LA NOUVELLE LOI BANCAIRE ET LES PME
L’état du Sénégal est en passe de voter, à l’Assemblée nationale, de nouveaux aménagements de la loi bancaire s’appliquant aux établissements de crédit exerçant leur activité sur le territoire de l’Union monétaire ouest-africaine.
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L’état du Sénégal est en passe de voter, à l’Assemblée nationale, de nouveaux aménagements de la loi bancaire s’appliquant aux établissements de crédit exerçant leur activité sur le territoire de l’Union monétaire ouest-africaine.
Encore une réformette de l’Umoa serions-nous tenté de dire, dans un contexte de rejet, par la jeunesse, du système économique et monétaire actuel dont la particularité, après 70 années de fonctionnement, est son échec à impulser un développement économique créateur d’emplois.
Ces pays sont enfoncés dans le classement des pays les moins avancés ou à faible indice de développement humain selon l’organisme en charge de la classification.
Les Etats sont caractérisés par des performances de croissance économique erratique et généralement à 1 chiffre n’ayant pas d’effet d’entraînement notable sur la transformation structurelle des économies.
Une politique monétaire axée sur un franc Cfa fort, du fait de son arrimage à l’euro, n’a pas impulsé le développement des économies africaines en 75 années, faute de compétitivité sur le plan international, les spécialisant dans l’importation tous azimuts et l’exportation de produits primaires non transformés.
Faute de consistance des revenus des produits de base exportés et sans aucune maîtrise sur leur prix de marché, nos pays sont dans l’impossibilité de faire face aux déficits budgétaires, encore moins au remboursement de la dette extérieure, ce qui les classe en général parmi les «pays pauvres très endettés de la planète».
De surcroît, la sous-valorisation des produits de base exportés contraint les Etats à «emprunter pour payer la dette» (cavalerie financière) et à faire l’impasse sur des dépenses budgétaires essentielles de santé et d’éducation, faute de revenus exports suffisants.
Les principaux aménagements de cette nouvelle loi que nous avons identifiés à l’appui de cette contribution, sont : la création de nouvelles dispositions encourageant les établissements de crédit à financer les Pme et les particuliers, la mise en application rigoureuse des normes règlementaires «prudentielles» issues de Bâle II et III afin de rendre le système bancaire plus «robuste», la mise en place d’un dispositif préventif de gestion des crises bancaires, et enfin la régulation des entreprises de technologie financière (Fintech) et de monnaie électronique.
Rappelons que le Comité de Bâle a été créé en 1974 par les dix principaux pays industrialisés, avec comme objectif de renforcer la solidité du système financier mondial par une surveillance bancaire régulière via des normes prudentielles appliquées à leurs activités et à leur structuration propre, dans le souci de prévenir les faillites de banques.
La question transversale qui nous interpelle d’emblée, est de savoir comment concilier la volonté de renforcement de l’actuel dispositif règlementaire (Bâle 1, 2, 3 et bientôt 4) appliqué aux banques de la zone F Cfa et l’accès des Pme au crédit dont on sait qu’elles sont évincées du fait même de ces dispositions ?
Le dispositif prudentiel était déjà considéré comme oppressif pour les banques en matière de distribution de crédit ; l’application stricte des normes de Bâle 2 et 3 non seulement ferait apparaître des cas de non-conformité nécessitant des restructurations en fonds propres, mais encore se traduirait par la diminution du volume global des crédits «risqués» comme ceux accordés aux Pme.
Bâle 4 serait en préparation pour être appliqué aux banques européennes en 2025.
Ses dispositions, particulièrement en matière de renforcement du capital des banques (estimé à près de 50% de leur niveau actuel), pourrait conduire à la rareté de la création de banques, mais surtout à la disparition de banques africaines ne disposant pas d’un actionnariat solide ou alors non affiliées à des groupes susceptibles de leur fournir un «back up financier» solide pour leur mise en conformité.
