‘’LES SOCIÉTÉS MINIÈRES VEULENT NOUS POUSSER À QUITTER’’
MAMADOU DRAMÉ, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION DES ORPAILLEURS DE KÉDOUGOU

Exploitant artisanal, Mamadou Dramé est l’interlocuteur désigné par ses pairs. Ce président de la Fédération des orpailleurs de la région de Kédougou revient sur sa compréhension des stratégies de l’Etat et des sociétés minières souvent mises en œuvre au détriment de ses camarades.
Monsieur le président pourquoi les orpailleurs ont-ils senti la nécessité de se regrouper en association ?
La fédération a été créée en 2011. Son but est d’aider les orpailleurs traditionnels et les petits exploitants. Elle ne regroupe que des Gie (Groupements d’intérêt économique), 35 au total, à cette date (l’entretien a eu le 24 février 2015). Nous étions formés pour aider les Gie d’orpailleurs à faire une demande d’exploitation artisanale. Une douzaine de Gie étaient formés.
C’est à la suite de cela qu’on a mis une fédération. A la fin de ce projet, nous avons cherché à pérenniser le projet dans la région en essayant de formaliser les orpailleurs. A partir de là, d’autres Gie ont été formés et ils ont fait des demandes.
Aujourd’hui, beaucoup d’exploitants ont tendance à passer à la petite mine. Mais faute de grands partenaires, ils n’y arrivent pas. Il y a des Canadiens, des Gambiens, des Maliens et des Français qui viennent ici (Tomboronkoto).
Ce sont de petits partenaires. Il y a aussi un projet de l’Onudi (Organisation des Nations-Unies pour le développent industriel) qui couvre le Mali, le Burkina Faso et le Sénégal. Elle veut amener les orpailleurs à exploiter de manière responsable.
Les Gie sont-ils concernés par la mesure de fermeture des sites d’orpaillage ?
Non, mais ici à Tomboronkoto, il y a un seul couloir d’orpaillage. Au mois de mai passé, le gouvernement a décidé de fermer les diouras (site d’orpaillage) brusquement, sans impliquer les orpailleurs et les collectivités locales dans le processus de prise de décision. N’empêche que nous nous sommes dit qu’il faut s’organiser pour exploiter. Les gens parlent ici de l’agriculture.
Nous sommes nés dans l’agriculture, mais la région a une potentialité aurifère. Il faut que nous en bénéficions avant que d’autres ne viennent. Il y a beaucoup de ressortissants de l’Afrique de l’Ouest ici. Ils sont mieux outillés que nous.
Ils sont plus expérimentés que les Sénégalais. Ils ne paient rien. Quand ils seront formalisés, nous ne pourrions rien contre eux.
Y a-t-il parfois des conflits qui vous opposent à des étrangers ?
C’est quand même rare. Ça a eu lieu à Diabougou, dans la région de Tambacounda. Ce conflit opposait des Maliens, des burkinabè à des Sénégalais. Pourtant dans chaque site, il y a des gens qui règlent les problèmes.
Il y a des tomboulmans (agent de sécurité) qui assurent un rôle de policiers dans les diouras. C’est réglementé, traditionnellement parlant. Mais il y a des gens qui s’en foutent. Ils font ce qu’ils veulent.
L’Etat a décidé de confectionner des cartes d’orpailleur. Comment appréciez-vous cette mesure ?
Auparavant, l’Etat disait qu’il allait formaliser les Gie pour leur donner des titres miniers sur des sites d’orpailleurs ne dépassant pas 50 ha. Treize couloirs sont actuellement identifiés dans la région de Kédougou. Le site que mon Gie exploite a cette superficie. Après la fermeture des diouras, les autorités ont fait des simulations entre les orpailleurs traditionnels et ceux qui ont des titres d’exploitation artisanale.
Finalement, elles ont tout confondu alors qu’il s’agit de deux réglementations différentes. Lors de la visite du ministre des Mines et de l’industrie (16 février 2015), nous avons fait un mémorandum. Nous leur avons dit que les réglementations ne sont pas les mêmes. Le ministre nous a demandé de déposer notre mémorandum à la Gouvernance. Ce que nous avons fait. Mais, l’autorité ne nous a même pas répondu.
Nous avons fait la situation des petits exploitants et des propositions sur l’organisation du secteur. Pour avoir la carte d’orpailleur, il faut payer 5 000 francs Cfa, en plus des autres frais de dossiers. Il faut trouver un casier judiciaire, alors que la région n’a pas encore de Tribunal régional.
Je ne maîtrise pas trop le reste. Je sais qu’on peut avoir un permis d’exploitation artisanale, ensuite passer à la mine et devenir demain une société. Je viens de demander une extension de mes 50 ha. Là où j’étais, la teneur en or n’était pas bonne.
Les couloirs identifiés par l’administration des mines sont-ils les bons pour vous ?
Quand le ministre était là, les gens ont cité quelques couloirs. Certains ne font pas l’affaire des populations. Elles vivent de l’orpaillage depuis très longtemps. Ces sociétés sont venues nous trouver dans ces sites, avec un permis d’exploration de l’Etat. Elles veulent nous pousser à quitter.
Comment vous écoulez vos productions d’or ?
Ce n’est pas du tout réglementé. Il n’y a aucun contrôle. Des commerçants viennent de la Guinée, du Mali... On ne sait pas comment ils ont obtenu leur argent. Ça se passe ainsi, parce qu’il n’y a pas de comptoir d’or au Sénégal. Sans cela, la vente ne peut pas être réglementée. Le prix n’est pas fixe.
Parfois, le gramme coûte 18 000 francs Cfa, parfois, 20 000 francs Cfa... Parfois le carat n’est pas bon et on se tourne vers Dakar pour vendre clandestinement à 25 000 francs Cfa le gramme. Parfois, on se demande si le client n’est pas un blanchisseur. Mais personne ne contrôle, parce que ce ne sont pas de grandes exploitations. Donc, il faut que les gens aient leurs titres miniers.