FATMA SAMOURA, SYMBOLE DE L'OUVERTURE DU FOOTBALL MONDIAL
A l’occasion de la Journée internationale des femmes (8 mars), rfi.fr est allé à la rencontre de la Sénégalaise, première non Européenne à occuper le poste de secrétaire général de la Fifa
Fatma Samoura distribue les sourires, les tapes amicales et les paroles bienveillantes à toutes les personnes qu'elle croise comme un(e) footballeur/footballeuse de haut niveau enchaîne les passes et les tirs. Avec beaucoup d'aisance et d’efficacité.
Le ballon rond, c’est justement depuis près de trois ans le quotidien de cette Sénégalaise. Fatma Samba Diouf Samoura n’oubliera jamais le 13 mai 2016, lorsqu’elle a été désignée, à la surprise générale, cheffe de l’administration (secrétaire générale) de la Fédération internationale de football (Fifa), lors d’un congrès de l’instance à Mexico. « Avant ça, j’aimais déjà le sport parce que je suis mariée depuis trente ans à un ancien footballeur du Sénégal, raconte-t-elle, en marge de l’édition 2019 à Paris du colloque Think Football. Mais j’ai compris l’importance du football le jour où j’ai été nommée à ce poste. J’ai reçu des centaines d’appel en l’espace de trois heures, qui ont changé ma perception du rôle que j’étais appelée à jouer dans le monde ».
Première femme et première non Européenne à ce poste
Ce rôle au sein de la plus puissante fédération sportive au monde était jusqu’ici exclusivement réservé à des hommes européens, dont certains ont mal fini, comme le prédécesseur de Fatma Samoura, le Français Jérôme Valcke, exclu de l'univers du foot. « Avoir nommé une secrétaire générale femme pour la première fois dans l’histoire de la Fifa, 112 années après sa création en 1904, ça veut dire que le football est en train de se positionner comme un sport global, un sport où l’on pense que la diversité est un apport positif pour la société », expose la Sénégalaise.
Certains ont vu dans ce choix de Gianni Infantino, le président de la Fifa élu après une série d’immenses scandales, une décision démagogique. Ce que rejette l’intéressée. Certes, cette diplomate de formation était alors étrangère aux arcanes du foot et de son business. Mais le gouffre n’était pas si grand selon celle qui a essentiellement travaillé sur des programmes humanitaires au sein de l’ONU. « Si je dois faire le bilan de mes trois années à la Fifa par rapport aux 21 années passées aux Nations unies, je dirais que c’est un continuum, assure-t-elle. Est-ce que c’est différent de ce que je faisais aux Nations unies ? Pas tellement. Aux Nations unies, mon rôle consistait à mettre l’humain au centre des préoccupations du monde. Avec le football et ses 450 millions de personnes qui le pratiquent [...] mon travail c’est également de placer l’humain au centre des préoccupations ».
Trois années loin d’être tranquilles
Remettre un peu d’humanité au sein d’une Fifa milliardaire mais alors secouée par une série de scandales de corruption en 2015 et en 2016 a été une de ses premières tâches. « Ce qui m’a surtout surpris, c’était le moral du personnel, se souvient-elle, au sujet de son arrivée au rutilant siège de la Fifa, à Zurich. Certains de mes collègues ont pleuré devant moi en disant : ' Madame, on n’ose plus mettre nos uniformes avec le logo de la Fifa dans les transports publics. Tout le monde nous accuse d’être des voleurs. ' Moi-même, au cours de mon premier déplacement avec la Fifa, j’ai été victime d’une petite agression verbale où on m’a accusée de faire partie d’une bande de voleurs ».
Les trois années écoulées n’ont d’ailleurs pas été un long fleuve tranquille pour elle aussi. Il y a par exemple eu la violente charge d’Issa Hayatou, patron de la Confédération africaine de football (CAF) de 1988 à 2017, le 16 mars 2017 à Addis-Abeba. Quelques minutes après avoir perdu l’élection pour la présidence de la CAF, le Camerounais prend alors à partie Fatma Samoura, en plein siège de l’Union africaine. « Je sais que vous avez fait campagne contre moi ! », lâche-t-il, accusant la Sénégalaise d’avoir favorisé la victoire du Malgache Ahmad.
Puis, il y a aussi eu cet article de la BBC en 2018 assurant que la police interne de la Fifa avait ouvert une enquête au sujet de la secrétaire générale. Sa faute supposée ? Ne pas avoir déclaré qu’elle entretenait un hypothétique et vague lien de parenté avec le footballeur sénégalais El Hadji Diouf, ambassadeur de la candidature du Maroc à l’organisation de la Coupe du monde 2026. Un lien que l’administratrice a nié, tout comme un quelconque conflit d'intérêt.
Elle aimerait poursuivre son œuvre à la Fifa
Fatma Samoura a tenté de faire fi de ces polémiques pour poursuivre son travail. « Aujourd’hui, après trois années, je pense qu’on n'identifie plus la Fifa à une marque toxique, à quelque chose qui est néfaste pour la société, souligne-t-elle. J’essaie tout d’abord de changer cette image négative qui a affecté le football international. Mon travail, c’est également d’avoir une plus forte proportion de la population mondiale qui soit représentée au sein des instances du football. Mais c’est aussi faire la promotion de valeurs comme la tolérance, le respect de la diversité, la lutte contre le racisme, la lutte contre la discrimination, la promotion du fairplay, la lutte contre la corruption ».
Une œuvre qu’elle aimerait bien poursuivre. Mais pour cela, il faudrait que Gianni Infantino, qui devrait être réélu président de la Fifa en juin 2019 à Paris (il est le seul candidat), le veuille bien. « J’aime ce que je fais, lance-t-elle. Mais ce n’est pas une décision que je contrôle. Lui est élu et moi je suis nommée sur proposition du président ». Et quand on demande à Fatma Samoura si elle ne se verrait pas plutôt ministre des Sports du Sénégal, dans le prochain gouvernement, celle-ci éclate de rire : « Je n’ai jamais pensé à faire de la politique et je pense qu’il y a des gens beaucoup plus outillés, beaucoup plus expérimentés et beaucoup plus intéressés par ça que moi ».
Priorité au football féminin
Ce qui préoccupe Fatma Samoura par-dessus tout, à quelques mois de la Coupe du monde 2019 en France (7 juin-7 juillet), c’est la promotion du football féminin. « On parle toujours de problèmes de salaires entre les joueurs et les joueuses. C’est quelque chose qui figure très haut dans l’agenda de la Fifa. Aujourd’hui, les hommes gagnent beaucoup plus que les femmes parce que le football masculin rapporte beaucoup d’argent. Le football féminin, pour l’instant, on le conçoit en termes d’investissement », analyse-t-elle.
« Je crois que la marche vers l’égalité est enclenchée. Ça va prendre du temps, glisse-t-elle, fataliste. Je ne serai peut-être pas là le jour où la parité se sera réalisée entre les hommes et les femmes dans la pratique du football. Mais on aura au moins contribué à semer les graines qui vont y mener ».