L'AFRIQUE EST UN RÉSERVOIR INÉPUISABLE DE DÉCIBELS
Poussé au sommet par un leader charismatique polyglotte et doué dans les arts du spectacle, Baaba Maal a réussi le challenge d’inscrire son « Yéla » natal au concert des merveilles musicales dans le monde - ENTRETIEN
Né il y a plus d’une trentaine d’années d’une passion commune entre amis et nourri par les richesses multiples d’une culture nomade, le « Daandé Leñol » (la voix du peuple) est l’un des groupes de musique les plus emblématiques de l’Afrique subsaharienne. Poussé au sommet par un leader charismatique polyglotte et doué dans les arts du spectacle, Baaba Maal a réussi le challenge d’inscrire son « Yéla » natal au concert des merveilles musicales dans le monde. Après un show époustouflant au Zénith de Paris puis au Royal Festival Hall à Londres en juin 2022, nous avons eu un entretien à cœur ouvert avec l’artiste qui est revenu sur les grands moments de sa carrière.
Autrefois professeur d’histoire-géographie, Baaba Maal est également un parolier doué, doté d’une lointaine vision panafricaine. Une posture qu’il incarne avec classe et humilité dans sa lutte pour le bien-être écologique de la planète et des êtres qui y vivent. C’est un engagement militant fort appréciable en Afrique et en dehors du continent. Tout au long de sa carrière, Baaba Maal s’est fixé pour vocation de servir son peuple et le continent noir par le biais de son art. Avec l’élaboration et la réalisation de projets de développement structurants dans les secteurs de la santé, de l’environnement, des infrastructures, il a beaucoup contribué au développement de son Fouta natal, dans le Sénégal des profondeurs. « J’ai une pensée particulière pour toutes les personnes, musiciens, collaborateurs, fans et famille qui nous ont quittés en cours de route et qui, comme nous, croyaient aussi fortement au projet du « Daandé Leñol », affirme-t-il, avec un brin de tristesse. Baaba Maal rend ainsi grâce à Dieu qui lui a permis de vivre aujourd’hui encore intensément sa passion artistique, dans la paix et avec une excellente santé. Plus de trois décennies durant, Baaba Maal et ses amis du « Daandé Leñol » ont fait danser plusieurs générations de mélomanes dans des sonorités variant entre traditionnel et modernité. Avec aisance et une technique de voix maîtrisée, Baaba Maal valse sans fausses notes dans tous les genres musicaux, du reggae au dance-hall en passant par le la salsa, la techno, le blues, le pop et mbalax prop le re au Sénégal. La carrière de Baaba Maal, c’est également de grandes œuvres à succès qui ont contribué à faire flotter le drapeau du Sénégal sur les plus grandes scènes du monde, les plus inattendues, aux confins de la planète. « C’est aussi ça le pouvoir de la musique et de toutes les formes d’arts qui ont la capacité de briser les codes et créer une synergie entre les peuples venus d’horizons divers, de croyances et de coutumes différentes », dixit l’artiste. « Djam Leeli » qui l’a fait découvrir à son producteur Chris Blackwell, « Baayo » en hommage à sa mère rappelée à Dieu à son insu, « Lam Toro » ou alors « Firin’In Fouta » consacré aux Grammy Awards et récemment « Télévision » sont tous des albums à succès qui ont placé Baaba Maal parmi les plus hautes personnalités artistiques dans le monde, une icône incontestable de la musique africaine. « La carrière d’un artiste est aussi souvent empreinte de rencontres d’abord, au sein de la famille du « Daandé Leñol » avec des arrivées de musiciens, techniciens, arrangeurs, managers et autres collaborateurs à qui nous devons, pour beaucoup, la construction et la réalisation de nos projets les plus fous. Les musiciens et le staff du « Daandé Leñol » ont très tôt compris les enjeux du projet culturel panafricain pour la renaissance et la reconnaissance de la culture peulh que constitue cet orchestre. Ils y ont adhéré et se sont généreusement investis pour porter haut et fort, comme son nom l’indique, la voix du peuple qui nous a missionnés avec des exigences », a affirmé Baaba Maal. Parmi les belles rencontres faites le long de son périple musical enchanteur, il y a également des icônes comme Carlos Santana, Bono, Brian Eno, la famille de Bob Marley (sa mère, son épouse, ses enfants, ses petits-enfants), entre autres. Dans un autre registre, il y a aussi la notoriété gagnée sur le terrain et qui a ouvert la voie à des missions institutionnelles avec les Nations unies, les Ong, les gouvernements et la société civile sur des questions essentielles liées à l’humanité.
