PROCÈS DE LA TRANSHUMANCE : UN VRAI FAUX DÉBAT

«Transhumance vient du latin trans (de l’autre côté) et humus (la terre, le pays). Elle est définie comme la migration périodique, d’une part du bétail (bovidés, cervidés, équidés et ovins) de la plaine vers la montagne ou de la montagne vers la plaine, d’autre part des abeilles d’une région florale à une autre, et ce en fonction des conditions climatiques et donc de la saison», dit Wikipedia.
Le concept de transhumance, jadis utilisé pour le déplacement des troupeaux, est aujourd’hui emprunté pour décrire le mouvement des politiciens, d’un parti politique vers un autre et particulièrement vers celui qui est au pouvoir.
J’ai dit, il y a près d’une semaine, que les hommes politiques sénégalais ont la manie de ne jamais poser le vrai débat. Ils le tronquent, le biaisent et tentent ainsi de divertir leurs semblables avec de vrais faux débats.
J’ai suivi, depuis maintenant une semaine, et-pour dire vrai bien avant, le faux débat sur la transhumance politique. Curieusement, le débat se déroule entre deux parties : l’Alliance pour la République (au pouvoir) et les autres (qui veulent conquérir le pouvoir). Il est de coutume que tous nos débats politiques tournent autour du triptyque : comment conquérir le pouvoir ? Comment le conserver ? Et comment le quitter, en cas de force majeure ?
Les vices du débat sur la transhumance politique sont nombreux, mais il sied d’en circonscrire certains qui me paraissent plus flagrants : Quand on décrit la transhumance politique comme le déplacement vers d’autres prairies, cela veut dire que l’on considère le pouvoir comme une prairie. Malheureusement, un pareil entendement est assez fréquent au Sénégal. Certains convoquent même le gâteau, voire la sinécure, en parlant du pouvoir.
En effet, l’action politique est souvent perçue, ici au Sénégal, comme une activité purement commerciale pour ne pas dire mercantile. Cette perception est accentuée par le comportement quotidien des acteurs de la classe politique.
A partir du moment où l’on considère le pouvoir comme une prairie, on est soi-même hors du champ de la perception correcte du pouvoir.
Que l’on soit dans la prairie la plus fournie ou dans une autre moins fournie, on reste assimilable à un troupeau de bétail.
-L’autre vice réside dans la configuration des partis politiques au Sénégal. Les 250 partis politiques que compte le pays ne reflètent guère des postures idéologiques. Je ne pense pas qu’il y ait quelque part dans notre univers où il existerait plus de 200 idéologies.
Pour dire que nos partis politiques ne fonctionnent pas sur des bases idéologiques nettes. Ainsi, les alliances politiques de 2000 autour du régime de Me Abdoulaye Wade et celles de Benno bokk yaakaar, en 2012, autour du Président Macky Sall, tous deux libéraux, indiquent que la plupart des chefs de parti qui les ont rejoints sont les premiers à fouler au pied les considérations idéologiques d’antan.
-Le troisième vice est que l’actuel faux débat sur la transhumance ne semble pas prendre en compte le caractère patrimonial des partis politiques au Sénégal. Nous sommes tous d’accord sur l’absence de démocratie interne au sein des partis politiques. Le chef de parti, qui en est souvent le fondateur, décide de manière solitaire des orientations du parti et de ses alliances. Quiconque tenterait de s’y opposer se verrait exclure de cette formation. Les exemples sont nombreux...
Dans la plupart des cas, la transhumance des partis se fait sur simple décision de son propriétaire (le chef), dont le récépissé porte souvent le nom et l’adresse. C’est pour cette raison qu’il ne faille pas occulter la transhumance des partis et des mouvements politiques, souvent enveloppée sous le manteau d’alliance, en faveur de la transhumance des individus, de loin, moins importante.
Analysée sous cet angle, l’on comprend bien pourquoi le Ps et le Pds, qui hier ont prôné et pratiqué l’apologie de la transhumance, la vouent aujourd’hui aux gémonies. La transhumance politique au Sénégal est comme les fonds politiques. Une pratique que l’on condamne et combat quand on est en posture de conquête du pouvoir, et que l’on défend avec véhémence une fois le pouvoir conquis.
Cela, pour dire que ceux qui condamnent aujourd’hui la transhumance le font non pas pour des raisons d’éthique ou de morale, mais par pur opportunisme politique, autrement dit, par instinct de conservation de leurs pauvres militants. N’ayant plus rien à offrir, ils se savent perdants d’avance dans une vente aux enchères de militants. A contrario, celui qui détient le pouvoir a tout intérêt à une recomposition des forces politiques.
C’est quoi le vrai débat ?
Dans une démocratie en marche, l’on ne devrait pas prôner les nominations à des postes de responsabilité d’Etat sur des bases partisanes. Tous les citoyens étant égaux, dans un Etat de droit, devant les opportunités émanant de l’Etat. Par exemple, les nominations à des postes étatiques ne devraient obéir qu’à des critères de compétence et du mérite. Les structures politiques peuvent conquérir le pouvoir, mais elles n’ont pas le droit de le confisquer pour leurs seuls militants ou sympathisants.
Au Sénégal, le pouvoir ne s’exerce pas de manière à permettre à tous les citoyens d’avoir égale chance à l’accès aux fonctions que l’Etat attribue. C’est malheureux que notre perception du militantisme soit, elle aussi, mercantile. Il est fréquent d’entendre de prétendus grands intellectuels s’apitoyer sur le sort de militants du parti au pouvoir qui ne soient pas encore «casés» ; comme si on milite dans un parti pour qu’une fois arrivé au pouvoir, on se réserve la partie la plus fournie de la prairie.
Une telle vision ne permettra à aucun Etat de se développer. D’où, les vrais démocrates devraient combattre de telles perceptions. Car c’est là l’unique manière de faire disparaître la transhumance politique, le «larbinisme» politique ainsi que le culte de la médiocratie.
Tous les chefs de parti politique qui ont pris la parole dans ce faux débat pour fustiger la transhumance l’ont pourtant pratiquée dans le passé ; soit au nom de leur parti soit à leur nom personnel. Pourquoi alors la refuseraient-ils aujourd’hui à d’autres individus ? Sûrement, parce que chacun d’eux voudrait négocier un jour l’accès aux prairies, au nom et sur le dos d’un troupeau encore plus nombreux...