LOI CADRE : NOUS PARLONS DE LIBERTE ET D’AUTONOMIE ET NON D’INDEPENDANCE

Nous avons l’obligation de combattre une loi injuste. Nous combattons donc la Loi n°18/2014 dite Loi Cadre au nom des principes de liberté et d’autonomie académiques. Notre indignation vis-à-vis de l’attitude des députés qui l’ont votée est à la hauteur de la sacralité de ces principes pour l’université. Clarifions donc le débat : il n’est pas question d’indépendance mais d’autonomie et de liberté académiques. Bien plus qu’un combat pour l’université elle-même, la légitimité de notre lutte est fondée sur la souveraineté de notre nation en raison même des nobles missions qu’assume une institution universitaire.
En clair, faisons de la pédagogie. C’est un impératif dans le contexte actuel. Pour cela, je partirai de l’interpellation d’un ami qui me posait cette question : « Pourquoi l’autorité n’aurait-elle pas un droit de regard sur l’université alors qu’elle y met de l’argent »?
Clarifions les concepts de liberté et d’autonomie
La question appelle à mon avis deux clarifications que l’histoire de l’université permet de relever aisément :
L’autonomie ne signifie pas que l’université est une zone de non-droit. Autrement dit, les universités fonctionnent sur des bases clairement définies par l’autorité compétente. Elles sont donc soumises au droit, au respect des autorités légales et remplissent entre autres, des fonctions diverses voulues ou reconnues par lesdites autorités. Mais ces fonctions sont remplies conformément à une tradition de liberté et d’autonomie du savoir scientifique. Du reste comme le dit Montesquieu : « La liberté est le droit de faire ce que les lois permettent ». L’université respecte les lois.
L’université n’est coupée ni de la société, ni des dynamiques sociopolitiques. Cette thèse ancre l’institution dans son contexte spatio-temporel, sociologique, politique et économique et en fait même un moteur de changement social… Il n’y a pas d’université en dehors de la société. L’université sénégalaise a toujours été avant-gardiste dans la problématisation des grands débats de société et impulsé une conscience politique et citoyenne dans les grands moments historiques.
L’université est une histoire de liberté et d’autonomie
Il convient donc de comprendre ces deux principes en convoquant l’histoire de cette institution. Issue des flancs de l’Église, l’université a d’abord renforcé le pouvoir ecclésiastique avant de s’émanciper au prix de hautes luttes. En tant qu’institution de production de sciencia, connaissance supérieure qui transcende tous les clivages, elle s’est forgée une liberté de fait. Une liberté scientifique reposant sur la force, voir la puissance du savoir rigoureusement conquis. En s’émancipant de l’Église, l’université s’est aussi émancipée des autres pouvoirs constitués ; celui des rois, des puissants, des systèmes politiques, idéologiques, communautaires et de tant d’autres ; si bien que son histoire devient une histoire totale : humaine, philosophique, politique, social, économique... Affirmer la liberté et l’autonomie de l’université comme principes essentiels de l’institution ne signifie pas en méconnaitre les limites. Cela ne cache pas non plus les fautes commises durant ce processus d’émancipation. Or, c’est à la lumière de cette liberté intrinsèque qu’il faut comprendre l’autonomie comme mécanisme de fonctionnement interne, stratégies et moyens scientifiques qui tiennent ce temple dégagé des tutelles et considérations aliénantes et obscurantistes. Alors, libérée de ces pesanteurs, l’université peut explorer avec une vigilance optimale les sentiers du réel et bâtir les chantiers de la civilisation de l’intelligence. Le savoir scientifique est produit dans des conditions d’équidistance vis-à-vis des pouvoirs, des pressions, des injonctions (y compris de la Banque Mondiale) et des diktats ; quels qu’ils soient tandis qu’il est encadré par des valeurs fortes : honnêteté, éthique, déontologie et humanisme. Grâce à la force du savoir scientifique, indépendant, autonome, rigoureux… les sociétés humaines sont révolutionnées sur tous les plans comme chacun le sait. En conséquence, ce savoir donne sens à l’université comme institution de production et de sa diffusion de la liberté et de la démocratie. Ôter au temple du savoir son autonomie, c’est confisquer la science d’une nation et lui priver de son essence.