Curiosité & mélange de genres
Ses différentes productions et son parcours révèlent en Baaba Maal un artiste curieux qui n’aime certainement pas la monotonie. « Je suis ouvert à tous les styles musicaux d’où qu’ils peuvent me parvenir, du Boundou à l’Indonésie en passant par l’autre bout du monde. Du Fouta Djalon au Macina, toutes les musiques me parlent, avec des ressentis différents et innovants », dixit l’artiste. Ses nombreux voyages dans le monde auront permis à l’enfant de Podor d’aller à la rencontre des genres musicaux différents avec lesquels il ne s’impose aucune limite pour pousser loin sa curiosité afin de mieux comprendre les possibles liens avec les racines africaines. Cette curiosité artistique qu’il pense légitime pour un artiste a entrainé Baaba Maal jusque dans la musique électronique que l’on retrouve également dans certains de ses albums. « La connexion avec d’autres genres musicaux est réelle et naturelle » pour Baaba Maal qui affirme, par ailleurs, que le jazz, le blues et le reggae sont des musiques innées pour les Africains. « Dans ma collaboration avec le comédien jamaïcain Makabi invité dans le morceau « Yélé », j’ai été heureux de montrer à la face du monde que les racines du reggae et de la musique cubaine sont bien africaines. » Pour démontrer les liens entre les cultures africaines et celles du reste du monde, Baaba Maal a jugé nécessaire de concentrer des recherches accentuées sur la jonction entre les styles, les sonorités et les différents styles musicaux. Des recherches qui ont abouti à la conception, entre autres, des titres avec des mélodies cubaine comme « African Woman » et jamaïcaine dans « Yélé ». Les chorégraphies et l’harmonie des couleurs dans les installations scéniques, les costumes sont une autre forme d’expression de la familiarité entre les cultures du monde.
Musique & cinéma, armes de séduction massive
Depuis quelques années, Baaba Maal fait des merveilles dans le 7ème art, un autre registre dans lequel il séduit le monde, notamment par la puissance de sa voix, mais aussi par ses talents de comédien. Cela ne surprendrait guère ses camarades et aînés, particulièrement le Ministre Mme Aminata Mbengue Ndiaye du lycée Charles de Gaulle de Saint-Louis, où il excellait déjà avec la troupe théâtrale de l’établissement. « Je remercie particulièrement Sembène Ousmane qui m’a permis, en premier, d’utiliser ma voix dans le long métrage « Guélewar », un film culte qui fait partie des plus grands succès du cinéma africain », dit-il. Ce succès lui a ouvert la voie pour d’autres échanges cinématographiques du genre notamment dans le téléfilm « Nder en flammes » du réalisateur Amadou Moctar Bèye, et ailleurs dans le monde avec Peter Gabriel dans « Passion », puis Ridley Scott avec « La chute du faucon noir » suivi de « Black Panther », etc. Selon Baaba Maal, la musique africaine, sous toutes ses formes, est un art d’échanges et d’ouverture, d’où son succès dans le monde. L’enfant prodige de Podor est d’ailleurs très à l’aise à tout type d’échange artistique. En témoignent ses titres à succès dans lesquels le sens profond des textes et les bases mélodiques originales traduisent pleinement l’ouverture à d’autres cultures du monde. « Souka-Naayo », titre dans lequel a participé la famille irlandaise des « Screaming Orphans », est remarquablement riche de cet échange entre la musique celtique d’Irlande et celle sénégalaise. La collaboration avec Barry Reynolds dans la composition du titre « Fanta » témoigne également de l’ouverture significative de la musique africaine authentique vers des styles venus d’ailleurs. À en croire Baaba Maal, ces échanges ont également pour objectif d’imposer la musique africaine au sommet et de lui éviter d’être éclipsée par les grosses compositions commerciales aux sources diverses. « La musique africaine a des connexions certaines avec tous les styles de musique dans le monde. Il faut cependant savoir les déceler en poussant très loin notre curiosité pour mieux en profiter », estime l’artiste.
