‘’AVEC LA CHUTE DU PRIX DE L’OR, BEAUCOUP DE COMPAGNIES SONT DANS DES DIFFICULTÉS’’
MOHAMED DAVID MBAYE, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE RANDGOLD

Le directeur de Randgold Sénégal revient dans cet entretien réalisé le mois dernier, en marge de l’atelier de formation des journalistes sur les fondamentaux de l’Itie organisé à Saly par le Comité national Itie, sur la situation du sous-secteur aurifère. De l’avis Mohamed David Mbaye, beaucoup d’efforts restent à faire au Sénégal pour booster la production de l’or.
M. le directeur, comment se présente aujourd’hui, le sous-secteur de l’or au Sénégal, dans lequel vous intervenez ?
Si on se compare aux autres pays africains et plus particulièrement à ceux de l’Afrique de l’Ouest, le secteur est à l’état juvénile. Aujourd’hui, là où on cherche l’or au Sénégal, c’est dans la zone de Kédougou sur un terrain qu’on appelle le birimien qu’on partage avec le Mali. Aujourd’hui, la quantité d’or trouvée du côté malien est six fois beaucoup plus importante que celle trouvée au Sénégal.
Ce qui veut dire qu’il y a encore à faire du côté du Sénégal. Si on a une quantité d’or six fois plus importante de l’autre côté, c’est parce qu’ils ont une expérience dans la recherche. Au Mali, ils avaient une base géologique avec d’anciens projets. On y trouve des géologues qui ont fait trente ans, quarante ans d’exploration.
Moi qui vous parle, je fais partie des plus anciens en exploration en temps continu dans le secteur aurifère et je n’ai que vingt ans d’expérience en temps continu. Dieu a fait qu’on a une découverte qui est Massawa, qui fait partie des gisements les plus importants du Sénégal, mais qui reste à être développer.
Pourquoi ?
C’est un gisement réfractaire. Et quand on dit réfractaire, c’est parce qu’on ne parvient pas à récupérer l’or à plus de 80, 85%. Aujourd’hui, la récupération est inférieure à 30%, parce que l’or est inclus dans ce qu’on appelle de l’arsénopyrite. Il faut oxyder l’arsénopyrite pour libérer cet or.
C’est des procédés qui coûtent un peu cher, qui ont besoin beaucoup d’énergie et de l’énergie à bas prix. Aujourd’hui, si on utilise les mêmes procédés que Sabodala ou d’autres mines qui font le générateur, le gisement ne serait pas économique. Et il ne sert à rien de développer un gisement qui n’est pas économique, qui n’est pas profitable, ni aux populations, ni au gouvernement, encore moins à la société.
Vous disiez que 60% des géologues sont au chômage. Pourquoi ?
Trois ans, quatre ans derrière, le prix de l’or était à un niveau assez élevé. 1 700 l’once d’or, 1 800, 1 900 même un moment. Et beaucoup de compagnies se sont mises à la recherche de l’or. Ça avait permis d’absorber tous les géologues. Il n’y avait presque pas de géologues qui chômaient. Mais avec la chute du prix de l’or, beaucoup de compagnies sont dans des difficultés. Certains ont fermé, d’autres ont réduit leur personnel.
Par exemple, pour notre compagnie, c’est la première fois de notre existence qu’on a eu à réduire notre personnel. Et de ce fait aujourd’hui, je peux dire que 60% des géologues sont au chômage, vu que le prix de l’or chute, des compagnies ont fermé et il n’y a pas de découverte.
Aujourd’hui, le Sénégal est dans un processus de réforme de son Code minier. Et à travers cette réforme, notre pays entend corriger le manque à gagner dans l’exploitation des ressources. S’agit-il d’un manque à gagner ou d’une perte ?
Si on parle de manque à gagner, on est d’avis. Ce dont on ne peut pas parler, c’est de perte, parce qu’il faut comprendre d’où viennent ces exonérations-là. Si on compare le Sénégal par rapport aux autres pays, la seule partie où on cherche de l’or, aujourd’hui, c’est la fenêtre de Kédougou-Kénieba, la zone de Kédougou.
Vous allez aujourd’hui en Côte d’Ivoire, on peut chercher de l’or sur presque tout le territoire. En plus, le Code minier ivoirien est l’un des meilleurs codes en Afrique de l’Ouest. Non seulement, ce pays a une large surface d’exploration, mais également, il a le meilleur code. Je pense qu’on doit s’inspirer de ce pays...
Aujourd’hui, la seule mine qui est exploitée au Sénégal, c’est la mine de Sabodala. Il y a d’autres compagnies, comme Torogold, qui sont en phase de développement. On leur souhaite bonne chance. Mais il n’y a que ça aujourd’hui. Si vous allez au Mali, il y a au moins une dizaine de compagnies qui sont en exploitation.
Donc si un investisseur arrive avec une masse d’argent, il va préférer aller chercher du côté malien, là où les teneurs sont beaucoup plus importantes, que du côté du Sénégal où les teneurs sont encore assez faibles. Sabodala aujourd’hui, c’est 1,5 g par tonne de roche broyée. Donc y a à faire dans ce pays.
