. L’activité phare des femmes du bois sacré est constituée de rituels, de prières, de méditation et de pratiques phytothérapeutes.
”Nous soignons avec les plantes et procédons à des rituels, des sacrifices, des libations entre autres’’, énumére-t-elle, rappelant que son bois sacré est l’un des plus grands bois sacrés de la Casamance et comprend des femmes de confréries et d’ethnies différentes.
Pour Louis Tendeng, ancien combattant du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), chez les diolas, les femmes du bois sacré jouent un rôle important. ‘’Quand il y a des problèmes au niveau du village, ce sont elles qui interviennent sur le plan mystique. Quand il y a des conflits entre villages ou quartiers, elles interviennent et essayent de les résoudre. Et quand elles s’interposent, les belligérants mettent fin à leurs hostilités”, explique-t-il.
Un rôle de veille
‘’Nous n’intervenons pas dans la politique, mais jouons un rôle de veille dans notre région. Si ça ne va pas, nous appelons les politiques à de meilleurs sentiments afin qu’ils se retrouvent autour de l’essentiel. Ce qui prime pour nous, femmes du bois sacré, c’est la paix’’, affirme la présidente des femmes du bois sacré de Djibélor et reine mère ‘’Apoye Etam’’ (celle qui est sur la terre, en diola) des bois sacrés de la Casamance. Elle soutient que ‘’les femmes du bois sacré ne doivent pas se ranger derrière un homme politique’’.
‘’Nous sommes les mamans de tout le monde, des combattants, des militaires et des politiques. Nous ne devons pas nous mettre derrière une personnalité politique’’, confie-t-elle, exhortant la population à faire la part des choses, car elles jouent un ‘’rôle de veille et de protectrices de la population’’.
‘’Nous nous retrouvons pour prier, mais pas pour nous promener dans les rues. Les femmes du bois sacré sortent parce qu’il y a un évènement, des problèmes sociaux, une maladie ou un fléau. En général, nous sortons la nuit et nous nous habillons en noir’’, renseigne Rosalie Coly.
Un avis partagé par Louis Tendeng qui fut le bras droit de Léopold Sagna, un des fondateurs du MFDC, selon qui, ‘’les femmes du bois sacré n’interviennent pas dans la politique’’.
‘’Il y a, de nos jours, certaines femmes qui se revendiquent du bois sacré. On les voit partout. À l’époque, les femmes du bois sacré ne géraient que les problèmes de la société. Le rôle des femmes du bois sacré n’est pas d’intervenir en politique. Elles sont apolitiques’’, précise-t-il, faisant allusion au déplacement l’année dernière d’un groupe de femmes à Dakar venues au secours du leader du parti PASTEF et actuel Premier ministre du Sénégal, Ousmane Sonko.
‘’Les femmes du bois sacré doivent seulement travailler sur les questions mystiques et sur les préoccupations des populations. On n’a jamais connu des femmes du bois sacré dans la politique’’, insiste Louis Tendeng.
Des femmes se sont activées après l’éclatement de l’affaire de viol dont Ousmane Sonko était accusé. Ces dernières, vêtues de noir, avaient organisé une longue procession à travers les rues de Ziguinchor, tapant sur des calebasses et entonnant des chansons. Elles s’étaient même déplacées jusqu’à Dakar pour apporter leur soutien à celui qu’elles ont appelé leur ‘’fils’’.
Beaucoup de personnes, interrogées sur cette démarche de ces femmes se réclamant du bois sacré, ont exprimé leur désaccord. Selon elles, la femme du bois sacré ne doit pas se mêler de la politique.
‘’N’est pas femme du bois sacré, qui veut’’
‘’Les femmes du bois sacré ne sortent que quand l’heure est grave. En général, si elles se mobilisent, c’est pour résoudre des problèmes graves qui peuvent perturber la quiétude de la société’’, dit Tendeng. ‘’C’est souvent le cas quand il y a des fléaux graves, comme les maladies infectieuses comme le coronavirus, la tuberculose, les cycles de sécheresse ou les malentendus au sein de la communauté ou des conflits intercommunautaires’’, précise-t-il.
Alors, une procession, composée de femmes d’âge avancé, est organisée. Et ‘’il faut avoir beaucoup de sang-froid pour les approcher tellement leur air est grave’’, indique une source sous le couvert de l’anonymat. Si ces femmes sortent la nuit, poursuit-elle, ‘’on ne peut qu’observer la procession, car ces gardiennes du temple ne parlent jamais, même pas à leurs proches et particulièrement aux hommes’’.
D’ailleurs, les hommes ne les approchent pas en de pareilles circonstances. A leur passage, tout le monde s’empresse de s’écarter pour éviter tout contact physique avec elles, indique un sage de Ziguinchor. Il explique que seuls quelques rares initiés et notamment des gardiens de bois sacrés peuvent décrypter les messages qu’elles lancent à travers leurs chansons et autres rites. ‘’N’est pas femme du bois sacré, qui veut’’, clame la présidente des femmes du bois sacré de Djibélor.
