SAËR SECK RÉCLAME LA TÊTE DE KHOURAÏCHI THIAM
PÊCHE ILLICITE
150 milliards de FCFA de perte annuelle, c’est le préjudice que subit le peuple sénégalais a cause de la pêche illicite. L’ancien ministre Khouraïchi Thiam indexé lors de son passage au ministre de l’Economie maritime a cautionné des pratiques inavouables sous l’aile de l’ancien président Abdoulaye Wade. L’opacité a été quasi-totale entre 2010 et 2012 dans la gestion de la pêche maritime.
L’arraisonnement de l’Oleg Naydenov le bateau russe surpris entrain de piller les eaux sénégalaises a permis aux nouvelles autorités de rompre avec un passé nébuleux. Cette affaire prend la tournure d’un bras de fer entre la Fédération de Russie qui s’indigne de l’attitude du gouvernement sénégalais, la Guinée Bissau qui réclame ses marins et le Sénégal disposé à faire la lumière sur les mauvaises pratiques dans la pêche illicite. La Gazette vous plonge avec la collaboration de l’Ong Green Peace dans un scandale sans nom où Saër Seck le patron du Groupement des Armateurs et Industriels de la pêche au Sénégal réclame sans ambages la tête de l’ancien ministre KhouraÏchi Thiam et un durcissement du code de la pêche au Sénégal
Le pillage orchestré des eaux sénégalaises par Khouraïchi Thiam
Khouraïchi Thiam a joui de la protection de l’ancien président de la République Abdoulaye Wade, quand il dirigeait le Ministère de l’Economie maritime. Cela lui a permis de détourner des sommes faramineuses évaluées à près de 7,5 milliards de dollars selon l’Ong Green Peace. Cela dans le cadre de l’octroi des licences de pêche. Ce scandale est bien connu des Sénégalais ; ce qu’ils ne savaient pas, ce sont les montants qui ont été distraits. Des voix s’élèvent pour dire qu’à la vérité, le calcul des sommes détournées ne sera pas aisé. Car il y a d’un côté les captures licites qui ont fait l’objet d’une déclaration au niveau des services de pêche ; et, de l’autre, le pillage des bateaux de pêche qui s’en sont donné à cœur joie dans les eaux sénégalaises. Cette affaire a resurgi à la suite de l’arraisonnement du bateau russe Oleg Naydenov appartenant à la société Phoenix en Russie.
L’Oleg Naydenov a été arraisonné samedi dernier par les militaires sénégalais, ce qui a déclenché une tempête à Saint Petersbourg où Iouri Parchev, directeur exécutif de Phœnix, société propriétaire du navire, a ameuté les médias. Interrogé sur «La voix de la Russie» Parchev a indiqué que «le navire a jeté l’ancre à Dakar à 04h00 heures de Moscou (00h00 UTC). Les militaires du Ferlo qui ont escorté le bateau ont cédé leur place à la police maritime. Les membres d’équipage, Russes et Bissau-guinéens, se sont vu confisquer leurs passeports». C’est à 46 miles de la côte Bissau-guinéenne que le bateau russe a été arraisonné après avoir été localisé grâce à un avion français.
L’équipage du bateau est composé de 62 Russes et 20 citoyens de Guinée-Bissau. Le bateau a été surpris en train de pêcher illégalement dans les eaux sénégalaises. Une assertion qui a été faite par l‘agence fédérale russe pour la pêche (Rosrybolovstvo) qui a souligné que l’équipage du navire respectait les normes internationales. Selon la radio « la Voix de la Russie », les informations officielles sur les raisons de la suspension du navire n’ont pas été communiquées et les Russes pêchaient dans les eaux de pays voisins, notamment la Guinée-Bissau, en ayant une licence. Le commentaire qui a suivi cette déclaration est que les autorités africaines sont corrompues et laissent à penser que c’est parce que les Russes n’auraient pas payé les droits de licence que leur bateau a été arraisonné.
