ÉMILE FAURE, LE GRAND INCONNU DU COMBAT POUR L’INDEPENDANCE
Dans la longue marche du Sénégal vers l’indépendance, il existe un personnage historique qui reste particulièrement méconnu des Sénégalais et Sénégalaises, en la personne d’Émile Faure.

Dans la longue marche du Sénégal vers l’indépendance, il existe un personnage historique qui reste particulièrement méconnu des Sénégalais et Sénégalaises, en la personne d’Émile Faure.
Né le 19 novembre 1892 à Saint-Louis du Sénégal, il est le fils d'Eugène André Faure, un Français, employé de la maison de commerce bordelaise Maurel et Prom, et de Mama Touré, présentée comme une descendante de l’Almamy Samory Touré . Comme nombre d’Africains issus des milieux privilégiés de l’époque, il est envoyé en France pour y faire ses études. Il fréquente d’abord le lycée Saint Genest de Bordeaux avant de suivre les cours de l’école des Arts et Métiers, l'une des plus prestigieuses écoles d'ingénieurs françaises. Devenu ingénieur conseil, il travaille comme chef du bureau d'études de la société d’André Guinard, spécialisée dans les pompes.
Émile Faure commence ses activités militantes au début des années 1920 en adhérant à l’Union Inter coloniale (UIC), une organisation anticolonialiste proche du Parti communiste français (PCF) regroupant les originaires des colonies françaises et éditant le journal Le Paria. À l’époque, elle compte dans ses rangs un certain Nguyen Aï Quoc, plus tard connu sous le nom d’Ho Chi Minh, le père de l’indépendance du Vietnam, Messali Hadj, fondateur de l’Étoile nordafricaine (ENA) et père du nationalisme algérien et le Malgache Jean Ralaimongo, fondateur de la Ligue Française pour l’Accession des Indigènes de Madagascar aux Droits de Citoyen (LFAIMDC) et précurseur du nationalisme malgache.
En 1924, il adhère également à La Fraternité africaine, dont il devient le Président en octobre 1924, avant qu’elle ne cesse ses activités quelques mois plus tard. En son sein, il côtoie Lamine Ibrahima Arfang Senghor mais reste en marge des activités du Comité de défense de la Race Nègre (CDRN) créé en mars 1926. En revanche, il participe au lancement du journal Le Courrier des Noirs, journal bilingue français-anglais, lancé par Camille Saint-Jacques en novembre 1927, dont il est le trésorier. À la mort de Lamine Senghor, il rejoint Tiéméko Garan Kouyaté au sein de la Ligue de défense de la Race Nègre (LDRN). Puis, au début de l’année 1930, il l’accompagne dans la création de l’Institut nègre, conçu sur le modèle du Tuskegee Institute créé par des Afro-américains à l’initiative de Booker T. Washington en Alabama (Etats Unis). La vocation de cette structure, dont il est le trésorier, est de « donner une éducation intellectuelle, professionnelle et artistique aux nègres de toute nationalité, (…) strictement en dehors de toute action politique ou religieuse ».
Cependant, l’initiative fait long feu, suite notamment, à une violente campagne de dénigrement, menée par le journaliste d’extrême droite François Coty dans le journal L’Ami du peuple, qui dénonce les liens existant entre certains des initiateurs et les communistes. Malgré cela, Tiéméko Garan Kouyaté participe, en août 1930, au Vème Congrès de l’Internationale syndicale rouge (ISR), à l’occasion duquel il est élu membre du Comité exécutif du Comité Syndical International des Ouvriers Nègres (CSION). Il y rencontre des personnalités comme James W. Ford, L. Hawkins, Helen McClain et George Padmore, représentants le Parti communiste des États-Unis, Frank Macaulay (Nigéria), Albert Nzula (Afrique du Sud), E.F. Small (Gambie) ou encore Jomo Kenyatta (Kenya). Le Congrès terminé, Tiéméko Garan Kouyaté visite l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) ainsi que l’Allemagne sur le chemin du retour, ce qui n’est pas du goût de certains membres de la LDRN.
