À QUOI SERT L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU SÉNÉGAL ?
SÉPARATION DES POUVOIRS
L’assemblée nationale a été au cœur des débats, hier, entre (anciens) députés, experts, au cours d’un séminaire sur "la place du Parlement dans le jeu démocratique".
C’est une lapalissade de dire que l’Assemblée nationale n’a pas la cote auprès des Sénégalais. Et lorsque l’institution est appréciée de l’intérieur, à savoir par les députés, la portée change naturellement. Le séminaire organisé hier par la Fondation Friedrich Naumann (FNF) à Dakar sur le thème "La place du Parlement dans le jeu des institutions", a servi de prétexte pour des (anciens) députés de passer en revue l’état de l’institution parlementaire.
A ce propos, le président du groupe parlementaire des libéraux et démocrates n’a pas mis de gants pour caractériser la 12e législature. "La qualité de notre représentation est très faible. Il est difficile en ce moment où nous sommes d’être député" au Sénégal, s’est désolé Modou Diagne Fada. Pour le député de l’opposition, cette situation est due au "système jacobin" hérité des colons français et qui instaure un présidentialisme fort.
Un constat partagé par son homologue Moustapha Diakhaté qui souligne, pour le regretter, que "depuis Mamadou Dia, il y a un affaissement de l’Assemblée nationale devenue une annexe du président de la République". Or, explique le président du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar (BBY), "on ne peut pas se targuer d’une démocratie exemplaire et garder les reliques du passé".
Parmi ces "reliques", Doudou Wade, ancien président du groupe parlementaire Sopi, note la "peur du député de se fâcher avec le ministre" s’il ne cherche pas tout simplement à "obtenir des bons d’essence ou une audience". Un comportement qui ne se justifie pas, selon Seydou Diouf, pour qui le parlementaire est "sécurisé juridiquement" (il est élu pour cinq ans) et aussi jouit "d’avantages matériels" (1,3 million Cfa de salaire, véhicules, carburant, crédit téléphonique). Une situation qui devrait le pousser à garder sa "liberté" de ton et d’action, suggère le conseiller spécial de Macky Sall, lui-même ancien président de la commission des Finances du Parlement.
"Le triomphe des exécutifs"
Pour le Pr. Ismaël Madior Fall, le problème est plus profond que cela. Selon le ministre conseiller du président de la République, l’explication est à trouver dans "le triomphe des exécutifs" qui fait qu’on "identifie plus facilement un individu qui incarne une institution (présidentielle) que plusieurs individus qui incarnent une institution (Assemblée nationale)". La séparation des pouvoirs étant "un principe universel aménagé de façon différente dans chaque contexte culturel", la tendance dans un régime de type présidentiel comme le nôtre est que "les exécutifs ambitionnent de se passer des débats parlementaires qui, pour eux, retardent le processus décisionnel", théorise ce spécialiste de droit constitutionnel. Cette situation n’est pas sans conséquence. Car "lorsque le parlement est marginalisé, (...), on peut considérer que la démocratie vit un trouble ou tout le moins un malaise", analyse Pr. Ismaïla Madior Fall.
A contre-courant, Babacar Gaye, ancien vice-président de l’Assemblée, réfute l’idée du conseiller juridique du chef de l’Etat selon laquelle le régime présidentiel est un choix des Sénégalais. Au contraire, "on leur a imposé cela", affirme le porte-parole du Parti démocratique sénégalais (PDS). Cela a influé d’ailleurs sur le fonctionnement du parlement confronté à "l’analphabétisme accentué des élus", au "mode de désignation des candidats et au système électoral qui favorisent la prééminence du parti et de son chef qui a droit de vie et de mort sur les parlementaires."
C’est pourquoi il préconise le "rééquilibrage des institutions par le renforcement des pouvoirs constitutionnels du parlement (stabilité, autonomie administrative et financière, et priorité sur la détermination de l'ordre du jour de ses sessions)". De plus, il faut "redéfinir une nouvelle carte électorale avec l'élection du député qui sait lire et écrire dans la langue officielle, par circonscription au scrutin uninominal à deux tours", "revoir le statut du parlementaire (système d'indemnités de session à la place des salaires et traitements pour lutter contre l'absentéisme)", entre autres.
De son côté, Ismaïla Madior Fall propose la "réévaluation de la place du parlement, de son action" dans le rééquilibrage des pouvoirs. Mais cela ne peut se faire, selon le Dr Lamine Ba, ancien ministre sous Wade, que si l’on "dépersonnalise" les majorités parlementaires. "Avant, on parlait des députés de Wade, aujourd’hui, on parle des députés de Macky Sall", regrette cet ancien responsable libéral.