Les universitaires sont dans leur droit absolu de préserver ce legs inestimable
De ce qui précède, on tire une leçon simple : l’universitaire lui-même est le premier défenseur de cette liberté académique au risque de démériter son rôle et sa légitimité. La liberté est à l’universitaire ce que l’air est à l’être humain. Elle est vitale. Elle est non seulement gage de sens et de bon sens mais encore ciment d’une civilisation durable. Voilà le fondement de notre lutte. Si nous nous battons contre la Loi Cadre (caché durant son élaboration et adoptée en catimini), c’est au nom de la sacro-sainte conviction que l’université éclaire notre commun cheminement vers un idéal humaniste. C’est un legs inestimable que nous ne pouvons sacrifier ni sur l’autel de la peur, ni sur l’autel de l’égoïsme encore moins sur celui de l’imprudence. La devise de l’Université Cheikh Anta Diop n’est-elle pas le meilleur slogan pédagogique qui soit ? En effet ; «Lux mea lex».
La loi cadre : une injonction de la Banque mondiale pour étrangler l’université
Or, la Loi Cadre, Loi financée et encouragée par la Banque Mondiale, met en place un système de gouvernance qui aliène l’université d’abord par la composition des instances décisionnelles mais aussi par l’exclusion vis-à-vis des Maitres (les professeurs) et des élèves (les apprenants) dans l’élaboration des projets pédagogiques et des besoins des acteurs. De surcroit, cette Loi donne aux acteurs non-universitaires par le biais d’un conseil académique pris en otage par les forces du marché et des affaires, des prérogatives qui font l’âme de l’université : la pédagogie et la recherche. Elle tue donc l’université, comme elle a tué l’école de la République. La banque mondiale, championne des politiques néo-libérales, championne de la privatisation et de l’injonction dans les politiques publiques des pays non-occidentaux a décidé par cette loi d’atteindre le sanctuaire de l’intelligence et de la résistance culturelle. Elle avait commencé par la diabolisation et déclarant que le seul problème au Sénégal c’est l’existence d’un syndicat de l’enseignement supérieur est trop fort. Elle a récidivé en laissant entendre que les universitaire sénégalais sont mieux traités que leurs collègues américains. Quelle grossièreté.
La loi cadre est mauvaise et ridicule ; dans la méthodologie d’élaboration, le contenu comme les conditions d’adoption. Le CA telle qu’il y est proposé frise une aberration comparable à ceci : confier un hôpital à conseil d’administration composé en majorité d’ostréiculteurs, de boulangers et de joailliers, des garderies d’enfants à des commerçants et mareyeurs et des organes de presse à des professionnels du bâtiments… La Banque Mondiale peut nous prêter de l’argent sans nous obliger à aliéner notre université. C’est une question de souveraineté nationale. Nous disons Non !
Une autonomie déjà sabotée et fracassée par un décret injuste en contradiction avec la loi
Ce type de vision prédatrice a commencé par le retrait aux universités de leurs compétences en matière d’admission et d’orientation de bacheliers par, là encore, une méthode autoritaire et violente du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR). Les conséquences dramatiques du décret n° 2013-1295 du 23 septembre 2013 relatif à l’orientation et à l’inscription des bacheliers dans les universités publiques et dans les établissements d’enseignement supérieur commencent à se pointer. Nombreux sont les étudiants qui demandent une réorientation car leur choix d’orientation n’avait pas été respecté. Déboussolés, ils incriminent à juste titre la plate-forme Campusen et le MESR. Les dégâts sont notoires car des bacheliers prédisposés à des filières scientifiques se sont retrouvées dans des filières littéraires et, pire encore, à l’université virtuelle qui n’est qu’une supercherie.
Pour ne pas conclure
Il faut donc rappeler aux Sénégalais que retirer à l’université son autonomie équivaut à retirer à la nation sa lucidité, son sens critique et sa capacité prospective. Détruire les libertés académiques c’est dévoyer l’université, désorienter son projet critique et sa capacité de formation des élites; c’est aussi hypothéquer la souveraineté de la nation. C’est en ce que cette lutte n’est pas seulement l’affaire des universitaires, mais de toutes les forces vives de la nation.