UNE VOITURE SANS MOTEUR ?
LE SÉNÉGAL SANS LA FRANCE
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Entre le régime du président Macky Sall et la République française on peut assurément affirmer que c'est le grand amour. Tout le contraire de son prédécesseur, maître Abdoulaye Wade dont les relations avec l'ancien colonisateur étaient des plus difficiles pour ne pas dire... heurtées. Les deux hommes n'ont pas la même idée du rôle de la France dans ses anciennes colonies en Afrique et c'est ce qui explique sans doute leur différence d'approche.
Abdoulaye Wade, anticolonialiste notoire, s'est battu en compagnie de toute l’intelligentsia africaine de son époque pour une indépendance totale du continent. Son panafricanisme a pour soubassement un nationalisme profond qui appelle à une diversification de nos partenaires afin d'échapper au contrôle subtil de nos pays par l'ancienne puissance coloniale.
Celle-ci, en accordant l'indépendance à ses colonies d'Afrique avait continué, en effet, à exercer sur elles son influence politique et économique tout en les surveillant — sans avoir l'air d'y toucher — par le maintien de bases militaires sur leurs territoires. C'est le schéma que combattaient les nationalistes africains qui avaient perçu que cette décolonisation n'était qu'un leurre.
Car, derrière les indépendances très gentiment octroyées aux Africains, se cachait une volonté de la puissance coloniale de contrôler et d'exploiter les richesses des pays colonisés tout en économisant sur la part de budget consacrée aux fonctionnaires français des colonies.
C'est ainsi que le slogan "moom sa rew" (ton pays t'appartient !) a été lancé par des nationalistes comme les partisans du Pai (Parti africain de l’Indépendance) de feu Majmouth Diop pour réaffirmer la primauté des intérêts nationaux des Africains sur les velléités de colonisation indirecte de la France.
Mais même s'il n'était pas du même bord que les communistes qui revendiquaient la réappropriation de notre territoire dans son entièreté, de notre souveraineté politique et de notre identité culturelle, Wade poursuivait le même combat qu'eux.
D'où sa proximité avec des icônes comme Amath Dansokho ou Abdoulaye Bathily. Le combat contre cette forme de recolonisation a été un des points d'orgue de la conquête du pouvoir par tous les opposants aux régimes socialistes de Senghor puis de Diouf qui étaient accusés de perpétuer une sorte de jeu de dupes — au détriment des peuples africains bien sûr — orchestré depuis Paris et mis en œuvre par des présidents qui se comportaient plutôt comme des administrateurs des intérêts français.
Wade est donc arrivé au pouvoir avec ses idées nationalistes et anti-coloniales. Il a ainsi tenté, tout au long de ses deux mandats, de matérialiser sa volonté de se débarrasser de la tutelle trop pesante de la France. Il en avait bien mesuré les conséquences car il avait été témoin de la mise à l’écart, par la ruse ou par la force, de tous les chefs d’Etats africains qui ont tenté de s’émanciper unilatéralement de la mainmise de Paris. Laquelle s’exerçait jusque, par moments, dans leurs positions diplomatiques.
C’est donc avec une prudence mesurée que le président Wade a entrepris la «défrancisation» de notre pays, même s’il restait déterminé à y parvenir. Il commencera en diversifiant d’abord nos partenaires traditionnels. Les pays arabes du Golfe, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du sud, la Corée du Sud, la Malaisie, l’Iran le Venezuela… étaient invités à nouer de meilleures relations de partenariat avec notre pays afin de mieux s’imprégner des potentialités de l’Afrique de l’ouest, tandis que les entreprises françaises se sentaient de plus en plus à l’étroit car elles recevaient de la concurrence de partout.
Certaines étaient d’ailleurs obligées de mettre la clef sous le paillasson tandis que d’autres préféreront aller voir ailleurs, les plus intrépides mais les plus farouchement attachées aux privilèges et avantages naguère obtenus sous la vraie « Françafrique » opposeront de la résistance.
Le cas de Bolloré est assez illustratif des rebuffades des entreprises françaises victimes de la volonté d’ouverture de Wade. « Chassé » du port de Dakar par une manœuvre subtile du président Wade qui avait pris langue avec les puissances financières du Golfe et ouvert les portes du Sénégal à Dubaï Port’s World (une entreprise qui, soit dit en passant, est le troisième opérateur portuaire mondial, présent sur 49 terminaux parmi les plus performants au monde, y compris les plus grands ports européens (voir liste en encadré), le puissant magnat français est revenu par la fenêtre en s’emparant du terminal roulier du Port autonome de Dakar.
Pourtant ce groupe, présent au port de Dakar depuis 1926, n’y avait jamais investi aucun franc, jusqu’à son départ en 2007, après plus de 80 années de présence. Après avoir perdu donc ses avantages pour cause de performances nulles pour l’économie sénégalaise, Bolloré s’est rebiffé dès la chute de Wade.
