"ALLONS AU-DELÀ DE SEMBENE POUR CONSTRUIRE SUR LA BASE DE SON LEGS"
SAMBA GADJIGO

Le réalisateur et biographe Samba Gadjigo préconise d’aller au-delà de l’oeuvre de l’écrivain et cinéaste sénégalais Sembène Ousmane pour bâtir quelque chose à partir de son legs.
‘’Il est nécessaire et souhaitable que nous dépassions Sembène Ousmane et construisions sur la base de ce qu’il nous a légué’’, a estimé dans un entretien avec l’APS, le co-réalisateur de ‘’Sembène !’’, un film sorti en 2015.
Samba Gadjigo estime que les cinéastes doivent s’exprimer sur ‘’leur époque, avec leurs préoccupations’’. ‘’Dépasser le père, ne veut pas dire le renier’’, s’empresse-t-il néanmoins d’ajouter.
Selon lui, l’héritage de Sembène Ousmane ‘’est en train d’être pris en charge’’. Ceci étant, il faut que ‘’chacun joue sa partition’’, a-t-il exhorté, reconnaissant cependant que ce n’est pas évident, car ‘’c’est 50 ans de travail de Sembène Ousmane’’ dont il s’agit.
L’héritage de Sembène, a dit le professeur de littérature africaine au Mount Holyoke college aux Etats-Unis, repose sur ‘’une soif de liberté pour le peuple’’, ‘’soif pour l’égalité pour son peuple’’, et ‘’une soif pour l’union du continent et le panafricanisme’’.
Pour Maguèye Kassé, enseignant au Département langues et civilisations germaniques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, ‘’il ne peut pas y avoir de réorientation de la vision de Sembène, mais une continuité de son orientation et de son engagement pour libérer l’Afrique que partagent ses amis’’.
‘’Elle est là et sert de levain pour de nouvelles approches politiques, sociales, culturelles et idéologique à l’heure où on décrète un peu hâtivement la mort des idéologies’’, martèle-t-il.
Pour le critique de cinéma qu’il est, les Ecoles de formation prennent en compte ‘’cette démarche +sembienne+ pour continuer à tracer ce sillon fait de refus, d’aliénation, de combat pour une Afrique libre de toute emprise, qu’elle qu’en soit la nature, débarrassée de potentats et de dictateurs, voire des marionnettes de puissances étrangères à son développement attendu’’.
Le Pr Maguèye Kassé retient de l’héritage de Sembène ‘’l’actualité de son combat portée par son œuvre littéraire et cinématographique’’.
En effet, ‘’Sembène est toujours inscrit dans une modernité à saisir, c’est ce qui reste et perpétue son œuvre qui offre des grilles d’analyse marxiste indéniables et porteuses de transformations sociales’’.
Selon lui, ‘’cette œuvre est plus actuelle que jamais au vu de la situation politique, économique, sociale et culturelle des pays africains pris globalement. Ils sont confrontés à ’’la mainmise des forces économiques et culturelles qui constituent des freins au développement endogène et durable de nos pays’’.
De l’avis de l’universitaire, ‘’ces forces déstabilisent souvent et à dessein ces pays, quitte à se présenter en sapeurs pompiers’’.
D’après lui, ‘’elles s’appuient sur des bourgeoisies compradores anti-nationales, des élites culturelles fortement influencées par une mondialisation dont le ressort est financier et impérialiste’’.
Pour l’enseignant à l’Université Cheikh Anta Diop, l’héritage de Sembène Ousmane est porté d’abord au plan littéraire par la critique universitaire qui lui consacre beaucoup de réflexions neuves dans des colloques internationaux, dans des publications scientifiques de ‘’haute facture’’, des ouvrages critiques de son œuvre, traductions, commentaires, préfaces, etc,.
Au plan cinématographique, signale-t-il, ‘’des documentaires lui sont consacrés, à finalité éducative par son exemple, comme du reste les leçons que les réalisateurs africains peuvent tirer de son cinéma, de ses méthodes, de ses choix esthétiques et autres’’.
Ce legs, précise-t-il, n’est pas conservé ‘’en pièces de musée’’, mais ‘’comme source d’inspiration’’.
C’est d’ailleurs ce que souligne l’enseignant en cinéma à l’université de Bordeaux III, Thierno Ibrahima Dia, joint au téléphone par l’APS, en déclarant que beaucoup de cinéastes dans le monde se réclament de Sembène Ousmane.
Il cite à ce propos le Burkinabé Pierre Yaméogo, dont ‘’le style’’ épouse celui de Sembène Ousmane, le jeune Rwandais Kivu Ruhorahoza, réalisateur du film ‘’Matière grise’’, qui est entré en cinéma en regardant les films de ‘’l’aîné des anciens’’.
Il y a aussi, souligne M. Dia, le réalisateur Ethiopien Haïlé Gerima, Etalon d’or de Yennenga au FESPACO 2009. Selon lui, ce dernier disait dans un entretien : ‘’J’ai ressenti un choc en voyant pour la première fois les films de Sembène’’.
En fait, il était loin d’imaginer qu’on pouvait faire un film dans les langues africaines. Haïlé Gerima a depuis fait ses films dans une langue de son pays et non plus en anglais.
‘’Le cinéma de Sembène Ousmane a permis de mieux connaître le continent’’, conclut le critique de cinéma Thierno Ibrahima Dia.