Pour notre part, nous considérons que la règlementation de Bâle est une course-poursuite entre les banques européennes exposées aux risques inhérents aux marchés financiers et un surveillant bancaire (le Comité de Bale) soucieux de veiller à l’intégrité du système bancaire exposé aux risques de faillite.
Des crises bancaires systémiques se sont produites depuis 2008 (crise des subprimes, faillite de la Silicon Valley Bank et du Crédit Suisse racheté in extremis par l’Union des banques suisses), induisant davantage de normes de surveillance en réaction.
Ces normes tournent essentiellement autour du renforcement des fonds propres de banques en vue de l’absorption éventuelle des pertes générées par l’octroi de crédits non performants ou des opérations sur titres hasardeuses.
Pour ce qui concerne la zone Uemoa, le marché financier étant peu profond, l’exposition à ces risques sont réduits avec la surveillance étroite exercée par la Commission bancaire sur les banques.
En effet, depuis le milieu des années 80, il n’a pas été enregistré de faillite de banque à notre connaissance.
Toutefois, les taux de croissance économique enregistrés dans la zone depuis cette période n’ont pas impulsé un développement économique qu’aurait permis la transformation structurelle des économies.
A notre sens, cette volonté de s’ancrer dans les règles de Bale, tout en apportant des aménagements à la loi bancaire, montre en réalité que la Bceao est au centre d’objectifs divergents.
Mettre en œuvre une politique monétaire visant la stabilité du couple F Cfa/Euro sur le marché des changes, appliquer des normes de rigueur aux banques dont l’effet est de circonscrire le risque de crédit Pme et de pousser les banques à s’orienter vers les opérations sur titres ou de trésorerie, privilégient assurément la stabilité monétaire au détriment du développement économique.
Après avoir encouragé la création d’institutions de microfinance et d’établissements de crédits généralistes voilà 30 ans (1995), les nouveaux aménagements semblent indiquer un retour au secteur bancaire pour financer les Pme.
Il a été établi par des audits que le faible développement des institutions de microfinance dont les mutuelles constituent la majorité (en nombre), tient à des questions de gouvernance dans les organes de direction (Conseil d’administration, crédit, contrôle), mais aussi à la faible capacité de ces institutions à couvrir les besoins financiers exposés par les Pme, et enfin au déficit de contrôle de la part de la tutelle (ministère chargé des Finances).
Au total, ces institutions n’ont pas connu, depuis 30 années, de développement en termes de volumes de crédits distribués, et semblent de plus en plus orientés vers les «micro-entreprises» centrées dans des activités à faible revenus, relevant davantage de la «lutte contre la pauvreté».
Les autres établissements financiers à caractère bancaire pêchent pour la plupart par une stagnation de leur portefeuille commercial, à relier à leur taille (réseau), à la faible diversité des services qu’ils fournissent à leur clientèle, mais aussi à l’absence d’affiliation à un actionnariat ou groupe pouvant assurer du refinancement.
Paradoxalement, ces établissements sont concurrencés par les banques commerciales qui les supplantent dans la «chasse» aux dépôts d’épargne du secteur informel (cuir, maroquinerie, chaussure, bijouterie, tissus transformés etc.).
Alors, quels types d’institutions financières spécifiques aux Pme ?
Les banques commerciales classiques sont exclues du schéma.
Après 3 générations de normes prudentielles renforcées, les banques commerciales s’éloignent progressivement des secteurs des prêts à risque, pour privilégier l’immobilier, les opérations de prêts aux banques sur le marché monétaire et aux Etats sur le marché financier des titres publics.
Les normes prudentielles appliquées aux banques, calquées sur l’Europe, poussent les banques à octroyer des crédits à une clientèle sûre, couverts par des garanties indiscutables (même les garanties foncières ne suffisent plus avec la gestion qu’impose la Banque centrale en matière de traitement comptable des adjudications d’immeubles) et surtout à faire des opérations de trésorerie sans risque.
