L’AMBITION, C’EST DE SORTIR LES CINEASTES AFRICAINS D’UN CERTAIN ENFERMEMENT
Aux marges du Palais (des Festivals), côté Vieux Port de Cannes, Chine et Etats-Unis se côtoient dans un «Village international». Karine Barclais, fondatrice du Pavillon Afriques à Cannes tient à expliciter
Aux marges du Palais (des Festivals), côté Vieux Port de Cannes, Chine et Etats-Unis se côtoient dans un «Village international». Devant eux, on tombe aussi sur un pavillon «PA», comprendre Pavillon Afriques, avec un «s». Pourquoi ? Parce qu’il accueille ceux du continent, mais aussi de toutes les diasporas, tient à expliciter d’emblée Karine Barclais, à l’origine de ce qui est une initiative personnelle de sa part. Panels, conférences, tables rondes, projection, networking sont au programme, comme ailleurs. Mais ici, les centres d’intérêts diffèrent. Ici, on s’intéresse au trentième anniversaire de la fin de l’apartheid en Afrique du Sud et à Mandela. Ou encore aux racines africaines de l’humanité et de ses civilisations.
Vous venez du monde des affaires, aviez-vous une vocation cachée pour l’industrie du cinéma ?
Pas du tout. D’ailleurs, je n’étais jamais venue à Cannes au préalable. Mon métier, c’est l’événementiel. Disons qu’à l’origine, j’ai saisi une opportunité de créer ce pavillon, comme j’avais auparavant contribué à d’autres événements internationaux à Dubaï, Abu Dhabi ou encore en Chine. En vérité, l’entrée en matière a été assez rocambolesque, je ne m’étendrais pas dessus. On m’a souvent dit que si j’avais appartenu au milieu du cinéma, jamais je n’aurais commis une telle folie. Avec le recul, si j’avais su, j’aurais sans doute réfléchi à deux fois avant de me lancer.
Qu’est-ce qui vous a alors incitée à récidiver ?
Ma motivation à aider les cinéastes africains comme ceux de la diaspora a été plus forte. J’aime profondément les challenges, me frotter à ce qui me dépasse. Et en vérité, dès la première édition, je me suis prise au jeu devant l’engouement suscité chez nos hôtes. Ils me disaient, non sans émotion : enfin on a un «chez nous» à Cannes avec vue sur le Marché du film. C’était très fort. C’est ainsi que j’ai enchaîné.
Comment donc a été financée cette initiative personnelle ?
En effet, tous les autres pavillons qui nous entourent reposent sur des financements publics, commissions cinématographiques d’Etat, etc. Dans le business plan initial, les pays africains, individuellement dépourvus des moyens de financer un pavillon en propre, pouvaient, le cas échéant, partager des frais qui ne sont pas minces (Ndlr, un million d’euros/an en moyenne au total). Aujourd’hui, certains me considèrent comme le bureau africain du festival, mais sans participation de leur part. Cela n’est pas vraiment viable économiquement concernant mes deniers personnels.
Combien de pays contribuent ?
Nous comptons officiellement à ce jour deux délégations, Guinée Conakry et Ouganda. Au total, nous accueillons des représentants de 18 pays. Nous avons déjà reçu des ministres de Côte d’Ivoire, du Togo ou d’Afrique du Sud. Globalement, les responsables culturels d’Afrique ne semblent pas avoir saisi que la régularité dans la présence importe sur le marché du film, ici à Cannes. Je dois admettre qu’on n’a pas affaire à une lame de fonds, même si de nombreux pays dont le Sénégal, entre autres, sont intéressés à aller de l’avant. Nous verrons sur le plus long terme sans perdre de vue, je le leur dis, que ce sera trop tard d’ici à deux ans.
Parmi vos sponsors, on note l’Agence française pour le développement (Afd) ainsi que l’ambassade de France au Sénégal. A quel titre figurent-ils ?
Cela n’entrait clairement pas dans mes intentions, mais simplement, en avril dernier encore, je ne bouclais pas le budget 2024. Comme tant d’autres, je pensais que l’Afd finançait plutôt des infrastructures, mais en fait ils apportent également leur soutien aux industries créatives comme le cinéma et ils avaient envie de le faire savoir. J’ignorais de même qu’une ambassade puisse s’impliquer dans ce type d’action, mais c’est le cas, et celle de France au Sénégal cherchait une visibilité.
Quelle est l’ambition concrète, l’utilité du Pavillon Afriques ?
Permettre très concrètement, comme vous dites, aux auteurs africains du continent, comme ceux de la diaspora, de raconter par eux-mêmes leurs propres histoires. Primo, cela passe par des financements et de la distribution. Ici, tous peuvent rencontrer des financiers, c’est le rôle du networking. Par exemple, hier encore, une jeune suisso-guadeloupéenne a rencontré des producteurs zambiens... Côté distribution, nous avons déjà connu des success stories. Côté financement cette fois, en 2024, nous passons à la vitesse supérieure avec l’intégration à notre board de Nicholas Weinstock, producteur américain, président d’Invention Studios et connu des majors hollywoodiennes. L’ambition, c’est de sortir les cinéastes africains d’un certain enfermement.
Comment entendez-vous les sortir de cet «enfermement» ?
C’est une première. Nous lançons, avec M. Weinstock, un concours international où trois projets d’œuvres sélectionnés par un jury de haut niveau recevront une dotation de 25 000 euros. Si cela vous paraît peu, sachez que les fonds pratiquent généralement un saupoudrage : 2000 euros de ci, 3000 de là. L’objectif, c’est de contribuer à produire des œuvres dignes de participer au circuit mondial des festivals cinématographiques, à l’image de ce qu’a réussi la talentueuse francosénégalais Maïmouna Doukouré. Beaucoup aspirent à suivre son exemple.