Que faut-il faire pour attirer les investisseurs ?
Pour moi, c’est de ne pas surcharger le code, d’avoir un code consensuel avec les compagnies minières et d’avoir un code qui cale avec le code ouest-africain, surtout faire référence au code ivoirien où les compagnies pensent que c’est l’un des meilleurs codes miniers.
Par exemple, le Burkina avait commencé la réforme de son code bien avant la Côte d’Ivoire, mais quand ils ont mis sur la table leur code et que la Côte d’Ivoire a sorti son code, ils étaient obligés de reprendre leur code et de le revoir.
On ne souhaite pas que ça arrive au Sénégal. Donc dès à présent, on doit trouver les voies et moyens d’avoir un code consensuel avec les compagnies minières. Et j’espère que les compagnies vont continuer à investir dans ce pays.
Le Sénégal est déclaré pays candidat à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie). Bientôt, il devrait être un pays conforme à cette norme. Quelle sera l’importance de l’Itie dans le secteur minier au Sénégal ?
Je pense que c’est une très bonne opportunité. L’Itie permet de voir clair dans le secteur, parce que dans un passé récent, les gens pensaient que les compagnies minières exploitent et prennent l’or, les pays ne gagnent rien. Je peux dire que les 80% voire 90% des Sénégalais ne savent pas qu’il y a une seule compagnie minière qui exploite l’or, qui est Sabodala (gold operations) et ça date de 2009.
Avant 2009, il n’y avait pas une exploitation industrielle au sens propre. Il y a des Sénégalais qui ont essayé, mais au sens propre du terme, c’est en 2009 que ça a commencé avec Sabodala. L’Itie permet aujourd’hui, au-delà de l’or, avec les autres compagnies qui exploitent le zircon et autres ressources, de mieux tracer les flux d’argent, ce que les compagnies versent à l’Etat comparé à ce que l’Etat reçoit pour faire la différence.
Donc, je pense que c’est venu à son heure. Et ça permet aux populations d’avoir une idée claire sur les ressources naturelles de leur pays.
Certains considèrent qu’il y a une évasion d’une partie de l’or exploité. Vrai ou faux ?
Les teneurs aurifères aujourd’hui, au Sénégal, c’est 1,5g, 2g par tonne de roche broyée. Massawa, c’est 2,7 g par tonne de roche broyée. C’est la meilleure teneur aujourd’hui au Sénégal. Il se pourrait qu’il y ait des endroits où les teneurs sont à 4g, 5g. Même à 6g par tonne de roche, pour avoir un Kg, imaginez la quantité de roche qu’il faut traiter. Et jusqu’en 2009, il n’y avait pas d’usine pour traiter. Il y avait ex-cimcor qui avait essayé en son temps, qui a travaillé sur kérécounda, et il avait ses papiers pour le faire.
On n’est pas dans un pays sans loi. Mais avant cette date, personne ne pouvait le faire sauf de le prendre au niveau de l’orpaillage. Là aussi, il faut nuancer. Il y a l’orpaillage traditionnel qui est pratiqué depuis des centaines d’années, depuis le temps de Kanka Moussa et bien avant Kanka Moussa.
Si maintenant on ne veut pas faire de confusion dans ce secteur, il faut qu’on différencie bien l’orpaillage, où on peut avoir des kg, de l’exploitation industrielle que font les compagnies minières.
A cause des problèmes notés dans l’orpaillage, le gouvernement avait pris la décision de fermer les sites. Quel commentaire cela vous inspire ?
A mon avis, c’était une très bonne décision. En effet, c’était une zone où il y avait l’anarchie, où personne ne contrôlait ce qui se faisait ainsi que les produits entrants. Les gens utilisent le cyanure, le mercure pour le traitement de l’or. Des produits très nocifs à la santé. Aujourd’hui, il y a pas mal d’orpailleurs tout le long de la Falémé ou du fleuve Gambie. Ils déversent les produits dans ces deux cours d’eau.
Dans quinze ans, il y aurait des maladies éventuellement, on ne le souhaite pas. Au cas où il y aurait des maladies, les gens vont commencer à penser à des maladies un peu surnaturelles, alors que vraiment ce sont ces produits qui les ont créées.
Aujourd’hui, vous allez dans les banques de Kédougou, les gens vous diront qu’un montant x a transité dans leur banque du fait des orpailleurs. Il faut que l’Etat puisse retracer l’or qui sort du pays. Et je pense qu’en réorganisant ce secteur, l’Etat y gagnerait.
Les compagnies minières y ont joué un grand rôle. Car les orpailleurs travaillent dans les permis attribués aux compagnies minières, qui ont pu concéder des zones qu’on appelle aujourd’hui, des couloirs d’orpaillage dans lesquels travaillent ces orpailleurs qui sont bien organisés avec la Direction des mines qui est en train de faire un travail remarquable en ce sens.