TOUBAB DIALAW, RÉCIT D'UNE PARTIE DU ROMAN NATIONAL
Première zone de peuplement des Lébous du Cap-Vert, Toubab Dialaw a revêtu, au cours de l’histoire, les habits de centre de commerce et de transit des esclaves vers Gorée, comptoir commercial et aujourd’hui localité touristique prisée
Première zone de peuplement des Lébous du Cap-Vert, selon une certaine tradition orale, Toubab Dialaw a revêtu, tour à tour, au cours de l’histoire, les habits de centre de commerce et de transit des esclaves vers Gorée, comptoir commercial et aujourd’hui localité touristique prisée et lieu d’expression artistique couru. Des pans d’histoires qui, mis bout à bout, confèrent à Toubab Dialaw une place importante dans le récit du roman national.
Fin août. Toubab Dialaw se réveille par un temps grisâtre, annonciateur d’une averse qui ne peut faire que du bien aux âmes de cette cité vallonnée qui ploient sous une chaleur d’étuve. Le trait d’horizon se confondant à la crête des massifs, s’assombrit davantage. Après quelques coups de vent, comme pour signifier qu’il est temps pour la rue de se mettre à l’abri, le ciel laisse alors tomber des gouttelettes salvatrices. Le relief de cette localité côtière, déjà revêtue d’une végétation luxuriante, scintille davantage sous l’effet de l’eau de pluie. D’un côté, des éminences sur lesquelles trônent des bâtisses de gens de fortune, de l’autre, des vallées encaissées où se niche le village traditionnel. Toubab Dialaw est une enfilade de dénivelés qui ondulent comme ces vagues qui viennent s’écraser sur ses côtes où les plages, en cette période d’hivernage, ont beaucoup perdu de leur surface. Normal, nous souffle-t-on, c’est la saison de la haute marée. La plage Bataye, où s’est écrite une partie de l’histoire de Toubab Dialaw, subit les caprices des ressacs de la mer.
De Wassawa à « Di na law »
Mais, pour comprendre comment cette zone touristique prisée, doublée d’un creuset culturel fécond est devenue ce qu’elle est, il faut prêter oreille à la tradition orale. Selon Barham Ciss, célèbre traditionaliste et fin connaisseur de Toubab Dialaw et de l’histoire des Lébous, tout est parti de l’endroit qui se trouve aujourd’hui derrière la Brigade de la gendarmerie, installée là où la route principale se scinde en deux (la bretelle gauche menant vers ce qu’on peut appeler la zone résidentielle où pullulent des résidences secondaires et qui se prolonge jusqu’à Ndayane et le chantier du port ; la bretelle droite conduisant vers les dédales du quartier Ngouy et de sa place publique). « On l’appelait ‘’Wassawa’’, le premier endroit occupé par les premiers habitants. Par ailleurs, c’est le premier village au bord de la mer, habité par des Lébous », explique celui qui se fait appeler « Ambassadeur Lébou gui ». Cependant, trois ans plus tard, une mystérieuse maladie du sommeil frappe la population. Seuls, y ont échappé ceux qui étaient partis aux champs. « À leur retour, ils ont retrouvé presque tout le village endormi. Comme explication à ce phénomène, ils ont avancé des raisons d’ordre mystique, que certainement avant de prendre possession des lieux, ils n’avaient pas fait les libations nécessaires », ajoute Barham Ciss. C’est ainsi que les anciens ont décidé, armés de leur bâton, de trouver un autre lieu dans les parages. Ils ont découvert l’actuel emplacement de ce qui constitue, aujourd’hui, le village traditionnel de Toubab Dialaw. « Ils se sont écriés : ‘’fi di na law’’, c’est-à-dire ‘’ce lieu fleurira’’ jusqu’à donner naissance à d’autres localités et c’est ce qui va arriver. Par déformation c’est devenu ‘’Dialaw’’ », indique Barham.
Comptoir commercial et zone de transit des esclaves
Toutefois, ce n’est là qu’une partie de l’histoire derrière le nom de Toubab-Dialaw. Si « Dialaw » vient de là, l’autre élément du nom composé, c’est-à-dire « Toubab » viendra s’y greffer lors de la traite négrière quand Toubab Dialaw était un lieu de transit des esclaves vers Gorée et quand il était également un grand comptoir commercial où se déroulaient d’intenses transactions des produits agricoles comme l’arachide et le mil. « Les paysans y venaient vendre leurs récoltes aux Blancs qui les chargeaient dans les bateaux. Sur le chemin du retour, ils rencontraient d’autres qui allaient vers le comptoir commercial et qui leur demandaient « ani Toubab ba » (où est le Blanc), ils leur répondaient « Mi ngui Dialaw » (il est à Dialaw) et c’est de là qu’est venu le nom de Toubab Dialaw », souligne Barham Ciss.