Oleg Naydenov au cœur du scandale
A la vérité, l’Oleg Naydenov est un multirécidiviste comme le souligne un rapport de l‘Ong Green Peace. Aux mois de février et mai 2012, il avait déjà été repéré pêchant dans les eaux sénégalaises. Dans son rapport intitulé «Main basse sur la Sardinelle», l’Ong Green Peace indique qu’en mars 2010, un de ses navires, l’Arctic Sunrise, observe quatre chalutiers pélagiques géants dans les eaux du Sénégal. Il s’agit de trois navires russes : le Oleg Naydenov, le Kapitan Bogomolov et le Mikhail Verbitskiy, tous armés par la Murmanskiy Trawl Fleet, plus un autre navire non identifié. Le Oleg Naydenov, en particulier, est observé le 17 mars 2010 par l’équipage de l’Arctic Sunrise remontant précipitamment ses filets au large de l’embouchure du fleuve Casamance. Le nom du navire est dissimulé sous une bâche plastique, ce qui constitue une infraction au regard de la Loi sénégalaise.
Dans un premier temps, le Ministère de l’Economie Maritime (MEM), en charge de la pêche, déclare ne pas être au courant de la présence de ces chalutiers et suggère qu’ils doivent se livrer à des activités de pêche illégale. En réalité, le ministre, Khouraïchi Thiam, vient de signer, le 4 mars 2010, une série d’Arrêtés définissant «les conditions d’exercice dans les eaux sous juridiction nationale » d’au moins quatre «navires pélagiques côtiers » : le Mikhail Verbitskiy et le Volopas, d’une part, «affrétés par la Société Sénégalaise IH de pêche (SO.SE.IH) » ; le Coral et le Talisman, d’autre part, «affrétés par la Société atlantique de pêche s/c Copelit Afrique».
Cette démarche de l’ancien ministre a été fortement combattue par la coalition de la pêche. L’ancien Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye, qui a voulu que le dossier des Russes se joue dans la transparence, n’a pu obtenir gain de cause face à son ministre de l’Economie maritime. Souleymane Ndéné Ndiaye avait demandé à Khouraïchi Thiam de réunir, fin 2010, la Commission consultative d’attribution des licences de pêche au préalable, avant de délivrer des licences aux bateaux russes. Les demandes de licences sont à nouveau présentées sous la forme d’affrètements, pour un total de 11 chalutiers. La Commission consultative rejette ces demandes à l’unanimité, au motif «que les demandes ne répondent pas aux conditions d’affrètement de navires battant pavillon étranger, fixées par les articles 23 et 24 du Décret d’application du Code de la Pêche maritime».
En 29 décembre 2010, le Premier ministre instruit à nouveau son ministre «de bien vouloir suspendre immédiatement l’octroi d’autorisations de pêche » à quatre autres chalutiers battant pavillon bélizien, dont le cas n’avait pas été soumis à l’avis de la Commission consultative. Khouraïchi Thiam sollicite alors le président Abdoulaye Wade, qui désapprouve son Premier ministre. Par courrier daté du 1er mars 2011, le Président «marque [son] accord pour l’établissement d’autorisations de pêche de ressources pélagiques».
Fort du soutien du président de la République, le ministre signe au moins 11 Protocoles d’autorisation au bénéfice de 4 «consignataires», Fouad Nouasser, Hassan Sendrissi El Idrissi, Mbaye Malick Ba et Ahmed Mouknass, qui servent d’intermédiaires pour le compte des armateurs de 21 chalutiers. Le Groupement des Armateurs et Industriels de la Pêche (GAIPES), les associations de pêcheurs artisanaux et autres syndicats de la pêche industrielle dénoncent l’opacité au niveau du ministère. Des journées d’action sont organisées à Dakar et à Mbour.
La pression des acteurs nationaux et de l’Union Européenne est telle que Abdoulaye Wade use de subterfuges. En février 2011, le gouvernement du Sénégal et la fédération de Russie discutent d’accords généraux de coopération. C’est le ministre des Affaires Etrangères de l’époque, Madické Niang, qui part à Moscou. Un «communiqué conjoint» évoque la signature «d’un accord établissant les principes de coopération en matière scientifique, technique et économique entre les deux pays.
