FEU SERIGNE SALIOU MBACKE N’ÉTAIT PAS DIEU, C’ÉTAIT UN SERVITEUR DE DIEU
AU CHRONIQUEUR MOHAMED EL HABIB DE LA 2STV
Le magazine Le Grand Rendez- vous de la 2STv recevait, le vendredi 3 avril 2014, le journaliste Cheikh Yérim Seck pour parler de son livre, Ces goulots qui étranglent le Sénégal.
A cette occasion, l’un des chroniqueurs du magazine, en l’occurrence Mohamed El Habib, en citant un passage du livre, a dit exactement ceci : «Vous dites ici que Wade s’asseyait à même le sol, pour faire allégeance à son marabout installé sur un fauteuil douillet, l’image dévastatrice pour la suprématie et le prestige de l’Etat. Mais c’est une image dévastatrice pour qui ? Mais ce n’est pas dévastateur pour les millions de Sénégalais, pour les millions de mourides qui croient, qui ont une foi et qui pensent que l’Etat doit normalement se courber devant Dieu, devant celui qui représente la religion...»
Avant d’analyser ces propos, pour rétablir les faits auxquels ils se rapportent, il importe de préciser au préalable que c’est de l’ancien président de la République du Sénégal, Abdoulaye Wade et du regretté khalife général des mourides, feu Serigne Saliou Mbacké dont il est question dans cette citation.
Il est inconcevable et regrettable que le nom et l’image de cet illustre serviteur de Dieu (mourid’Allah) soient ainsi évoqués et liés au sacrilège de l’association, qui consiste à prendre une créature de Dieu pour Lui-même.
Indubitablement, les millions de Sénégalais, les millions de mourides auxquels Mohamed El Habib fait allusion, qui croient et qui ont la foi musulmane, ne pensent pas comme lui. Feu Serigne Saliou Mbacké, d’où il est, dans son immense sagesse, ne lui en voudra pas, mais a certainement prié, pour que le chroniqueur puisse se repentir et demander pardon à Dieu, qui est Le Seul à pouvoir expier ce suprême péché.
La foi, la croyance en Dieu, les prières et toute forme de pratique du culte religieux sont, par essence, une affaire de personne humaine. Or, l’Etat n’est pas une personne humaine. Ce qui veut dire que l’Etat, par essence, n’a pas de religion, mais il garantit et protège l’existence et la liberté d’exercice de toutes les religions, en leur assurant les meilleures conditions d’épanouissement, sans discrimination. D’où le caractère laïc de l’Etat, qui le met à égale distance de toutes les religions et croyances, dans une atmosphère de respect mutuel.
Car, l’Etat est une institution au service d’une Nation, d’un Peuple. Cette Nation peut être composée de populations diverses, aux croyances différentes. Il peut arriver qu’une Nation soit constituée de populations ayant la même religion à 99,99 %.
Même dans ce cas, s’il reste une seule famille ou une seule personne de croyance différente, cela donne un caractère laïc à cet Etat. Un Etat laïc prend en compte toute la diversité de la Nation, prend en charge ses préoccupations et l’incarne totalement, à travers le leadership de son chef, en l’occurrence, le président de la
République, pour revenir au cas du Sénégal.
Le khalife général des mourides est le guide spirituel de la communauté mouride, des millions de mourides. A ce titre, il est le leader de cette communauté. Il est par conséquent une personne physique et morale. Le président de la République du Sénégal est le chef de l’Etat.
En l’occurrence, il est le leader de la Nation sénégalaise, des 13 millions de Sénégalais, chrétiens et musulmans de toutes «tarikhas» et autres. Il est également à la fois une personne physique et morale. Si la personne physique du chef de l’Etat est un talibé mouride, il doit respect et allégeance à son guide, sans préjudice pour la personne morale qu’est le président de la République qu’il incarne, par la légitimité et le pouvoir qu’il tire du suffrage universel des Sénégalais.
La personne physique du khalife général des mourides est forcément un citoyen sénégalais, possédant une carte d’identité nationale et un passeport, au besoin. A ce titre, il doit respect et loyauté au président de la République du Sénégal, sans préjudice pour son statut de guide spirituel qu’il incarne, par son savoir, son érudition, sa sagesse et son soufisme qui font de lui un enseignant, un éducateur, un modèle dans la religion et un guide spirituel.
Cela est admis dans l’islam et c’est la raison pour laquelle ces deux personnalités coexistent, cohabitent dans un même espace, dans un même pays, se fréquentent, se complètent et se soutiennent pour l’intérêt général exclusif.
Il ne peut y avoir de doute que ces personnalités doubles sont parfaitement conscientes de leur rôle et de leur place, de leur vocation et de leur mission, de leurs prérogatives et de leurs obligations, de leurs privilèges et de leurs droits. Il est inconcevable, de la part de qui que ce soit, par son inculture, d’entacher ces belles images.
