LÀ OÙ LE DÉBAT BLESSE
"Questions d’actualité" au gouvernement : Le format en question – L’avis de Mouhamadou Mbodj, le coordonnateur du Forum civil

Pour éviter que les séances de "Questions d’actualité" au gouvernement ne deviennent qu’une foire d’empoignes, quelques correctifs s’imposent. Qui devraient porter, surtout, sur le format des rencontres.
Moins de deux mois après la session inaugurale, le Premier ministre, Mahammad Dionne, était jeudi dernier à l’Assemblée nationale pour la deuxième séance de "Questions d’actualité" au gouvernement. Un nouveau rendez-vous entre l’exécutif et le législatif qui devrait permettre au second pouvoir de contrôler l’action du premier et, éventuellement, de contribuer, par des propositions pertinentes, à l’efficacité de celle-ci.
L’éducation, secteur en crise depuis plusieurs semaines, avec un cycle de grèves et de débrayages, était au centre des débats. Cinq des 13 députés qui ont pris la parole ont interpellé le gouvernement sur ce sujet.
La justice (désengorgement des prisons), l’immigration clandestine (le nombre de Sénégalais parmi les 800 migrants morts dans la Méditerranée), l’agriculture (modernisation du secteur), notamment, étaient également au menu. De même que la polémique. L’opposition assimilant la rencontre à un simple plan de communication destiné à rendre visibles les actions de la majorité. Laquelle, pour se défendre, clame, la main sur le cœur, sa bonne foi.
Querelles de chapelles
Dans une déclaration distribuée à la presse, la veille des débats, le député de Rewmi Thierno Bocoum a assimilé l’exercice à "une grosse comédie politique (jouée) sur le dos des institutions de la République". Pointant deux dispositions des règles du jeu qui, à ses yeux, ne garantissent pas l’équité dans les débats : d’une part le dépôt des questions des députés 72 heures avant la séance au niveau du secrétariat de l’Assemblée nationale et, de l’autre, la gestion du temps de parole (10 questions pour la majorité, 3 pour le groupe libéral et un pour les non-inscrits).
"Une telle répartition des questions exclut l'écrasante majorité des partis de l'opposition représentés à l'Assemblée et installe les conditions d'un ‘dialogue’ entre le gouvernement et sa propre majorité, fulmine Bocoum. Le gouvernement a donc la latitude de dérouler sa communication comme il l'entend sans être contredit. À la place d'un dialogue, on assistera à une communication à sens unique et à un monologue gouvernemental."
Une position partagée par sa collègue Aïda Mbodji du groupe libéral. À quelques nuances près. À sa sortie de l’hémicycle, elle dit : "Nous avons posé des questions extrêmement techniques, avec des termes techniques qui ont pris leur source dans le libellé du Pse, en rapport avec l’Acte III. Nous leur avons rappelé ce qu’ils ont promis aux collectivités, c’est-à-dire le transfert de ressources substantielles. Mais apparemment, ils ont préparé les questions avec une réponse très politique. Puisqu’ils sont les derniers à prendre la parole, nous n’avons pas eu le temps, ni l’opportunité de corriger leurs réponses."
Un format en devenir
Faux, rétorque-t-on dans le camp d’en face. "Ceux qui disent que les questions sont posées à l’avance aux ministres, c’est une contre-vérité, assène Moustapha Diakhaté, président du groupe de la majorité, Bennoo bokk yaakaar. Les députés posent les questions et on les (enregistre) au niveau du secrétariat et les ministres sont informés en même temps que vous (de la presse)." Pour sa part, le ministre de la Gouvernance locale, Oumar Youm, assimile les griefs de l’opposition à des "jugements de valeur et (de) la critique facile".