En effet, tous sont loin d’être membres ou sympathisants du PCF et à son arrivée en France, il doit faire face à une fronde conduite par l’aile nationaliste de la LDRN. Elle est notamment animée par Émile Faure et le Guadeloupéen André Béton qui, avec son frère Isaac Béton, avait milité au sein de l’Association pan-africaine, créée par Gratien Candace en 1921. Elle s’oppose, non seulement, à toute collaboration avec le mouvement communiste international mais également avec ce qu’elle appelle les organisations « blanches », à savoir les partis politiques français. C’est ainsi que lorsque le guadeloupéen Stéphane Rosso propose que la LDRN publie des articles dans les journaux français, et plus particulièrement dans L'Humanité, journal du PCF qui est selon lui le seul journal à « défendre les indigènes et dénoncer les injustices ou scandales coloniaux », Émile Faure lui rétorque que seul le journal La Race Nègre est capable de toucher les masses nègres. Ce bras de fer entre nationalistes et communistes, préfigure la controverse qui sera posée par George Padmore dans son ouvrage « Panafricanisme ou Communisme ». Il prend subitement une tournure beaucoup plus conflictuelle, lorsque Tiéméko Garan Kouyaté refuse de rendre compte à Émile Faure, devenu Président de la LDRN en mai 1930, de l’utilisation des fonds qu’il lui a remis afin de permettre la publication du journal de LDRN en difficulté financière. Le 11 janvier 1931, lors d’une assemblée générale de la LDRN, Émile Faure déclare que la réunion est illégale et ajoute qu'il a porté plainte contre Tiéméko Garan Kouyaté pour abus de confiance, action irrégulière dans les fonctions de Secrétaire général et refus de remettre au Président des documents de l’organisation. Néanmoins, un nouveau bureau est élu qui voit l’éviction d’Émile Faure de son poste de président ce qui l’amène à engager une bataille judiciaire afin de garder l’appellation Ligue de défense de la Race nègre et le journal La Race nègre. Quelques mois plus tard, il obtient gain de cause et renouvèle les instances de la LDRN dont il redevient le président tout en gérant La Race Nègre. Émile Faure partage avec le Sénégalais Adolphe Mathurin, le fait de ne reconnaitre qu'un seul parti, celui de sa race. Dans le n°4 du journal La Race-Nègre, il le fait savoir en commentant de manière virulente la parution du numéro de La Race Nègre publié par Tiéméko Garan Kouyaté. À cette occasion, il écrit, « Un certain nombre de mauvais nègres se sont permis de faire paraitre une feuille à entête du journal La Race Nègre. Ces gredins sont au nombre de cinq, anciens membres de la Ligue, dissidents par naïveté ou exclus par escroquerie et abus de confiance. (…). Ces pauvres types n’agissent d’ailleurs par pour leur compte : leur insuffisance est si grande qu’il leur faut toujours avoir des maitres blancs même lorsqu’ils crient « vive la liberté » ».
LA RACE NEGRE
L’existence d’une tendance foncièrement nationaliste au sein du mouvement anticolonialiste nègre n’est pas une nouveauté en soi comme le montre l'article «Chacun sa race» publié par Adolphe Mathurin dans La Race Nègre de septembre 1927. Dans celui-ci, il écrit : « Sachez-le, il n'est de liberté que dans le chemin d'une tenace persévérance. C'est un axiome. Par un travail suivi, nous arriverons sans naufrage au terme de notre voyage. Mais, je vous le dis, nul autre mieux que nous, ne saurait ouvrager notre libération totale. (…). Race de mes frères, sors de ta torpeur ! Secoue le joug qui t’écrase. Et puisqu’en Europe comme en Amérique des négrophobes sans vergogne ont semé ton mépris, puisque l’on nous voue une haine sans raison ni excuse, soit, chacun sa race ». La ligne de conduite préconisée est la même dans l’article d’André Béton intitulé « Par le fusil ou l'argent » et publié dans La Nègre de mars 1928. Exposant comment il entrevoit l’émancipation du Nègre, il déclare : « Trois moyens s’offrent à son esprit pour aboutir à ce résultat. Le premier serait de compter de sa force naturelle physique et de son nombre, et, dans un sursaut de révolte, chasser le blanc qui l'opprime, l'exploite comme une bête de somme et le méprise. Dans ce cas, il agirait seul, et n'aurait à compter sur le concours d'aucune autre race. Dans la deuxième hypothèse, il tendrait une oreille complaisante à certaines doctrines et accepterait des cadres blancs afin de se débarrasser de ses bourreaux. Enfin, la petite minorité à laquelle j'appartiens, croit à une évolution certaine mais lente, par le développement de l'individu et du sentiment de solidarité ethnique, dont nous avons un sens aiguisé.»