On le constate d’ailleurs à la lecture des comptes d’exploitation bancaires, à travers lesquels on voit bien que la composition de la marge bancaire globale est de plus en plus dépendante des opérations de trésorerie (opérations sur le marché monétaire interbancaire et sur le marché des titres publics), au détriment du corps de métier originel (transformation des dépôts des clients en prêts à d’autres clients générant une marge d’intermédiation).
Les banques commerciales (ou banques de dépôts) sont des entités privées qui agissent, en définitive, dans l’intérêt de leurs actionnaires, soucieux d’un retour sur capital investi via des dividendes substantiels.
Si la robustesse des banques vantée en Umoa se limite à leur santé financière pour la satisfaction d’actionnaires privés en attente de dividendes substantiels, le développement économique via les Pme n’y trouve pas son compte.
Les Etats, de plus en plus orientés par la Bceao sur ce marché des titres, les intègrent comme «levier» pour leurs levées de fonds sur le marché international (financements des infrastructures publiques, couverture des déficits budgétaires et «reprofilage» de leur endettement extérieur global), participent de la rareté du crédit aux entreprises.
Dans un contexte de surveillance stricte de l’évolution de la masse monétaire en circulation, cette éviction, de fait, des entreprises du crédit bancaire au profit de l’Etat devrait, à notre sens, inspirer de nouvelles réformes de l’institut concernant les Pme, leur accompagnement aux plans financier et organisationnel doit être du ressort des Etats, et par conséquent se traduire par la création d’une banque publique à statut particulier et d’institutions spécialisées en aval pour garantir l’efficacité des concours à accorder en priorité dans les secteurs de l’artisanat de production, d’art et de culture, du digital, au niveau desquels notre pays possède des avantages comparatifs indéniables.
Le gouvernement du Premier ministre Ousmane Sonko nous paraît avoir pris la mesure du contexte institutionnel dont la Bceao est l’institution faîtière, et des enjeux du financement des Pme.
En perspective de la tenue du Forum de la Pme, le Secrétariat d’Etat au développement des Pme-Pmi, l’Agence de développement et d’encadrement des petites et moyennes entreprises (Adepme), des structures de l’administration publique concernées et des institutions financières ont pris l’initiative de constituer un fonds de 3000 milliards de F Cfa à l’horizon 2028 dédié au financement des Pme.
Au-delà de ces partenaires, l’Etat pourrait mobilier le soutien en termes de subventions et de lignes de crédit, d’institutions financières internationales confiantes dans le potentiel des industries artisanale et créatives.
L’organisme de gestion de ces fonds gagnerait à être précisé quant à sa nature et son mode de fonctionnement.
En définitive, les réformes de la Bceao ne sont pas anodines, l’institution supranationale étant le pilier du système économique et monétaire des Etats membres. Dans un monde où les Etats, structurellement déficitaires en ressources budgétaires, sont livrés aux marchés financiers pour leurs besoins de refinancement courts et longs, les Pme n’y trouvent pas leur compte.
La Bceao et les banques soumises à sa réglementation d’une part, et la monnaie F Cfa de l’autre, ne sont pas en rapport dichotomique, mais constituent l’envers et le revers d’un même système monétaire et financier qui n’a pas réussi à transformer structurellement les économies concernées, faute de soutien aux Pme, seules capables d’innovation continue et de création d’emplois décents.
Aussi, la création de banques commerciales tous azimuts venant participer à la collecte des dépôts à vue, à terme et d’épargne doit connaître un terme dans la zone, au profit de l’émergence d’institutions financières tournées vers le développement économique.
C’est la raison pour laquelle nous estimons que l’Etat du Sénégal doit assurer le leadership de la définition d’une autre politique monétaire dans la zone, combinant «stabilité des prix» et «développement économique».
Abdoul Aly KANE