LES ACTEURS INVITÉS À SE FONDER SUR L’ÉTHIQUE ET L’EXIGENCE MORALE
INSTALLATION DES JUGES DE LA CAE D'ASSISES CHARGES DU DOSSIER HISSENE HABRE

Le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a installé hier les juges des Chambres africaines extraordinaires d’Assises, en charge du procès de l’ancien président tchadien Hissène Habré. S’adressant aux juges nouvellement installés, Me Sidiki Kaba leur a demandé « de rendre la justice en se fondant sur la morale, l’éthique, l’intégrité, la rigueur et l’exigence morale ».
Les juges des Chambres africaines extraordinaires (Cae) d’Assises choisis par l’Union africaine (Ua) pour la tenue du procès de l’ancien président tchadien Hissène Habré ont été installés. La cérémonie s’est déroulée hier au Palais de justice Lat Dior à Dakar. Elle a été présidée par le Garde des Sceaux, ministre sénégalais de la Justice, Me Sidiki Kaba.
Elle a aussi enregistré, entre autres, la présence du ministre tchadien de la Justice et des Droits humains, du représentant de l’Ua, des président des Cours d’appel de Kaolack, de Dakar et de Saint-Louis, du procureur général de la Cour suprême, du bâtonnier, du président de la Cour de répression contre l’enrichissement illicite (Crei).
Les avocats de la défense de Habré ont, quant à eux, boycotté cette cérémonie d’installation de ces juges.
Ce jour, a déclaré le Garde des Sceaux, « est un moment d’espoir pour toutes les victimes du monde en quête de justice ». « Le temps de la justice est long mais il arrivera », a déclaré Me Sidiki Kaba. Il est important, a-til avancé, « que la communauté internationale affirme sa détermination à lutter contre l’impunité, une des causes des crimes de masse ».
Selon lui, le XXe siècle, dit-il, bien qu’il soit un siècle de progrès scientifique et technologique, fût un « siècle meurtrier », avant de citer les trois génocides que le monde a connu pendant ce siècle : arménien, juif et rwandais.
Pour lui, la création des Cae constitue une réponse du Sénégal à l’Ua. « C’était un déshonneur, une humiliation de l’Afrique de voir ses enfants jugés ailleurs dans le monde », a soutenu Sidiki Kaba, citant les cas de Jean-Pierre Bemba, de Charles Taylor et de Laurent Gbagbo.
S’adressant aux juges nouvellement installés, le ministre de la Justice leur a demandé « de rendre la justice en se fondant sur la morale, l’éthique, l’intégrité, la rigueur et l’exigence morale ».
Pas de condamnation à mort
« La décision qui sera prise à l’issue de ce procès devra refléter la technicité et la compétence. Ce procès intéressera les universités africaines. Peut-être, il sera enseigné aux étudiants, d’où la nécessité de saisir le sens de la responsabilité qui pèse sur vos épaules, parce que ce sera un procès historique. Vous devez montrer que l’Afrique pourra désormais juger ses propres enfants impliqués dans des crimes graves », a-t-il affirmé.
La conviction du Garde des Sceaux est que l'ancien président tchadien ne « connaîtra jamais une condamnation à mort sur le sol sénégalais », où la peine de mort a été abolie. « Je ne sais pas si Hissène Habré sera condamné ou pas. Mais ce que je sais avec certitude est que, si d'aventure un jugement de condamnation interviendra, il ne sera jamais condamné à mort, parce que le Sénégal a aboli la peine de mort », a-t-il assuré.
«Je ne sais pas ce qui se passera à l'issue du procès. On ne sait pas s'il est coupable ou pas, mais c'est une certitude absolue que M. Habré ne connaîtra pas une condamnation à mort. Mais sera-t-il condamné ? Je ne saurais le dire, parce qu'on ne sait pas encore », a-t-il soutenu.
Pour sa part, le ministre tchadien de la Justice et des droits de l’Homme a exprimé un « sentiment d’un devoir accompli ». « Il nous a été prêté toutes les intentions possibles », a regretté Mahamat Issa Halikimi. Selon lui, le « Tchad n’a, en aucun moment, refusé de coopérer avec le Sénégal dans ce dossier ; nous sommes intéressés pour ce qui se passe ici et au Tchad ».
« Nous ne pouvons qu’être engagés pour rendre la justice à nos compatriotes », a-t-il dit.
Auparavant, l’administrateur des Chambres africaines extraordinaires, Ciré Aly Bâ, est revenu sur les péripéties ayant abouti à la création des Cae qui s’inscrivent, selon lui, dans un « élan de refondation » de la justice pénale internationale grâce à une véritable rupture qui semble s’opérer depuis une vingtaine d’années.
« Nous sommes entrés dans la phase décisionnelle de la procédure. C’est maintenant que tout commence. Elle sera dorénavant publique, orale et entièrement contradictoire », a affirmé Ciré Aly Bâ. S’adressant aux juges, et leur a rappelé que « le Code de procédure pénal leur donne des prérogatives étendues, mais il leur impose des devoirs, à savoir l’impartialité ».
« Aucune thèse ne doit s’imposer à vous a priori », a-t-il dit. La lutte contre l’impunité, a-t-il insisté, « est un combat essentiel de notre époque ». A partir d’aujourd’hui, a averti Ciré Aly Bâ s’adressant aux juges, « le monde vous observe ».
« L’Afrique juge l’Afrique »
Le représentant spécial de la présidente de l’Union africaine (Ua) pour le dossier de Hissène Habré, Robert Dossou, a rendu hommage au président de la République du Sénégal, Macky Sall, d’avoir conduit un tel dossier et qui se résume en cela : « l’Afrique juge l’Afrique ». La tâche, a-t-il dit, « n’est pas terminée. Ce n’est qu’une étape qui est franchie ».
« Vous avez à accomplir un honneur et un devoir historique. Faites le avec compétence, célérité et diligence », a dit le représentant de l’Ua aux juges, estimant que « cette installation est l’aboutissement d’un processus entamé dans la douleur et qui doit être le dernier segment pour concrétiser l’espérance de Dakar ».
Il a également lancé un appel à tous les Etat africains pour qu’il ratifie le Protocole de Malabo, signé en juin 2014, portant la création de la Cour africaine de justice des droits de l’homme et des peuples.