L’accord permet également de mettre en œuvre immédiatement, les dispositions prévues en ce qui concerne la formation des Sénégalais en Russie, la surveillance satellitaire et l’envoi d’un bateau russe pour des opérations de recherche avec des chercheurs sénégalais. Nulle part ne figure dans le communiqué la question d’un éventuel accès aux ressources halieutiques par des navires russes. Le seul résultat concret à la signature de cet Accord aura été, à ce jour, l’instauration d’une «Commission mixte Sénégal-Fédération de Russie en matière de pêche», réunie pour la première et dernière fois les 28-29 mars 2011 à Dakar.
La question d’un accès dans les eaux sénégalaises en 2012 y est abordée, à la demande de la partie russe où les armateurs de chalutiers pélagiques sont représentés en force. La partie sénégalaise y oppose une fin de non-recevoir, «précisant que le contexte social actuel ne permet pas, dans l’immédiat, l’octroi de possibilités de pêche. L’Agence fédérale russe des Pêches et le DG de la Murmanskiy Trawl Fleet feront pourtant référence, abusivement, à cet Accord pour tenter de légitimer la présence de leurs navires au Sénégal en 2012 avec le scandale de l’Oleg Naydenov.
De la désinformation venant de l’Agence fédérale russe. Une attitude qui s’explique par la volonté de ce pays de piller les ressources halieutiques africaines et plus particulièrement sénégalaises. Du début des années 90 à nos jours, en effet, les scandales sur la pêche illicite font florès. Autant sous les socialistes et plus particulièrement avec les libéraux, les associations de pêcheurs n’en finissent pas de dénoncer les Russes, les Ukrainiens et les gens de Bélize, qui raclent au quotidien les mers sénégalaises.
Les recommandations de Green peace pour le gouvernement du Sénégal
L’annulation, au 30 avril 2012, des autorisations de pêche industrielle pélagique côtière aux chalutiers étrangers est une mesure d’urgence qui va dans la bonne direction. Elle procède de la stricte application du droit, bafoué au cours des dernières années, et correspond aussi à la nécessité de préserver une ressource dangereusement surexploitée, vitale pour l’économie de la pêche et la sécurité alimentaire des Sénégalais.
Toutefois, cette décision encourageante doit être complétée par d’autres mesures urgentes ou de plus long terme, visant à mettre fin au règne de l’impunité, à recouvrer au bénéfice de l’État les montants indûment accaparés par certains individus et à mettre en place les conditions minimales d’une gestion durable de la pêcherie. Il est manifeste, en effet, que les chalutiers étrangers n’ont pas eu accès à un stock excédentaire, mais au contraire à un stock déjà surexploité, dans un contexte où la question d’une surcapacité de la flotte artisanale fait déjà débat. Sur la lutte contre l’impunité, l’Ong propose de diligenter un audit de l’Inspection générale de l’Administration et saisir la commission nationale de lutte contre la corruption, sur les conditions d’attribution des autorisations illicites, ainsi que sur la destination des compensations financières versées par les armateurs.
Il s’agira, d’autre part, de solliciter la collaboration judiciaire des États Pavillonnaires, de la Commission européenne et des autorités bancaires appropriées et d’engager les poursuites judiciaires appropriées par la «Cour de Répression contre l’Enrichissement Illicite» à l’encontre des personnes impliquées dans le pillage organisé des eaux sénégalaises. Green Peace appelle à inscrire les navires et sociétés impliqués sur un registre national INN ou liste noire, et communiquer ces informations aux autorités tierces appropriées (États de la sous-région, États pavillonnaires, Commission européenne, notamment).
Sur le recouvrement des amendes non perçues et des éventuelles commissions et rétro-commissions sur les droits de pêche. Par ailleurs, l’établissement de compte précis des amendes annulées de façon illicite et du manque à gagner pour l’Etat dû à la sous-évaluation des droits de pêche et au versement d’éventuelles commissions et rétro-commissions. Les procédures judiciaires appropriées afin de recouvrer ces sommes devront être engagées et la mise en place des conditions minimales d’une gestion durable de la pêcherie. Adopter un moratoire sur l’octroi de toute licence de pêche industrielle pélagique côtière à des chalutiers étrangers, y compris dans le cadre d’un éventuel Accord de pêche bilatéral. Le maintien en l’état de l’article 16 du Code de la Pêche qui restreint l’octroi de ce type de licence est proposé tout autant que le renforcement des moyens de surveillance, contrôle et arraisonnement, et actualiser les barèmes de sanction.