PAP NDIAYE, KYLIAN MBAPPÉ, QUAND LA FRANCE PRONONCERA-T-ELLE ENFIN CES PRÉNOMS CORRECTEMENT ?
Papé Ène-Diaye, Kylian Ème-Bappé, Denis Sassou Ène-guesso… En France, ces patronymes sont souvent écorchés. Comme si l’apprentissage des usages linguistiques et phonétiques africains était un défi insurmontable

Au premier abord, ils n’ont rien en commun, si ce n’est leur métissage franco-africain et leur naissance en région parisienne. L’un est un universitaire reconnu, spécialiste de la communauté africaine-américaine aux États-Unis, qui vient de faire son entrée dans le gouvernement d’Élisabeth Borne en tant que ministre de l’Éducation nationale ; l’autre est un footballeur surdoué qui fait les beaux jours de l’équipe de France et continuera d’évoluer au Paris-Saint-Germain (PSG) après avoir été courtisé avec insistance par le Real Madrid.
Le premier a des origines à la fois françaises et sénégalaises ; l’autre est le fils d’un père né à Douala (Cameroun) et d’une mère d’origine algérienne, elle-même née à Bondy (Seine-Saint-Denis).
Ène-golo Kanté ou Abdoulaye Vade
Mais au cours de la semaine écoulée, un point en commun a réuni Kylian Mbappé et Pap Ndiaye : l’incapacité congénitale des commentateurs français à prononcer correctement leurs noms de famille respectifs. Et pourtant, c’est dès 1659 que les Français ont établi un premier comptoir à Ndar, cette ville sénégalaise qu’ils allaient rebaptiser du nom d’un de leurs rois et dont ils allaient faire ultérieurement la capitale de l’Afrique-Occidentale française (AOF) : Saint-Louis. Une ville où chaque habitant ayant « fait les bancs » est, lui, en mesure de prononcer correctement le nom de son ancien bourreau colonial, qui a laissé son nom en héritage au pont emblématique qui relie le continent à l’île abritant la ville historique : Faidherbe.
À la loterie franco-africaine, l’auteur de ces lignes peut s’estimer heureux. « Ba », n’est-ce pas le premier phonème enseigné aux écoliers français, dès le cours préparatoire ? B-A : BA. Les choses sont en revanche bien plus délicates pour Pap Ndiaye et Kylian Mbappé, sans parler de quelques-uns de mes amis de jeunesse : l’écrivain Wilfried N’Sondé (né au Congo), le photographe de presse Vincent Nguyen (au patronyme vietnamien), mon presque frère Ulysse N’Goubayou (grec d’adoption) ou encore ma collègue à Jeune Afrique Aurélie M’Bida (ces deux derniers patronymes étant d’origine camerounaise).
Anonymes ou célèbres (le footballeur Ène-golo Kanté, le président congolais Denis Sassou Ène-guesso ou même, dans une autre configuration, l’ancien président sénégalais Abdoulaye Vade – le « W » de son nom étant lu comme comme dans « Wagon » et non comme dans « Western »), combien sont-ils, sur le continent, à se faire « tympaniser » quotidiennement par ces distorsions ineptes dont les toubabs ont le secret ?
Pas d’effort d’adaptation
Pour un Français, la prononciation correcte de deux consonnes consécutives au début d’un patronyme africain semble en effet un défi bien plus difficile à relever que remporter la Coupe du monde de football ou combler le trou de la Sécu. Aussi les associations de consonnes en début de mot (« Ng », « Nd », « Mb ») sont-elles régulièrement dénaturées par les Français de France. Il était donc temps, concomitance de l’actualité entre Kylian et Pap oblige, de crier ce ras-le bol : « Doy na ! » (en wolof) ; « Ya Basta ! » (en espagnol)… Bref : « Ça suffit ! »
« La prononciation défectueuse des patronymes africains, commençant par Mb-, Nd- ou Ng- notée chez les Français peut être liée à une absence de conscience phonologique, analyse Sému Juuf, doctorant en sciences du langage et traduction à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, au Sénégal. Dans le système éducatif français, la bonne articulation de certains sons n’est pas enseignée, ajoute-t-il. Dans les substantifs et noms propres français, l’on ne retrouve pas ces phonèmes. »