En fait, ce qui est nouveau c’est que désormais, ce courant s'affiche en mettant ouvertement en avant la dimension strictement raciale de son combat, fortement influencé en cela par le garveyisme, En effet, toutes les idées, ou presque, développées par Marcus Garvey se retrouvent dans les propos d’Émile Faure et de ses camarades, à savoir la méfiance envers les communistes, le primat accordé à la race, la volonté de bâtir une économie nègre, le thème du retour en Afrique ainsi qu’aux traditions africaines, l'incantation de l'unité africaine ou plus exactement de la Race Nègre et bien entendu le combat émancipateur des peuples nègres symbolisé par le slogan «L'Afrique aux Africains». Dans un autre texte publié dans La Race Nègre en 1934, probablement rédigé par Émile Faure, le ton et les mots sont tout aussi tranchés : «En présence de la pourriture sociale irrémédiable de la France, de l’état de guerre endémique de l’Europe, des doctrines politiques et sociales monstrueuses qui s’y font jour, nous ne devons avoir qu’un seul mot d’ordre : TIRONS-NOUS DE LÀ !».
Alors que le fascisme et le nazisme gagnent du terrain en Europe, la LDRN, qui refuse de se mettre sous une quelconque tutelle, survit tant bien que mal, réduisant ses activités au strict minimum faute de moyens.
Ainsi, La Race Nègre, qui est théoriquement mensuel, ne parait qu'une seule fois par an entre avril 1931 et 1936. De plus, elle mène très peu d’activités en direction la diaspora africaine résidant dans les grands ports français pendant que Tiémoko Garan Kouyaté la mobilise à travers l’Union des Travailleurs Nègres (UTN), qu’il a créée en septembre 1932 avec pour journal Le Cri des Nègres. En direction des colonies, elle se contente de la diffusion de son journal, à quoi s’ajoute durant l’été 1935, l’envoi d’un « Appel fraternel aux Nègres du monde entier », invitant à la création en Afrique « d’un État Nègre Indépendant, où tous, nous vivrons, heureux, en Paix et Fraternité Africaines ». Émile Faure et ses camarades sortent cependant de leur torpeur lors de l'agression italienne contre l'Éthiopie. À cette occasion, La Race Nègre publie un article virulent intitulé « Épurons notre race », dans lequel elle dénonce les députés noirs au parlement français, ainsi que le gouvernement haïtien, jugés incapables d'adopter une position de ferme soutien à l'Éthiopie. Le 3 mai 1936, à l'issue du second tour des élections législatives, le Front Populaire l'emporte. Pour nombre de colonisés, cette victoire est un peu la leur, car, même s'ils n'ont pas pu faire entendre leurs voix dans les urnes, ils ne peuvent voir que d'un bon œil l'accession des communistes et des socialistes au pouvoir. Ces derniers ont, en effet, pris régulièrement le parti des colonisés, chacun à leur manière.
Cependant, force est de constater que le programme colonial du Rassemblement Populaire est des plus inconsistants en la matière, puisqu'il prévoit simplement la création d'une commission d'enquête parlementaire devant se rendre en Afrique du Nord et en Indochine, l'Afrique noire, Madagascar et les Antilles n'étant pas mentionnés dans cette initiative. C’est dans ce contexte que, début février 1937, Nguyen The Truyen, un militant indochinois anticolonialiste, rédige un texte qu'il adresse aux organisations regroupant les colonisés de France. Intitulé « Pour le Congrès intercolonial », il déclare que l’objectif principal est la création d'un « vaste Rassemblement intercolonial » qui est en réalité une tentative de faire revivre l'Union inter coloniale (UIC). D’ailleurs, dans un article intitulé « L'enseignement du passé », Nguyen The Truyen écrit que l’UIC « est morte après dix années de lutte mais son exemple demeure, nous encourage et nous éclaire ».
Fidèle à la ligne politique consistant à prendre ses distances avec les organisations « blanches », Émile Faure, suspecte le PCF d’être derrière cette initiative. Pour en avoir le cœur net, il adresse d’ailleurs une correspondance aux initiateurs du Rassemblement intercolonial dans laquelle il demande si c'est le Front populaire qui a besoin de fédérer les coloniaux ou bien si ce sont les coloniaux qui ont besoin du Front populaire ! Mieux, assistant à une des réunions préparatoires à la création du Rassemblement intercolonial, il s’en prend à Marius Moutet, ministre de Colonies, car il subventionne le journal Africa, lancé par Tiéméko Garan Kouyaté en décembre 1935. Finalement, Le Rassemblement colonial est créé en mars 1937 et compte une trentaine d’organisations regroupant les originaires des colonies françaises. Afin d'éviter l'hégémonie d'un groupe sur les autres, comme cela s'était produit au sein de l'UIC, les statuts précisent que la présidence est assurée à tour de rôle par l'un des cinq vice-présidents que sont Messali Hadj (Afrique du Nord), Émile Faure (Afrique Noire), Nguyen The Truyen (Indochine), Edmond Ramananjato (Madagascar) et Raoul Cenac-Thaly (Antilles, Guyane et Réunion).