On ne sait pas dans jusqu’à quel point les vacances de Sarkozy sur son yacht privé ont compté sur les décisions du nouveau régime sénégalais mais, toujours est-il que dès son élection, Macky Sall s’est empressé de casser la décision de Wade et a lancé un nouvel appel d’offres pour une partie du port de Dakar (le terminal roulier) et l’aménagement d’autres môles, dont le bénéficiaire est Français et se nomme Bolloré. La rupture qu’il prônait venait de se manifester, pour les libéraux, comme un acte d’allégeance à l’égard de la France honnie.
Et les Sénégalais, forts de leur histoire pré et post-coloniale marquée par une forte résistance, intellectuelle surtout, n’ont jamais compris la démarche du président Macky Sall face à la France. Car au-delà du retour de géants de l’économie française, force est de reconnaître que, depuis son installation à la tête du pays, le président Macky Sall semble ramer à contre-courant de cet idéal anticolonialiste qui avait guidé toutes les actions de Wade.
Dès après sa prestation de serment, en effet, le président Sall s'est empressé, contre toute logique nationaliste, de signer de nouveaux accords militaires avec la France. Son prédécesseur, Abdoulaye Wade, venait pourtant de congédier proprement l'armée française quelques mois seulement auparavant en rompant de manière spectaculaire les accords secrets que la France avait conclus avec le Sénégal naissant sous Senghor.
Mais Wade, pour ne pas s'attirer les foudres de l'ex-puissance coloniale, ne parlait qu'à mots couverts de sa volonté de rompre les accords militaires jusqu'au jour où le président Sarkozy, par imprudence, annonça depuis le Gabon son intention de réduire la présence militaire française en Afrique. Le prenant au mot, le président Wade avait alors décidé de récupérer, pour l'usage de l'Etat et des citoyens sénégalais, la totalité des terrains occupés par l'armée française sur notre sol.
Ce geste avait occasionné un formidable élan de fierté populaire auprès des Sénégalais qui, hors les accointances de Wade avec de nouveaux partenaires comme l'Inde, le Brésil ou encore le Venezuela et l'Afrique du sud, avaient apprécié ses positions courageuses contre les puissances occidentales, notamment sur les questions de la dette de l'Afrique ou l'absence totale d'investissements productifs dans nos pays par les sociétés françaises qui s'étaient implantées du temps de la colonisation et qui sont restées après les indépendances, sous la protection politique et militaire de leur pays. Ces entreprises françaises, de leur gré ou non, avaient pour mission secondaire de perpétuer la domination coloniale en contrôlant toutes nos économies.
L'exemple de Bolloré avec le port de Dakar revient en force et inquiète les patriotes sénégalais. Car toutes les activités de manutention, de consignation, de transport et de transit étaient entre ses mains depuis près de 100 ans et, pendant ce presque siècle, elle n’a pas investi un seul franc au bénéfice de notre pays. Elle revient en laissant aux entreprises nationales les seules activités de transit en s’accaparant encore une fois du transit et de la manutention naguère réservées à nos nationaux.
Inutile de parler de l’affaire de Necotrans et des nouveaux accords de pêche qui polluent l’atmosphère de notre pays depuis plusieurs semaines pour le peu d’intérêt qu’ils offrent à notre économie nationale, doux euphémisme pour parler du pain que ces toubabs ôtent de la bouche de nos « goorgoorlous » qui comptent sur le Port de Dakar pour avoir leur place au soleil.
Aussi, en y regardant de plus près, il est fort tentant de faire le rapport entre les décorations que la France a accordées à des personnalités sénégalaises dès après l’élection de Macky Sall alors que ces messieurs dames n’ont jamais vraiment rien fait pour la France, sauf que certains travaillaient pour des sociétés de l’Hexagone. Mis à part le président de la République qui a été décoré par Paris alors qu’il venait juste de quitter le Pds, Abdoul Mbaye, Amadou Kane, Mimi Touré, entre autres ont reçu les honneurs de la France qui les a élevés aux plus hautes distinctions de la Marianne.
Abdoul Mbaye et Amadou Kane travaillaient pour des banques françaises, Mimi Touré était employée dans des Ong dont la France est l’un des plus grands bailleurs. Honni soit qui mal pense de ces récompenses octroyées à tous ceux qui ont contribué à punir Abdoulaye Wade d’avoir voulu faire du Sénégal le Sénégal sans la France. Dans tous les cas, nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge.
Car, pour parodier un défunt président africain qui caractérisait les relations de son pays avec l’ancien colon : Le Sénégal sans la France est une voiture sans moteur, mais la France sans le Sénégal est une voiture sans tableau de bord. Pour dire que le monstre dénommé « Françafrique » est plus vivant que jamais.