DE L’ETAT-PARTI A L’ETAT FAMILIAL : UNE DEMOCRATIE ECORNEE
GOUVERNANCE POLITIQUE DU SENEGAL, DE 1960 A NOS JOURS
La «longue histoire» politique du Sénégal en a fait un pays de bien des paradoxes. S’il était célébré comme la «vitrine démocratique» de l’Afrique dans les années 80, après la mainmise senghorienne et l’ouverture dioufiste, le pays faisait figure, une décennie plus tard, de mauvais élève de la démocratie. Ceci avant de connaître, en 2000, une alternance au pouvoir jugée exemplaire, mais qui n’a pas empêché le retour, avec le président Abdoulaye Wade, à de vieux réflexes autocratiques. En 2012, la deuxième alternance politique porte à la magistrature suprême , Macky Sall, un Président qui entend refonder les institutions de la République mises à mal par douze années de régime libéral.
De 1960 à 1980, la vie politique sénégalaise s’identifie avec l’action de Léopold Sédar Senghor. Après son conflit en 1962 avec le Président du Conseil, Mamadou Dia, emprisonné pour tentative de coup d’Etat, Senghor règne seul à la tête de l’Union progressiste sénégalaise, devenu Parti socialiste en 1976. Le régime pratique une forme d’autoritarisme «tempéré» (l’agitation des étudiants en 1968 est réprimée avec vigueur), avant l’instauration d’un multipartisme limité à quatre courants en 1974. Dans le champ politique, règne un Parti socialiste dominant qui laisse peu de place aux autres expressions politiques. Le retrait volontaire de Senghor, de la politique en 1980, est perçu comme un coup d’éclat sur le continent. Il cède la place à son Premier ministre, Abdou Diouf, à partir de janvier 1981.
Le nouveau Président inaugure l’ère du multipartisme intégral avec la réforme constitutionnelle du 24 avril 1981. Une initiative certes démocratique mais très politique car elle introduisait une sorte de querelle de leadership au sein de l’opposition, entre le PDS et le RND de Cheikh Anta Diop, mais aussi ouvrait la vanne à la nébuleuse communiste qui constitue une gauche balkanisée. En même temps, Diouf cherche à moraliser la vie politique et économique, en initiant la loi sur l’enrichissement illicite et à interdire les gaspillages. D’aucuns diront qu’elle était destinée à tenir à carreau les barons qui avaient des velléités de contestation de sa légitimité. D’ailleurs cette loi sera peu appliquée par manque de volonté politique et peut être aussi de moyens.
L’ère Abdou Diouf est marquée par de grandes difficultés à partir de la fin des années 80, avec une économie fragilisée par les perturbations climatiques et les fluctuations des cours mondiaux, l’agitation sociale grandit et se traduit, spécialement dans les périodes électorales, par des troubles. C’est le cas déjà en 1988 où, avec Abdoulaye Wade, du Pds, les principaux leaders de l’opposition sont arrêtés. Les affrontements, parfois violents, avec l’opposition seront récurrents pendant la décennie, qui connaît aussi en 1989 le déclenchement du conflit Sénégal-Mauritanie à la suite d’affrontements ayant entraîné des rapatriements massifs de population de part et d’autre.
Les années 90 installent le Sénégal dans une sorte de crise permanente, avec les plans d’ajustement structurel. En fin manœuvrier, Diouf tient la barque qui tangue sur les vagues de la crise politique et scolaire jusqu’en 2000 avec une cristallisation du duel entre lui et Wade. Un duel entrecoupé par des périodes d’entrisme politique et de gouvernement de majorité qui ont toujours permis de désamorcer les crises en brisant l’élan de l’opposition. En 2000 survient l’alternance politique, une nouvelle page politique s’ouvre sur le Sénégal. Le « maitre du jeu » laisse la place au « maitre du Je ».
WADE, «LE MAITRE DU JE»
Abdoulaye Wade élu, surfe sur une vague de popularité et un état de grâce qui dure pendant presque toute la durée de son premier septennat. Les vaincus de 2000 n’ont pas encore retrouvé leurs esprits tandis que les anciens alliés devenus opposants cherchent leurs repères. Déroulant sur ce large boulevard, la tentation de la patrimonialisation s’installe de plus en plus. Les membres de la famille et les enfants du Président sont omniprésents dans les espaces de pouvoir. Le pouvoir religieux empeste l’espace politique avec un Président talibé qui cherche à fidéliser un électorat mouride.
L’opposant historique, devenu président se montre fort en tout et monte au créneau pour apprendre leur métier à tous ses collaborateurs. Personnage haut en verbe, impulsif et imaginatif, volontiers populiste, il profite de son aura pour jouer avec les institutions supprimant certaines avant de les ressusciter pour satisfaire une clientèle politique ou, pour assouvir des desseins politiques. Réélu en 2007, il commence à subir les premiers vrais soubresauts de son régime à partir de 2009. Les élections locales consacrent le retour de l’opposition dans les grandes villes du pays. Un avertissement pour Wade conscient qu’il est en train de perdre la main.
Pour y remédier, il se projette déjà en 2012, année de la prochaine élection présidentielle. Il introduit une réforme dans le code électoral, laquelle introduit la levée du quart bloquant et l’institution d’un ticket qui élit en même le vice-président. Un projet qui est vu comme une tentative de dévolution monarchique du pouvoir. Tous les segments de la société sénégalaise joignent leurs forces pour s’opposer à ce projet. Ce qui aboutit à la fameuse journée du 23 juin 2011. Wade et son assemblée reculent devant la pression populaire. C’était le début de la fin et la deuxième alternance survient en mars 2013.
Macky Sall accède au pouvoir, en affichant sa volonté de redresser les institutions de la République mises à mort par douze années de tripatouillage libéral. Deux années après l’avènement au pouvoir de l’ancien Premier ministre de Wade, le Sénégal attend encore les réformes institutionnelles promises par le nouveau pouvoir et devant refonder la République et le jeu politique.