Cependant, suite au départ progressif des organisations proches du PCF puis des dissensions entre partisans de l’assimilation et tenants de l’émancipation intégrale, dès la fin de l’année 1937, Le Rassemblement colonial tombe en léthargie. Ainsi, en décembre 1937, face au projet, un moment envisagé, de rétrocéder le Togo et le Cameroun à l’Allemagne afin d’apaiser son esprit revanchard, il se limite à publier un tract dans lequel il proclame que « les territoires coloniaux et leurs habitants ne sauraient continuer à être considérés comme biens meubles ou monnaies d’échange » et estime que « l'émancipation des colonies est la condition primordiale de la paix ».
CENTRE ANTI-IMPERIALISTE
Début 1939, alors que les signaux annonçant la seconde guerre mondiale se multiplient des hommes venus d'horizons politiques divers tentent de redonner droit de cité au combat anti-impérialiste. Ainsi, les trotskystes indochinois, organisés au sein du Bureau d'Entente des Indochinois de France (BEIF), décident d'adhérer au Rassemblement colonial. Cette convergence de vues entre trotskystes et nationalistes, tous deux hostiles à voir les colonisés jouer les supplétifs au service d’un camp ou d’un autre, débouche sur une prise de contact entre Le Rassemblement colonial et le Parti Socialiste Ouvrier et Paysan (PSOP) fondé récemment par Marceau Pivert et Daniel Guérin venus de La Gauche révolutionnaire (GR), l’aile radicale de la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO). Lors d'un entretien avec Émile Faure, Daniel Guérin lui expose le projet consistant à créer un centre antiimpérialiste, sur le modèle de celui animé par George Padmore à Londres, de manière à coordonner l'action des organisations françaises luttant contre le capitalisme avec celle des colonisés luttant contre l'impérialisme. À situation exceptionnelle, attitude exceptionnelle, Émile Faure, qui a toujours rejeté toute alliance avec les organisations « blanches », décide alors de franchir le pas et de s'allier avec le PSOP pour fonder le Centre de Liaison Anti-impérialiste (CLAI).
Lors de la réunion constitutive du Centre de Liaison Anti-Impérialiste (CLAI), tenue le 29 avril 1939, les participants désignent Émile Faure comme Secrétaire général. Dans le texte rédigé par Daniel Guérin pour l’occasion, il est précisé que : « Le Centre de liaison anti-impérialiste se propose de coordonner l'action de tous les groupements qui, dans les pays coloniaux, luttent contre l’impérialisme français et de ceux qui, luttant dans la métropole contre le capitalisme français, comprennent que c’est de l’intérêt des uns et des autres de conjuguer leurs efforts, car le capitalisme qui exploite les travailleurs métropolitains tire sa force principale de l’esclavagisme colonial ».
Dans la plateforme du CLAI publiée en mai 1939 dans Juin 36 l’organe du PSOP, l’accent est mis sur le fait que : « Au moment où l'impérialisme français invite les peuples par lui opprimés à défendre l'intégrité de l'Empire, le Centre de Liaison anti impérialiste déclare que, dans le conflit de demain, le droit et la justice ne seraient ni dans un camp ni dans l'autre, que l'intérêt des peuples coloniaux serait de ne prendre parti ni pour un camp ni pour l'autre. Nous dénonçons à la fois les impérialistes nantis qui arment jusqu'aux dents pour conserver le butin qu'ils ont conquis par la violence et les impérialistes moins bien servis qui arment jusqu'aux dents pour ravir aux premiers par la violence, une part de leur butin ». Cependant, dans un contexte politique marqué, sur le plan national, par la chute du gouvernement de Front Populaire, et à l’échelle internationale, par la signature des accords de Munich puis du Pacte germano-soviétique, les militants anticolonialistes se retrouvent particulièrement esseulés pour mener un combat qui semble secondaire au vu des enjeux géopolitiques internationaux.