‘’C’est le bois qui t’appelle. C’est mystique. Une personne peut tomber en transe et dire que telle autre doit adhérer, c’est-à-dire qu’elle doit venir nous rejoindre. Et à ce moment, on vient consulter cette dernière et l’aider à joindre le groupe’’, dit-elle, précisant que le pouvoir d’une femme du bois sacré ne se transmet pas de génération en génération.
‘’Nous ne sommes pas des magiciennes. Nous ne faisons pas de la magie. Nous parlons aux ancêtres. Nous communiquons avec eux’’, soutient Marie Rosalie Coly. ‘’Une femme du bois sacré peut tomber en transe et lire l’avenir’’, ajoute-t-elle.
‘’Les femmes du bois sacré consultent leurs fétiches’’, selon Louis Tendeng, indiquant qu’en Casamance, il y a des femmes à qui Dieu a donné un don de voyance. En général, si elles se mobilisent, c’est pour résoudre des problèmes graves qui peuvent perturber la quiétude de la société’’, renseigne un sage de Ziguinchor.
Il rappelle, par exemple, le rôle joué par ces femmes pour juguler le problème lié à l’invasion des criquets pèlerins qui avaient causé des ravages dans presque tout le Sahel au début des années 2000. ‘’À l’époque, elles s’étaient fortement mobilisées pour faire des prières et autres sacrifices dans tous les sanctuaires traditionnels de la région afin de sauver les récoltes. À l’arrivée, nous n’avions vu aucun criquet’’, rappelle-t-il, avant d’ajouter que beaucoup de problèmes graves ont été réglés dans la discrétion par ces femmes.
Selon lui, ‘’dans le conflit casamançais, ces femmes ont été en première ligne pour une solution de paix définitive’’. Il souligne que leur position a été déterminant. ‘’Par le passé, plusieurs villages ont été sauvés par l’intervention des femmes du bois sacré lors de conflits communautaires’’, ont indiqué plusieurs personnes interrogées, qui préfèrent garder l’anonymat.
En première ligne dans la résolution du conflit casamançais
Toutefois, rappellent certains habitants de Casamance, en décembre 1982, au début de la crise casamançaise, les femmes du bois sacré ont aidé à la préparation mystique des combattants du MFDC. Des serments ont été scellés dans le bois sacré avant que les guerriers n’aient pris le maquis. Aujourd’hui, si l’on note une paix en Casamance, c’est en grande partie grâce à ces femmes qui agissent sans tambour ni trompette, dans les forêts, nuit et jour, pour que la paix revienne dans la partie méridionale du Sénégal.
‘’Dans le confit en Casamance, les femmes du bois sacré ont joué un rôle très important. À l’époque, elles se regroupaient à Mangocouro [siège symbolique du mouvement irrédentiste, à Colobane]. Et les hommes étaient à Diabir, [à la périphérie sud de Ziguinchor]. Ces femmes et ces hommes communiquaient jusqu’au moment où la crise a éclaté, puis ont essayé d’intervenir à leur niveau pour sa résolution’’, se souvient Louis Tendeng, ancien combattant du mouvement irrédentiste.
‘’Pendant le conflit, les femmes ont essayé d’apaiser la situation. Elles ne prenaient pas d’armes. Elles étaient avec leurs calebasses qui deviendront des symboles d’apaisement de la situation’’, déclare M. Tendeng. Ce bras droit de Léopold Sagna, un des fondateurs du maquis en Casamance, se souvient de l’action des femmes du bois sacré lors de la marche sanglante de décembre 1982. ‘’Les femmes du bois sacré étaient derrière nous et lorsque les échauffourées ont fait rage avec l’armée, elles couraient dans tous les sens pour nous apporter de l’eau’’, se souvient-il.
En Casamance, les bois sacrés les plus anciens sont ceux de Djibélor (Ziguinchor) et d’Essolel, dans la zone des palmiers, dans le département de Bignona. ‘’Ce sont les deux bois sacrés authentiques du MFDC, où on a préparé les combattants avant de rejoindre le maquis’’, relève Marie Rosalie Coly.
‘’Je me rappelle lorsqu’il y avait des problèmes au niveau des hôpitaux, les femmes se sont levées, elles ont travaillé mystiquement et apaisé toutes les difficultés des hôpitaux”, se rappelle encore Louis Tendeng, décrivant ainsi un aspect du pouvoir des femmes du bois sacré en Casamance.
A présent, elles disent agir pour la paix en Casamance et au Sénégal en général. ‘’Nous voulons la paix et rien que la paix’’, clame la présidente des femmes du bois sacré de Djibélor, Marie Rosalie Coly.