NDONGO SAMBA SYLLA-CHEIKHOU OMAR DIAGNE, L'AXE HÉTÉRODOXE
Ces penseurs marginaux, inspirés par des figures comme Samir Amin, proposent de revitaliser les économies africaines en développant des instruments monétaires alternatifs et en reconnaissant la dimension sociale et politique de la monnaie
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Ils rament à contre-courant courant des idées reçues sur le plan économique. critique du système néolibéral, défenseur d'une vision endogène de la monnaie, Ndongo Samba Sylla et Cheikhou Omar Diagne sont deux hétérodoxes qui refusent la pensée unique. Et lors de la présentation de l'essai Penser la monnaie au service du panafricanisme, écrit par l'ex-directeur des Moyens généraux de la présidence de la république, ils ont eu l'occasion de faire valoir un peu plus leur «indiscipline» intellectuelle, surtout sur la question monétaire.
«Je vais trahir un secret. C'est Ndongo Samba Sylla qui a proposé le titre de l'ouvrage. Parce que moi, j'avais un autre beaucoup plus violent, très violent. Mais Ndongo m'en a dissuadé. Car pour lui, comme c'est le président de la République qui va préfacer le livre, il se devait d'être plus diplomatique», a révélé lors de cette cérémonie de dédicace Dr Cheikhou Omar Diagne, avec un brin d'humour. Mais, même si pour la première fois peut-être, il a «cédé» à la pression de Ndongo Samba Sylla et pour faire plaisir certainement à son «ami», le chef de l'Etat Bassirou Diomaye, force est de dire que Cheikhou Omar Diagne est un polémiste qui assume ses positions. L'iconoclaste chercheur a bâti sa réputation dans l'espace médiatique et sur le plan intellectuel dans sa propension à remettre en cause «les certitudes» de l'État et de la société sénégalaise dans sa marche historique. Cheikhou Omar Diagne est un dissident. Il ne pense pas comme les autres. Il ne veut pas penser comme les autres. Et surtout sur le plan économique où il a une autre approche. Et c'est sans doute la raison pour laquelle, l'auteur d’Herméneutique du rêve entretient une affinité intellectuelle avec Dr Ndongo Samba Sylla, même si leurs méthodes sont différentes. L'auteur avec Fanny Pigeaud de l'Arme invisible de la Françafrique, une autre histoire du CFA, assume aussi sa subversion épistémique. Il met en perspective comme l'écrivain marocain Driss Ksikes «Les chantiers de l'indiscipline», en privilégiant «une mise à distance vis-à-vis des disciplines et des savoirs constitués, pour réserver une latitude d’esprit critique face à ce qui ne tient pas compte des aspects latéraux inconnus ou imprévisibles des réalités abordées». Ce «pas de côté » pour reprendre Driss, qui permet de voir et de sentir davantage que ce qu’autorisent les disciplines académiques et les normes culturelles et sociales instituées. Ndongo Samba Sylla est un provocateur, un agitateur des consciences. Un marginal. Car peu d'économistes osent comme lui sortir des sentiers battus pour critiquer la pensée économique dominante. Influencé par des devanciers comme Samir Amin, il essaie de proposer une alternative à l'existant qui ne le satisfait pas, visiblement. Et lors de la présentation samedi du livre de Cheikh Omar Diagne, Dr Sylla est resté dans cette dynamique. «Dans cet ouvrage, Cheikh Omar Diagne passe en revue l'histoire de l'institution monétaire. Et il passe en revue les théories économiques sur la monnaie. Il ne fait aucune concession à l'économie orthodoxe néoclassique qui est enseignée dans les universités», fait-il savoir tout en se réjouissant du fait que Cheikh Omar Diagne soit un hétérodoxe comme lui.
