ABOU SANGARE, PREMIER ACTEUR D’AFRIQUE NOIRE PRIME SUR LA CROISETTE !
Forest Whitaker (Bird, 1988) et Samuel L. Jackson (Jungle Fever, 1991). Avant lui, les archives cannoises, consultables, ne mentionnent que deux précédents «pigmentaires», deux comédiens afros-américains poids lourd du BoxOffice

Il crève l’écran dans l’«Histoire de Souleymane», prix du Jury «Un certain Regard». Il, c’est Abou Sangaré, 23 ans, originaire de la Guinée-Conakry, mécanicien de formation, le métier qu’il rêve d’exercer quand son pays d’accueil, la France, «débloquera» le titre de séjour d’un «sans-papiers» désormais auréolé d’un prix d’interprétation par le plus grand festival de cinéma du monde.
Forest Whitaker (Bird, 1988) et Samuel L. Jackson (Jungle Fever, 1991). Avant lui, les archives cannoises, consultables, ne mentionnent que deux précédents «pigmentaires», deux comédiens afros-américains poids lourd du BoxOffice. Ce qui fait de Abou Sangaré, acteur non professionnel, le premier Africain noir, né sur le continent, à recevoir un prix d’interpréta[1]tion sur la Croisette au sein d’un festival créé voilà 78 ans qui aura récompensé, entre autres, des chefs-d’œuvre comme Yeleen (Souleymane Cissé, 1987) ou Atlantique (Mati Diop, 2019)... A la question d’un hypothétique précédent, la réponse du site officiel du festival claque sans appel : zéro résultat... Si le Malien Sotigui Kouyaté a été primé en 2009, c’est ailleurs, à Berlin. Si, plus récemment, le jeune Sénégalais Seydou Sarr a été désigné «meilleur espoir» (dans Moi Capitaine, 2023), c’était, cette fois, à Venise.
Un prix de portée historique, alors ? Aux marches du Palais, Abou l’accueille avec cette fraîcheur et cette sereine longani[1]mité dont il fait montre à l’é[1]cran. «Content, parce que c’est une vie que je n’avais jamais vécue. Je suis fier oui à la fois du travail que j’ai effectué, mais aussi fier de mon réalisateur (Boris Lojkine) et son équipe...», dit-il. Le jeune Sangaré les a rencontrés sur la recommandation d’une association d’Amiens où il réside, où il œuvre comme bénévole pour aider les autres sans[1]papiers. «Ils cherchaient un Guinéen, m’a dit le responsable avec qui j’ai des liens», se souvient-il. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé propulsé sur le pavé parisien au guidon d’un vélo de livreur Uber, surexploité parmi les «ubérisés», précaire parmi les précaires du travail «informel» qui enrichit le capitalisme digitalisé. Il entre alors dans la peau de Souleymane, héros malgré lui d’un implacable triller sociétal, chroniqué ici dans Le Quotidien du 23 mai dernier. Le cinéma ? «J’aime ça depuis l’enfance. Sur le site de l’Association Carmen, on trouve même des vidéos que j’ai tournées à mon arrivée en France. Mais je n’avais jamais pensé devenir acteur. Mon rêve était de devenir mécanicien de poids lourds ou voitures, d’être au service des gens...», confie Sangaré Démonstration, hors-champ et hors écran : en plein tournage, Abou s’interrompt de pédaler afin de porter assistance à une automobiliste en panne, une anecdote authentifiée par le réalisateur Lojkine.
Abou a migré en France à l’âge de 17 ans et bénéficié du statut de mineur non accompagné auprès de l’Aide sociale à l’enfance (Ase), hébergement et formation professionnelle compris, statut dont l’émigration guinéenne fournit un des contingents les plus importants. Son bac pro de mécanicien poids-lourds en poche, assorti d’une proposition d’emploi à durée indéterminée émanant d’un secteur en manque de main d’œuvre en France. Mais la demande est rejetée par l’Administration. Il est une scène du film de Lojkine que Abou Sangaré ne supporte pas de revoir. La chute (spoiler) : face à une fonctionnaire d’Etat, il confesse les motivations intimes de son émigration : venir en aide à une mère en très grande détresse. «Ma famille ne sait absolument rien de cette histoire», jure Abou Sangaré. Sauf qu’au lendemain du fameux prix, on peut penser qu’elle en aura capté des bribes. Comme il est permis d’espérer que l’Administration changera de point de vue (Inchallah !) sur sa régularisation.
Enfin son histoire ne doit pas occulter l’aridité de la sélection 77, en ce qui touche le cinéma africain. Deux films contre une douzaine, témoignant de son dynamisme, l’an passé. Ni minorer le prix du jury reçu par le premier film zambien jamais montré sur la Croisette, signé Rungano Niony (On Becoming a Guinea Fowl). Celui-ci, également chroniqué par Le Quotidien, s’inscrivait avec maestria dans le courant mainstream de la sélection officielle pour la Palme d’Or : la condition de la femme par-delà les continents et les déterminismes sociaux. Une autre histoire.