Cependant, admettent Youm et Diakhaté, le format du rendez-vous entre l’exécutif et le législatif est perfectible. "Tout processus peut être amélioré. On peut s’inscrire dans une dynamique d’amélioration avec les députés et le gouvernement", suggère le premier. Le second acquiesce : "Nous sommes à notre deuxième séance qu’on va améliorer au fur et à mesure. Parce que la perspective est de permettre à l’Assemblée nationale d’être le lieu par excellence du débat démocratique."
Dans cette direction, quelques correctifs semblent s’imposer. Pour Mouhamadou Mbodj, le coordonnateur du Forum civil, il serait judicieux, en amont, de redéfinir les règles du jeu et, en aval, d’envisager un suivi rigoureux des conclusions des débats. Toutefois, suggère-t-il, les fidèles des différentes chapelles qui composent l’hémicycle doivent être mus par le seul souci de hisser le débat démocratique au niveau des objectifs nationaux de développement.
"Nous avons toujours défendu au niveau du Forum civil qu’il devrait y avoir au niveau des institutions une certaine fluidité, rappelle Mouhamadou Mbodj. L’organisation de l’État du Sénégal postule la séparation des pouvoirs, mais n’interdit pas le dialogue entre les pouvoirs. Et ce dialogue est fécond, surtout que le contrôle ce n’est pas qu’un ensemble d’actes posés pour voir la conformité des actions de l’exécutif par rapport à la loi ; le Parlement peut aussi verser dans la corbeille des réflexions. C’est quelque chose de bénéfique, qui doit le rester par une excellente préparation de ce type de rencontre et une prise de hauteur des acteurs dans ce débat. Qu’on sorte de la politique politicienne et qu’on pose des questions qui structurent le vivre ensemble et qui affecte le vécu des populations. Ce qui n’évacue pas les questions politiques, mais des questions politiques qui affectent le vécu des populations."
Approche thématique
À la place de l’actuelle formule qui laisse aux députés la liberté d’aborder les sujets de leur choix, Mbodj propose une approche thématique. "Lorsqu’on fixe la date de passage du Premier ministre, explique-t-il, les députés, nonobstant leur appartenance politique, devraient mettre en place des groupes de travail thématiques sur des questions d’actualité, inviter des acteurs pour parler de tout cela." Ainsi, souligne le coordonnateur du Forum civil, "l’exercice serait moins lassant et ça serait tournant sur des thèmes différents et ça permettrait d’aller au fond des choses. On devrait tous les deux mois, six fois dans l’année, avoir six grands thèmes sur lesquels le gouvernement viendra s’expliquer. Ça éviterait que tout le gouvernement soit polarisé. On prendrait des ministères concernés, qui pourraient venir selon la thématique qui concerne leur mission et ce serait préparé par des commissions techniques du Parlement qui recouvrent ces thématiques".
À propos de la répartition du temps de parole, Mouhamadou Mbodj recommande de «libérer ces rencontres des équilibres politiques au sein d’institutions et mettre plus l’emphase sur les compétences des honorables députés». Il ajoute : "Si on aborde la question sous l’angle des thématiques, de la spécialisation, on fait appelle à des compétences. On doit sortir de ce corset temporel et s’il y a des compétences qui sont dans l’opposition qui peuvent poser le vrai débat, cela nourrit le débat. Cela forcerait l’exécutif à faire plus d’efforts dans la composition de ses délégations et dans la préparation de ces rencontres."
Quid du suivi ? À la fin des débats, recommande Mouhamadou Mbodj, "le ministre va se retirer avec son équipe, prendre en compte tous ces éléments et commencer à les traduire en plan d’actions au niveau de l’exécutif. Il ne faut pas que cela soit de la parlotte. Nous devons revenir à une directive de l’Uemoa transposée en 2011 et qui oblige le gouvernement à présenter un rapport financier tous les trimestres devant le Parlement. La venue du Premier ministre devrait être accompagnée par cet exercice. L’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye l’avait promis, ça n’a jamais été fait jusqu’ici. Ça nous pose un problème parce que ça a valeur de loi et ça oblige les acteurs, y compris l’exécutif et le Parlement".