Des vestiges et des sites historiques, témoins du passage de la traite négrière dans la zone, mais aussi du troc et du commerce entre les Blancs négriers et les royaumes de l’intérieur, notamment du Cayor et du Baol, il en existe encore à Toubab Dialaw. Par exemple, le grand rocher dénommé « Xeru Baye Damel » (le rocher du Damel), juste en face de la mer. « Selon la tradition orale, il appartenait au Damel du Cayor d’y installer ses troupes qui venaient faire le troc avec les Blancs. Pour marquer leur territoire, ils ont donné au site des noms qui renvoient à leurs localités d’origine, en l’occurrence ici le royaume du Cayor d’où le nom de ce grand rocher », précise Massogui Thiandoum, natif de Toubab Dialaw, Sociologue et analyste des dynamiques communautaires de développement. On raconte aussi que les Rois du Baol, les Teignes, venaient là, eux aussi, vendre leurs esclaves et s’installaient dans le ravin entre l’actuel village de Toubab Dialaw et Kelle Guedj, ravin qu’ils baptisèrent « Lambaye », du nom de leur capitale, dans l’actuelle région de Diourbel. Le ravin, aujourd’hui occupé par des résidences secondaires, était parsemé de grands arbres (Dob) aujourd’hui tous disparus. Le village de Kelle Guedj correspond à un autre village dans le Cayor. L’équipe Navétanes de Toubab Dialaw s’appelle Damel, c’est tout dire. Damel, Lambaye… des noms, dans cette contrée Lébou, ont quelque chose d’incongru. « Les Lébous n’avaient pas d’esclaves et ne pratiquaient pas l’esclavage », tient à préciser Barham Ciss.
Berceau des Lébous du Cap-Vert (région de Dakar)
On le voit donc, parler de l’histoire de Toubab Dialaw, c’est aussi évoquer un pan peu connu de l’histoire de la traite négrière sur les côtes sénégalaises ; mais c’est aussi retracer une partie de l’histoire du peuple Lébou. En effet, selon Barham Ciss, Toubab-Dialaw est le berceau originel des Lébous du Cap-Vert. D’après lui, c’est d’ici qu’est parti Thilew Ndethiou Samb pour fonder Ngor ; Waré Mbengue pour créer Yoff ; Mame Ndakh Ndoye pour aller fonder Saly. « Tous les fondateurs des 121 villages de la région du Cap-Vert, aux bord de la mer, de Yoff à Warang, sont partis de Toubab Dialaw », dit-il. Et c’est à Toubab Dialaw, ajoute-t-il, que les douze Pencs se sont retrouvés pour élire un Jaraaf pour la première fois. Ces douze Pencs sont Dialaw, Bargny, Teungueth qui en compte deux, Mbao, Thiaroye, Dakar, Ouakam, Ngor, Yoff, en plus des deux Pencs qui se trouvent à Diender, dans les Niayes. Barham Ciss explique que, chez les Lébous, on retrouve des variantes communautaires issues des lignées maternelles originelles suivantes : les Dëngaañ, les Dindir, Ay, les Dorobé, les Jaasiraatoo, les Sumbaar, les Tétofi Beeñ, les Waneer, les Xaagaan, les Xonx Boppa, les Yuur, Yokam. « Les Xaagaan sont ceux qui sont apparentés aux Sérères, les Xonx Boppa aux arabes ou maures, Yuur ceux qui ont des liens avec les Diolas, à travers des liens de sang, du mariage », précise-t-il.
Le fameux miroir de Dialaw
À Toubab-Dialaw, on aime à se rappeler du fameux grand « miroir de Dialaw ». Cet objet a contribué à rendre célèbre cette localité dans le passé. Ce miroir, à l’époque, était, semble-t-il, « le plus grand que les Blancs avaient fait débarquer dans la zone », pour l’offrir aux Lébous. « Un miroir, c’était un mythe. Il avait été installé sur la place publique de Ngouy, adossé à un grand baobab qui est tombé il n’y a pas longtemps. Les gens venaient de partout, rien que pour se voir dans le miroir. Une légende venait de naître, tout le monde ne parlait que du « miroir qui se trouve à Toubab Dialaw ». Cela avait même suscité une chanson populaire à l’époque et les gens dansaient lorsqu’ils se voyaient dans le miroir », confie, avec un peu d’amusement, le traditionaliste lébou.