"ON PEUT RETROUVER LE CAS GEORGE FLOYD PARTOUT, MÊME EN AFRIQUE"
Pour le sociologue Mahamadou Lamine Sagna, « beaucoup d’Etats se servent de la police pour contrôler des populations qui ne sont pas du même groupe ethnique ou religieux »

Ancien enseignant à Princeton, actuellement en poste à l’American University of Nigeria à Yola, le sociologue sénégalais Mahamadou Lamine Sagna est spécialiste des Etats-Unis. Il est l’auteur notamment de Violences, Racisme et Religions en Amérique. Cornel West, une pensée rebelle (éd. Karan, 2016). Pour Le Monde Afrique, il revient sur les réactions engendrées par la mort de George Floyd, tué le 25 mai par un policier blanc à Minneapolis, et sur le racisme systémique américain.
Les manifestations liées à la mort de George Floyd apparaissent nouvelles dans leur composante multiraciale et jeune. Y a-t-il un changement sociologique dans la lutte contre le racisme ?
Dans les années 1920, ce phénomène existait déjà avec le parti progressiste de Woodrow Wilson, le syndicalisme d’Eugene Debs ou le parti populaire de Thomas Watson. Ces mouvements ont constitué leurs luttes avec les populations noires, avant, malheureusement, de les abandonner. Thomas Watson a même fini proche du Ku Klux Klan. Cela est resté dans les mémoires, ce qui fait que pendant de longues années, les Noirs sont descendus seuls dans la rue.
Aujourd’hui, la situation est inédite. Les jeunes connaissent mal cette histoire et n’ont pas subi la ségrégation, abolie en 1964. C’est seulement la deuxième génération d’Africains-Américains à vivre la liberté. Et qu’il s’agisse des Noirs, des Blancs, des Asiatiques ou des Latino-Américains qui manifestent ces jours-ci, tous savent désormais que le racisme est structurel et ils sont déterminés à ce que les choses changent.
Ces manifestations interviennent en pleine pandémie de Covid-19, dont les Afro-Américains sont les principales victimes d’un point de vue sanitaire et économique. Cela a-t-il exacerbé la situation ?
La symbolique de la respiration est très importante en cette période de pandémie de Covid-19. On a vu George Floyd mourir asphyxié. Assister en direct à cette agonie nous a touchés dans notre humanité. Cette pandémie révèle par ailleurs, de manière criante, le lien entre l’économique, la santé et la question raciale. Les Africains-Américains sont 2,5 à 3 fois plus nombreux à mourir du Covid-19 et sont proportionnellement en surnombre parmi les 40 millions d’Américains mis au chômage du fait de cette pandémie.
Cela n’est pas étonnant et s’explique par le système américain, qui, comme l’a montré Cornel West, lie intrinsèquement ce qu’il appelle l’intégrisme de l’économie de marché – qui exige que l’économique passe avant tout autre chose –, le militarisme – même la police est militarisée – et l’autoritarisme. La mort de George Floyd relève de cette connexion économique, militaire et politique avec l’autoritarisme de Trump.
Les policiers inculpés dans différentes affaires de violence raciste jouissent souvent d’une impunité. Comment l’expliquer ?
Le système américain protège les policiers notamment grâce à une loi, la « qualified immunity », qui rend presque impossibles les poursuites contre les pratiques discriminatoires des agents. Le racisme est dans toutes les sphères de la société et de l’Etat, à un point tel qu’il peut être spontané, inconscient, tandis que certains individus en font même une sorte de contrat social, comme on peut le supposer chez Trump.