DES LIVRES CONTRE L’OUBLI
JOURNEE DU LIVRE A LA MAISON D’ARRÊT POUR FEMMES

C’est à la Maison d’arrêt pour femmes de Liberté 6 que l’on a célébré hier jeudi 23 avril la Journée mondiale du Livre et du Droit d’auteur. Au cours de cette cérémonie, les détenues ont reçu plusieurs cartons de livres : de quoi enrichir leur bibliothèque et nourrir leur imaginaire au-delà de leurs « quatre murs ». Leur présence à cette rencontre, nous a-t-on expliqué, ne s’est pas faite sous la contrainte : elles avaient le choix. Au cours de cette journée, elles ont aussi reçu la visite de l’écrivain Mame Younouss Dieng venue leur parler de son roman «Aawo bi » ou « La première épouse », un texte écrit en langue wolof.
Ce n’est pas très fréquent, disait le directeur du Livre et de Lecture Ibrahima Lô, que l’on veuille bien célébrer la Journée mondiale du Livre et du Droit d’auteur dans une administration pénitentiaire comme la Maison d’arrêt pour femmes de Liberté 6. Et idem pour l’Inspecteur Mbaye Sarr qui est le Chef de la division de la réinsertion des détenus, et qui faisait justement remarquer que d’autres lieux et d’autres circonstances auraient peut-être semblé plus appropriés. Mais il faut sans doute savoir commencer, et dans le fond, c’est un peu le principe de ce 23 avril consacré il y a 20 ans par l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, les Sciences et la Culture (UNESCO) : que nos sociétés fassent l’effort d’encourager la lecture auprès de ce que l’on appelle communément les «publics défavorisés ».
Pour la directrice de la Maison d’arrêt pour femmes de Liberté 6 Sokhna Fatou Mbaye Thioune, ce qu’il faut comprendre c’est que la prison ou la détention ne prive pas les détenues, quelles qu’elles soient, et quoi qu’elles aient pu faire pour se retrouver dans cette situation, de leur statut de citoyen, et encore moins de leur droit fondamental à l’information et à l’éducation. Et quand bien même leur liberté d’aller et de venir serait plus ou moins restreinte.
Dans la journée d’hier jeudi 23 avril, on ne s’est pas contenté que de jolies phrases ou de belles promesses d’intention, puisque les détenues et le personnel pénitentiaire qui les accompagne au quotidien, ont bel et bien reçu plusieurs lots d’ouvrages. Des textes bien de chez nous forcément, mais pas seulement ; avec dans le désordre des classiques comme L’Enfant noir de Camara Laye, L’étrange destin de Wangrin de Amadou Hampaté Bâ ou encore Eugénie Grandet de Balzac. Au-delà d’enrichir la bibliothèque de la prison disait Sokhna Fatou Mbaye Thioune, peut-être que ces livres-là finiront par convaincre les plus sceptiques d’entre les détenues. Peut-être leur donneront-ils le goût de la lecture.
Livre à l’agonie
Si cette journée a pu paraître à la fois audacieuse et iconoclaste, l’Inspecteur Mbaye Sarr est convaincu qu’il en faudrait d’autres, histoire d’en faire une sorte d’institution, qui ne devrait surtout pas rester cloisonnée à Dakar et ses environs. Sinon ce serait un gâchis ; parce que comme il dit, quand on quitte la capitale, on en trouve aussi des bibliothèques pénitentiaires qui auraient bien besoin d’un petit coup de pouce.
Si les femmes détenues à la Maison d’arrêt de Liberté 6 n’ont pas vraiment assisté à la remise des ouvrages, elles n’ont pas raté une seule seconde de la prestation théâtrale de la troupe «Espoirs de la banlieue». Entre la mise à l’épreuve de certains clichés sexistes qui voudraient que les femmes n’aient rien d’autre à faire dans une bibliothèque que d’y passer la serpillière, le public a eu droit à une sorte de radioscopie. La mort du livre, pas forcément…L’agonie peut-être, dans une société où on ne lit plus comme on devrait et où comme disait justement l’un des personnages, la lecture n’est plus très à la mode, y compris chez nos enseignants. Sur scène, même si cela restera assez caricatural, il y aura cet étrange «professeur» qui arrachera aux détenues de grands éclats de rire. Interprété par une jeune femme drôle à vous arracher la mâchoire, l’homme finira par se perdre entre ses fautes d’accord, de genre, de prononciation et ses malheureux contresens.
A la fin de la représentation, Mame Younouss Dieng, l’écrivain, s’avouera tout simplement «groggy» et sans doute un peu surprise que la jeune troupe en sache autant à son sujet. A 70 ans, entre sa drépanocytose et son arthrose, La romancière a trouvé le moyen d’être présente. Même si elle ne donnera pas vraiment la conférence (classique ?) que l’on attendait d’elle, se «contentant» d’une savoureuse conversation autour de son ouvrage intitulé «Aawo bi» ou «La première épouse». Un récit que lui inspirera l’histoire de sa mère, fille unique de ses parents, et qui n’aura pas d’autres sœurs que ses coépouses.
Cette manifestation n’est pas vraiment ce qu’on pourrait appeler un cas isolé. Plusieurs autres rencontres de ce type ont eu lieu, mais pas forcément dans des prisons. Dans la matinée d’hier par exemple, il y a eu cette table-ronde au Centre culturel Blaise Senghor avec, entre les lignes, une question existentielle : « Et si plus personne ne lisait au Sénégal ? » A l’hôpital Albert Royer de Fann, on a surtout raconté de jolies histoires aux enfants malades. Ne serait-ce que pour nourrir leurs rêves.