Dans tous les cas, sous le magistère du Président Abdoulaye Wade, on peut dire sans risque de se tromper, que le défunt khalife, Serigne Saliou Mbacké, avait parfaitement assumé son leadership. Il avait également manifesté un niveau de respect et de loyauté envers son Président et non moins talibé, Abdoulaye Wade, que beaucoup de Sénégalais n’avaient pas perçu à sa juste mesure.
Car, la meilleure considération que l’on peut avoir pour quelqu’un, c’est de le respecter tel qu’il se présente à vous. C’est ce que feu Serigne Saliou Mbacke avait fait. La même attitude a été observée avec ses successeurs.
Tous les guides spirituels musulmans connaissent la place qui est accordée au pouvoir temporel, en Islam. Quelle que soit l’attitude de celui qui l’incarne, il sera respecté dans ses choix, tant que ceux-ci ne vont pas à contre courant de l’islam. Un leader de la dimension d’un chef d’Etat se respecte. Les guides spirituels sont des éducateurs. Ils le savent.
C’est le Président Wade qui, dans sa posture, avait mis sa personne physique au-dessus de la personne morale du président de la République du Sénégal. Un acte volontaire que le khalife ne lui a pas demandé. Aucun khalife ne le demande d’ailleurs. On peut passer sur le cas de feu le Président Senghor qui était catholique.
Et encore, cette forme d’expression de respect étant traditionnelle, feu le Président Senghor pouvait y sacrifier. Il ne l’avait pas fait. Les Présidents musulmans, Abdou Diouf et Macky Sall ne l’ont pas fait, on ne leur a pas demandé, personne ne leur en a fait de remarques.
Ils ne manquent pas moins d’estime, de considération et de respect à l’égard des khalifes, qui les leur rendent bien. Assurément, l’attitude du Président Wade est assez symptomatique de la personnalité de l’homme que les Sénégalais avaient élu à la tête de leur pays.
Dans l’islam, on ne se courbe, ne s’assoit et ne se prosterne que devant Dieu, pour le prier. C’est pour cette raison d’ailleurs que la prière pour les morts se fait debout. Le fait de se courber ou de s’asseoir par terre, par respect pour une personnalité, est un acte d’essence traditionnelle accepté par la religion musulmane, tant qu’il ne sous-entend ou ne sous- tend une association ou une assimilation à Dieu. Par contre, la pos- ture du Président Abdoulaye Wade devant feu Serigne Saliou Mbacké
peut être équivoque, au regard de ses visées politiques et électoralis- tes. Car, tous les actes de maître Wade, en tant qu’opposant, puis en tant que Président, ont été éminemment politiques et électoralistes. Il s’est servi de son image aux pieds du guide spirituel, à l’insu de ce dernier, pour compenser l’absence de consigne électorale ndi- gueul formelle, en sa faveur.
C’est pour courtiser la force électorale mouride, qu’il a placé cette com- munauté au centre de l’Etat, en déclarant notamment que le chemin qui mène au palais de la République passe par Touba. Quid des électeurs sénégalais qui ne sont pas mourides ? Il serait fastidieux d’énumérer toutes les images médiatiques que le Président Wade a utilisées ou exploitées en ce sens.
Cette attitude de l’ancien Président sénégalais a atteint son paroxysme pendant son dernier mandat au cours duquel sa véritable personnalité a été mise à nu. Plus que tout, le Président Wade est convaincu de la puissance de l’argument de l’argent et de son infaillibilité sur le Sénégalais, en général.
Par conséquent, il s’avère plus déterminant, de son point de vue, pour rallier les Sénégalais, y compris les marabouts et les guides spirituels. Pour lui, grâce à l’argent, on peut tout obtenir, de qui que ce soit. Il en est ainsi des tentatives d’achat de consignes, ndigueul électorales, à coup de milliards, qui ont défrayé la chronique, particulièrement à Touba, et qui ont fait les choux gras de la presse pendant la campagne prési- dentielle de 2012.
A contrario, ces certitudes du Président Wade ont été prises à défaut par les électeurs sénégalais et par les marabouts qui se sont abstenus. Le traumatisme que lui a causé sa défaite, l’a poussé à encore trahir son intime conviction, en s’interrogeant, publiquement dans une cité religieuse, à peu près en ces termes : «Par où Macky Sall est-il passé pour me battre.» Cela en dit long sur l’estime qu’il a pour les Sénégalais, pour tous les Sénégalais.
Le magazine Le Grand Rendez- vous doit veiller à maintenir le niveau intellectuel relevé qui fait son attractivité, sa réputation et sa grande utilité dans le débat national, qu’il diversifie, éclaire et enri- chit. Certaines idées qui relèvent de l’inculture, de l’indigence intellectuelle, de la misère morale, ne doivent pas être véhiculées dans les médias, qui ont une influence évidente sur le comportement des individus et de la société.
Celle-ci a besoin d’un débat d’idées qui mette en relief les valeurs morales, civiques, religieuses et culturelles qui participent à l’avènement d’un citoyen sénégalais croyant, mais aussi responsable, formé, éduqué et conscient des enjeux du pays et de ce monde