Cette situation n’empêche pas Émile Faure de poursuivre imperturbablement la lutte aux côtés de George Padmore et Daniel Guérin et il échange régulièrement avec ses contacts en Afrique
Cependant, à la fin du mois d’octobre 1939, l'un d'eux, le Togolais Koffi Tobias résidant à Abidjan, fait l'objet d'une perquisition suite à l'ouverture d'une information contre X pour infraction contre la sureté extérieure de l'État par la Justice militaire. Alors qu'il est, a priori, suspecté de « tendances germanophiles », la police découvre la correspondance que Koffi Tobias entretient avec Émile Faure relativement aux activités du Centre de Liaison Anti-Impérialiste.
Aussitôt, l'enquête s’oriente vers Émile Faure et le 4 décembre 1939, le Tribunal militaire d'Abidjan délivre un mandat d'arrêt contre ce dernier pour « atteinte à la sureté extérieure de l'État ». Arrêté le 9 décembre à Paris, il est transféré en Côte d'Ivoire où il est jugé, condamné et incarcéré pendant trois ans à Grand Bassam avant d’être transféré à Bamako. Libéré en 1944, il rentre d’abord au Sénégal chez sa sœur Jeanne Faure, puis retourne en France où il reprend son travail d’ingénieur. Dans un texte intitulé « Mes Prisons », publié en 1947 dans la revue Crisis, fondée par WEB Du Bois en 1910 et qui est l'organe de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), il raconte les terrifiantes conditions de sa détention. Sous le titre « French Terror in Negro Africa », il décrit comment, après avoir passé sept mois au secret dans une minuscule cellule, sans air et sans lumière, il avait perdu toutes ses dents et presque la vue et souffrait d’hallucinations qui l’empêchaient souvent de parler et même d’écrire.
D’une ténacité exceptionnelle, il poursuit néanmoins son combat pour l'émancipation des peuples nègres, et, fidèle à ses idéaux et à ses amitiés, il rédige en 1950 la préface d’une brochure intitulée « Le Rôle émancipateur de la République nègre d'Haïti ». Son auteur, le Haïtien Ludovic MorinLacombe, sympathisant communiste convaincu, avait en effet cheminé avec lui au sein du Comité de défense de la race nègre, de la Ligue de défense de la race nègre et de l’Union des travailleurs nègres (UTN) de même que lors du lancement du journal Le Courrier des Noirs. Ironie de l’histoire, le 27 juillet 1960, âgé de soixante huit ans, il meurt d'un cancer généralisé alors que les colonies africaines de la France accèdent, l’une après l’autre, à l'indépendance pour laquelle il n’a cessé de lutter. Il emporte dans sa tombe l'unique exemplaire d'un livre qu'il voulait publier et qui avait été interdit par les autorités françaises.
Avec la mort d’Émile Faure disparait l'une des plus grandes figures du mouvement nationaliste africain qui reste aujourd’hui largement inconnue, tant au Sénégal qu’en Afrique. Au même titre qu’un Lamine Senghor, dont il partagea la lutte, Émile Faure mérite d’être connu et reconnu et son combat, ainsi que ses textes, intégrés dans les programmes scolaires. Des recommandations doivent également être faites en direction des municipalités pour que son nom soit donné à des avenues et boulevards, dans toutes les villes du Sénégal, en commençant par Saint-Louis sa ville natale. Dans ce sens, il serait légitime d’envisager de débaptiser le lycée Charles de Gaulle de Saint-Louis pour lui donner son nom. Héros inconnu de la longue marche vers l’indépendance, il doit figurer dans notre panthéon national afin de prendre, dans notre mémoire collective et notre conscience historique, toute la place qui lui revient. Il s’agit de faire en sorte que les idéaux pour lesquels il s’est battu et la ténacité dans la lutte dont il a fait preuve inspirent la jeunesse africaine à l’heure où la question de la souveraineté de l’Afrique est plus que jamais d’actualité.
1 Mama Touré serait née en 1878 à Bamako d’un certain Abdourahmane Touré dont on ignore précisément les liens de parenté avec Samory Touré.
2 Le Professeur Olivier Sagna, retraité de l’Ecole des bibliothécaires, archivistes et documentalistes (EBAD) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), est l’auteur d’une thèse de Doctorat intitulée « Des pionniers méconnus de l’indépendance : Africains et Antillais et luttes anticolonialistes dans la France de l’entre-deux-guerres (1919-1939) » soutenue en 1986 à l’Université Paris VII.