La Ligue démocratique entre mutations et rajeunissement de ses instances
Congrés ordinaire ce samedi
« Non, c’est pour des questions d’ordre privé », grommelle le vieux Momar Sy toujours permanent à la Permanence nationale, en réponse à une curiosité journaliste, à propos de la pile de documents qui s’amoncellent sur son bureau, sobre et peu enfiévré en contraste avec l’imminence du congrès ordinaire de la Ligue démocratique. Les colonnes de chiffres qu’il consulte ne concernent donc pas un quelconque budget, à quelques heures du congrès ordinaire qui devrait marquer l’histoire de ce parti. Une large banderole, déployée tout le long du mur du siège, annonce le grand rendez-vous, demain, au Cices.
Au rez-de-chaussée, un bureau d’accueil et les locaux administratifs ; à l’étage, des bureaux, et surtout la grande salle de réunion. Ce mercredi 3 juillet, à 72 heures de l’ouverture du 7ème congrès, rien ne laisse transparaître une fébrilité. Sans tabou, la question de la succession du Pr. Abdoulaye Bathily, secrétaire général depuis 29 ans, est dans les esprits. La veille, plusieurs journaux avaient annoncé le départ du Pr. Abdoulaye Bathily de la tête de la Ligue démocratique (Ld), sans être démentis. Ouvertement, le débat est posé. Mais tous tiennent à souligner que c’est le nouveau ministre d’Etat auprès du président Macky Sall qui tient à passer le flambeau.
Il est un peu moins de midi quand déboule Pape Sarr, embonpoint entretenu, en chemise-cravate, look de jeune cadre et ardeur militante. Educateur spécialisé de formation, il est le secrétaire national de la Ld, chargé de la promotion des jeunes, militant depuis 1992. Celui qui a pris sa carte de membre à l’âge de 19 ans, est le prototype des acteurs politiques qui réclament une alternance générationnelle à la tête des partis politiques.
« Ce congrès est important parce qu’il doit nous permettre de faire le bilan d’un parcours de plus de 30 ans de vie politique que plusieurs générations ont eu à mener. A partir de bilan, nous pourrons mettre le doigt sur ce que nous avons fait de bien et de moins bien ; sur ce qui, de notre part, mérite d’être amélioré. Le Pr. Bathily et tous les camarades de sa génération ont joué un rôle éminemment important pour notre pays. Pour les conquêtes démocratiques et pour la liberté. C’est une génération qui s’est battue et qui a consenti tous les sacrifices ; et ils pour sont nous des exemples et nous continuerons à puiser à la source de leurs expérience », tranche Pape Sarr.
Alternance générationnelle
Après le Pit où Amath Dansokho a cédé sa place au Pr. Magatte Thiam, voilà donc « les Jallarbistes » face à leur destin. Comme une lame de fond, l’exigence de renouvellement secoue les états-majors. « Je pense que le moment est venu de permettre à une autre génération, qui n’est pas de 1968, qui est arrivée à maturité et qui comprend parfaitement les problèmes de son époque et les préoccupation de sa génération. Le temps est venu de renouveler le personnel dirigeant du parti », assène-t-il, tout en sueur, malgré l’ombre du grand arbre qui trône au milieu de la cour de la permanence.
Engagement ferme pour le renouvellement et le rajeunissement des instances du parti seront une doléance forte des jeunes de la Ld, si l’on en croit Pape Sarr. « Si nous voulons rester un parti de Gauche, c'est-à-dire un parti accolé aux préoccupations des masses populaires des masses laborieuses, il faut que cette nouvelle génération qui a été préparée, prenne le relais. Cela ne veut pas dire que nous préconisons un balayage », explique-t-il ; « certains parmi eux ont encore un potentiel et qui ils pourraient aider les nouvelles générations qui doivent travailler à conquérir le pouvoir pour enfin asseoir une politique de Gauche au Sénégal», planifie l’éducateur spécialisé.