Engagement des choeurs de Sahel
Les précurseurs ont déjà balisé le terrain des échanges et de l’implantation de la musique africaine dans le concert des grands styles musicaux du monde, notamment avec Féla Kuti, Manu Dibango, le groupe Xalam, Aly Farka Touré ou encore Doudou Ndiaye Rose avec son orchestre de tambours. La diversité richissime des arts africains et de la musique, plus particulièrement, la rend inépuisable et toujours fraîche dans la proposition de nouvelles sonorités à l’air du temps. « L’industrie mondiale de la musique et de la culture, en général, est en perpétuelle mutation. Elle a besoin de se renouveler en permanence. L’Afrique, dans ce cas, représente une source inépuisable de décibels, de couleurs et d’énergies du fait notamment de sa jeunesse capable à tous égards de se projeter », soutient Baaba Maal. Selon lui, l’Afrique a tous les atouts pour ravitailler en abondance le monde entier sans épuiser ses ressources culturelles et artistiques. Dans cette dynamique, le Roi du Yéla annonce, en plus de son prochain album international, une production parallèle purement locale avec des airs et des mélodies du Sahel pour aborder les sujets d’actualité dans ce terroir africain. L’insécurité dans le Sahel, l’instabilité politique, le désarroi des populations sont autant de sujets abordés dans cet album avec des invités représentant chacun un pays dans l’Afrique subsaharienne. Le chanteur et ses hôtes élèvent la voix sur l’éducation, les menaces de crise alimentaire, la protection de l’environnement, l’érosion côtière, l’avancée du désert, etc., pour marquer leur engagement pour le droit à une vie sereine et normale des populations du sahel. De plus en plus déterminé à utiliser sa musique pour orienter les dirigeants vers les voies du changement, Baaba Maal estime que l’intérêt de la jeunesse pour l’agriculture, l’élevage, la pêche…doit aussi être encouragé pour un retour nécessaire à la terre, seul moyen d’atteindre notre autosuffisance alimentaire.
Transition digitale & accompagnement de l'État
Il est important de travailler d’emblée sur la relève car, selon le lead vocal du « Daandé Leñol », ses collègues et lui ne peuvent être fiers que « si l’on sent la nouvelle génération évoluer dans l’excellence, le professionnalisme et avec humilité. Cette génération doit faire mieux que nous et, surtout, sortir du cadre national qui leur est très peu profitable au final ». Le monde évolue à une vitesse considérable, pour Baaba Maal, il est donc urgent d’arrêter « cette hémorragie structurelle qui asphyxie le milieu des arts et de la culture en Afrique ». L’artiste se réjouit par ailleurs de l’intérêt particulier des Africains binationaux pour leur terre d’origine. « Fort de sa jeunesse dynamique, le continent a la capacité de se réinventer pour mieux profiter de ses ressources. C’est ce qui est en train de se passer », avance Baba Maal.
Les deux années pandémiques de la Covid-19 ont permis de repenser le modèle économique dans l’industrie culturelle. La digitalisation du secteur de la musique était devenue cruciale, notamment la phase de commercialisation des produits. Aujourd’hui, toutes les formes d’art et de spectacles se sont adaptées au digital, de la création à la consommation, entrainant ainsi un grand gain de temps, d’énergie, etc. « La Covid-19 nous a appris à réorganiser notre quotidien et notre environnement professionnel avec le digital. Il est désormais possible de faire des concerts virtuels et même des enregistrements à distance.