« Ce qu'on enseigne à nos étudiants, ce sont des plats empoisonnés qui ne leur permettent pas de comprendre l'économie é»
S'exprimant sur la monnaie, Dr Ndongo Samba Sylla avertit : «Ce qu'on enseigne dans les universités, ce sont des fables sur la monnaie, totalement des fables». À l'en croire, il y a même des banques centrales qui ont écrit pour dénoncer cela. La Banque de l'Angleterre, d'après lui, a publié un rapport. «Et ce rapport dit que tout ce qui est enseigné dans les manuels d'économie est faux. Et ça, c'est des choses que les économistes hétérodoxes connaissent depuis longtemps», renseigne-t-il avant d'ajouter : «Ce qu'on enseigne à nos étudiants en économie, ce sont des plats empoisonnés qui ne leur permettent pas de comprendre L'économie. Parce que nous sommes dans des économies monétaires de production. Et ça a été mis en avance par Karl Marx quand il parle AMA' c'est-à-dire Argent, Marchandise pour faire plus de profit. C'est ça le circuit monétaire. Mais les économistes néoclassiques nous disent que la monnaie est une marchandise, qu'un c'est un voile, que ça ne compte pas».À l'en croire, une approche purement économique n'amène pas très loin. Dans le même ordre d'idées, l'ancien enfant de troupe a rappelé que l'Afrique précoloniale est une Afrique du pluralisme monétaire. «Et c'est le colonialisme qui a dégommé tout ça», se désole l'économiste non sans revenir sur l'analyse de Cheikh Omar Diagne sur les monnaies locales complémentaires.
« La monnaie est un levier puissant pour renforcer les communautes à la base »
Pour l'auteur de Scandale du commerce équitable, écrit en 2013, le monde s'achemine vers le pluralisme monétaire. «Et si nous voulons avoir vraiment la démocratie, l'équité. Si nous voulons faire face aux enjeux climatiques, il faut renforcer les communautés à la base . Et la monnaie constitue un levier puissant pour renforcer cela. Et généralement cette préoccupation n'est pas prise en charge par les économistes qui sont toujours dans une perspective étatiste», prône-t-il non sans signaler en outre que ceux qui disent spécialistes comme les banquiers et les universitaires ne connaissent pas souvent la monnaie. Parce qu'ils ont selon lui une approche très limitée. Abondant aussi dans le même sens, l'auteur du livre a commencé son intervention dans la provocation. «Dans une dynamique de revendication de souveraineté linguistique, je vais m'exprimer en wolof », dit-il d'emblée dans un ton taquin mais qui laisse entrevoir manifestement le caractère intellectuellement subversif de Cheikh Omar Diagne. «La question de la monnaie ne doit pas être simplement discutée en français et dans les amphithéâtres par des intellectuels, universitaires et autres. Mais on doit être capable de la rendre digeste voire triviale», explique l'ex collaborateur du chef de l'Etat Diomaye Faye révélant que la question de la monnaie unique est enseignée dans la Bible.
« Combattre l'inflation, c'est combattre le plein emplo i»
S'exprimant sur la situation économique du pays, Dr Diagne souligne qu'il ne fait pas partie de ceux qui croient aux critères de convergence de l’UEMOA. De son avis, il urge de développer une approche de la «dette intelligente». «C'est quoi la bonne dette? Comment s'endetter ? Ce sont les questions essentielles qui doivent être posées sur la dette. Mais les critères de convergence sont une hérésie», s'insurge-t-il. Il estime aussi que l'inflation est un levier économique que tout gouvernement doit utiliser. Car de son avis, combattre l'inflation, c'est presque combattre le plein emploi. «Moi je pense que si on est dans un bon système monétaire, l'inflation ne doit pas poser problème», souligne le chercheur qui tire aussi sur la BCEAO. «La banque centrale n'a aucune utilité. Elle est tout sauf centrale. Elle combat l'inflation. Elle a une mission pauvre. Sa mission est de combattre l'inflation dans un pays en sous-développement», dit-il.
Rappelons aussi que Cheikhou Omar Diagne a battu en brèches certaines propositions du secrétaire du gouvernement Al Aminou Lo sur les mesures à prendre pour redresser le pays. « En écoutant Almine Lo, j’ai visualisé les solutions ratées du FMI en accord avec la Banque centrale dans les années 80. La situation du Sénégal ne nécessite pas de plan d’austérité », trouve-t-il tout en soulignant que l'ex directeur de la BCEAO est sur la mauvaise voie. Il recommande de mettre en place de nouveaux instruments pour redynamiser l’économie, accroître la marge de manœuvre de l’Etat etlibérer par la monnaie, l’économie ignorée au sein des communautés. «Il urge de mettre en cohérence la politique bancaire, fiscale, monétaire et budgétaire», ajoute l'iconoclaste économiste qui comme presque toujours rame à contrecourant de sa chapelle politique.