« Un militant, une voix ; un militant, un point de vue » a été le crédo ressassé des années durant à la Ld. En tout cas, Pape Sarr, espère « que dans le cadre d’un débat démocratique, nous parviendrons à élire un secrétaire général du parti, s’il plaît à Dieu, dans la quiétude, de manière civilisée, sans déchirures. Il faut qu’on arrive à le faire. » Il ne pense pas qu’en cas de désignation d’un nouveau secrétaire général, le Pr. Bathily continuerait à manœuvrer et diriger en coulisses. Quid d’un favori ? « A la Ligue démocratique, on peut constituer une trentaine de gouvernements ; ce ne sont pas les cadres, hommes, femmes, jeunes qui manquent dans notre parti. Beaucoup parmi nous avons la capacité de gérer le parti et de le mener à bon port ».
Les congressistes privilégieront la recherche du consensus pour la désignation du secrétaire général. En cas de blocage, un vote au bulletin secret. « Nous avons des arguments pour expliquer aux congressistes que le moment est venu, pour que des jeunes autour de la cinquantaine et non des retraités, prennent la direction du parti. C’est notre point de vue et nous allons le défendre », conclut Pape Sarr. A chacun ses préoccupations, dit-on. Cacique parmi les caciques du parti, Famara Sarr, deux-pièces en bazin chocolat, ne semble pas pris par l’imminence de « quelque chose d’important ». Le professeur de philosophie à la retraite, assure qu’il est « non partant pour le poste » et préfère penser « aux parties de pêche en mer », dans son fief des Iles du Saloum.
Pourtant, il ne manque pas d’arguments : trois fois député (1993, 1998 et 2001), « vainqueur » à deux reprises de la communauté rurale de Dionewar aux élections locales, membre du saint des saints du parti. Mais, assure Famara Sarr, «les gens qui me connaissent vous diront que c’est impossible. Vous n’en trouverez pas un qui vous dira que je suis intéressé par le poste de secrétaire général ».
Short-list
Joint au téléphone, l’ancien ministre de l’Urbanisme et de l’Aménagement du Territoire alors que la Ld était en alliance avec le régime de Me Wade, Seydou Sy Sall, ne veut point s’étendre. Normal, il serait dans la short-list des prétendants à la succession : « je ne peux vraiment pas me prononcer sur cette question. Tout est ouvert », s’excuse-t-il, en invoquant « l’importante communication qu’il doit présenter en marge des 40 ans de l’Ecole polytechnique de Thiès », son ancienne école.
De son côté, Ousmane Badiane, autre personnalité marquante de la Ld, un temps président du Conseil régional de Dakar, n’est qu’une seule certitude : le Pr. Bathily va céder son fauteuil. Intime de l’historien, son opinion est nette : « Comme je le connais, il va résister cette fois-ci et faire accepter son départ. Il va partir », lâche, avec une voix teintée d’amertume le « monsieur élections » des « rouges ». Les 1.000 délégués attendus de toutes les régions du Sénégal et de la diaspora ne plancheront pas seulement sur le remplacement du Pr. Bathily. Une commission ad-hoc a été chargée de réfléchir sur le mode de renouvellement des membres du Bureau politique et du secrétariat permanent.
Lors de la dernière réunion de son bureau politique, Mamadou Noyé (autre favori pour la succession avec l'ancien ministre Yero Deh), membre du Bp, au titre de la commission ad-hoc, instituée à l’effet de statuer sur les mandats et les délégués au Congrès, la nature et la taille des instances, de même que sur le mode d’élection pour le renouvellement des membres du bureau politique, du secrétariat permanent et du secrétaire général, personne morale du parti, a esquissé ce qui pourrait être « la Dl nouvelle ». Sans jeu de mots. La plupart des successeurs potentiels du Pr. Batilly font profil bas et ne mènent pas ouvertement campagne. « C’est cela la culture Dl ». Des noms circulent.
Nicolas Ndiaye, responsable de la permanence nationale et porte-parole du parti, est l’homme des médias. Bon communicant, il serait en embuscade, si l’on ose dire. De plus en plus, il monte dans le dispositif. Depuis ses bureaux de l’hôtel de Ville, Cheikh Guèye, premier adjoint au maire de Dakar, a usé de cette position pour monter en grade et en influence. Décrit comme compétent et parfait pour « une rupture dans la continuité », il a, lui aussi, ses supporters. Tout comme le patron des cadres, Moussa Sarr, qui semble mobiliser beaucoup de jeunes autour de son nom. Sans omettre l’actuelle ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat, Mme Khoudia Mbaye. C’était tellement plus simple au temps du communisme triomphant…