«NOTRE CHALLENGE, REPOSITIONNER SORANO»
Palabres avec…. Ousmane Barro Dione, directeur général théâtre Sorano
Ousmane Barro Dione n’est pas un produit du théâtre sénégalais. Mais aujourd’hui, il a la mission de redorer le théâtre sénégalais à travers l’historique théâtre Daniel Sorano fondé par feu le président poète Léopold Sédar Senghor. La mission ne semble pas colossale pour un homme qui avait déjà eu la chance d’avoir le pied à l’étrier puisqu’il a été pendant près de 7 ans, le secrétaire général de Daniel Sorano. Un homme de la maison qui recevra du président Macky Sall, les clés pour, comme il le dit, « repositionner le Théâtre Sorano ». La pluridisciplinarité de son parcours (titulaire d’un troisième cycle en économie avec une spécialisation en Monnaie, Banque et Finances de l’Université de Dakar, un troisième cycle à l’Université de Lille en management portuaire et maritime, un troisième cycle en Centre d’études diplomatiques du Sénégal (CEDS), une casquette de diplomate, énarque à travers l’Ecole d’administration du Maroc) et des formations éparses en leadership et développement personnel) constitue un atout qui permettra à un homme jeune et sympathique de redorer le blason de Sorano. Entretien
A votre nomination en octobre 2022 comme directeur général de la Compagnie du Théâtre Daniel Sorano, vous y occupiez déjà le poste de secrétaire général. N’est-ce pas un avantage qui vous permet de démarrer sur les chapeaux de roue ?
Je pense que c’est un avantage. Parce que comme vous l’avez dit, cela fait six ans que je suis à la tête du Secrétariat général qui me permet de connaître de façon transversale la maison à travers les différents services, les différentes troupes et également les services techniques. Cela permet d’avoir une vue globale et de pouvoir connaître les difficultés, les défis, les enjeux. Et cela m’a facilité, dès les premiers jours, de prendre les mesures appropriées déjà pour régler toutes les questions liées au front social, les questions qui pouvaient stabiliser l’inquiétude des artistes, des agents de façon générale. Un avantage qui me permet de décliner la vision permettant aujourd’hui de pouvoir réaliser les différents projets que nous sommes en train de mettre en place.
Justement, Sorano était présenté comme une structure en déclin. Un déclin précipité par l’avènement du Grand Théâtre. On parlait de sa vétusté, une technique de sonorisation défaillante. Comment on est arrivé à une telle situation décriée ?
Le Sorano a un contenu artistique qu’on ne trouve pas ailleurs. Ce que nous avons à Sorano, ça n’existe nulle part. Mais ça, il faudrait le mettre en ébullition. C’est-à-dire, il faudrait impulser une dynamique. Parce qu’aujourd’hui, les troupes artistiques, que cela soit l’ensemble lyrique, le ballet « La Linguère », la troupe dramatique, on ne les trouve pas ailleurs. Parce que nous sommes dépositaires du patrimoine culturel immatériel du Sénégal. Notre mission, c’est de promouvoir ce que nous avons comme identité à savoir la valorisation de la diversité culturelle. Mais tout cela, nous ne pouvons pas l’avoir, avoir les espaces, les installations techniques, toute la technicité qui accompagne le savoir-faire artistique, et puis rester là à ne rien faire. Alors, c’est un peu ça qu’on a essayé de mettre en symbiose pour véritablement relancer tout cela. Aujourd’hui tout ce que nous sommes en train de faire existait déjà à Sorano. Il manquait peut-être une petite ébullition, peut être mettre en cohérence les activités, régler certains préalables liés au front social, liés à la vision et à la politique qu’on a un peu implantée depuis notre arrivé pour aujourd’hui réaliser les résultats que vous avez constatés.
Cette présence à côté du Grand Théâtre et cette concurrence, cela ne vous gêne pas ?
Non, ce n’est pas les mêmes missions. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, le Grand théâtre a des missions propres. Une grande salle qui doit accueillir des grands événements culturels d’envergure même continentale en termes de capacité lorsqu’il s’agissait de le construire. Mais nous, c’est tout autre. Nous, c’est la culture sénégalaise qu’on doit promouvoir. Ce qui n’est pas le cas pour le Grand Théâtre. On peut même aller vers une mutualisation. D’ailleurs, j’ai un projet dans le cadre de mes activités de réaliser un grand spectacle de théâtre au Grand Théâtre. Je pense que ça sera avec «Les bouts de bois de Dieu» en hommage à Ousmane Sembène pour ses cent ans. Je compte le présenter au Grand Théâtre. Donc c’est ça en fait, on doit pouvoir mutualiser nos efforts. Parce qu’autant nous avons une mission de promotion et de valorisation de la culture sénégalaise, le Grand Théâtre a des espaces et la salle pour pouvoir abriter et accueillir ces événements-là. Donc, on peut, dans le cadre de l collaboration, l’impliquer. Et nous sommes en train de le faire intelligemment avec la direction du Grand Théâtre. D’aller vers cette mutualisation de nos activités. Mais encore une fois, le Grand Théâtre ne nous gêne pas. C’est qu’on a donné l’impression, à un moment donné, qu’on avait juste une salle à louer alors que ce n’est pas notre vocation. La salle, on doit la mettre à la disposition des clients quand nous, on n’organise pas. Aujourd’hui qu’on a un programme très chargé comme vous l’avez constaté avec « Sorano chez-vous », « Sorano à l’école », « Sorano à l’international ». On n’a plus même le temps de rester sur place.
Il y a un nouveau contenu que vous avez pu mettre en place pour revaloriser Sorano ? C’est ça ! Est-ce une volonté de repositionner sur l’échiquier national et international ?
Notre challenge, c’est de repositionner Sorano. Vous avez constaté effectivement que le Sorano est laissé en berne depuis un certain moment. Mais aujourd’hui, on essaie de le repositionner. Et les outils de ce repositionnement nous les avons déjà !
Ces outils sont d’abord techniques, est-ce qu’aujourd’hui, la vétusté de la salle, l’aspect sonorisation, technique, vous avez pris en compte ces problèmes…
Bien sûr ! Je pense même, lorsque vous entrez maintenant au niveau du théâtre, vous vous rendrez compte des changements. On a déjà attaqué l’environnement avec les espaces verts. Sorano est transformé en espaces verts. Seulement notre chance, c’est que la vétusté de Sorano a été constatée directement par le président de la République lors d’une visite. Ce dernier, alors à la suite de procédures mises en place, a dégagé une enveloppe de 3 milliards étalée sur trois ans pour permettre à la réhabilitation totale du Sorano. Les premiers décaissements ont permis de refaire la peinture. La réhabilitation du bâtiment en question est en cours. Aujourd’hui (ndrl ce mercredi 10 mai) les travaux concernant les nouveaux projets que j’ai lancés, notamment une seconde salle de répétition avec des extensions de bureaux avec une salle de sport pour les artistes, avec vraiment le grand totem qu’on veut mettre en place qui matérialise les instruments traditionnels que nous voulons installer au niveau du boulevard de la République, vont changer complètement le visage de Sorano pour le rendre plus attrayant. Et ça nous le devons au chef de l’État. Aujourd’hui avec l’impulsion du ministre actuel de la Culture et du Patrimoine, Pr Aliou Sow, qui a donné un coup de pouce, nous avons appuyé sur l’accélérateur pour rendre beaucoup plus palpables les changements tant au point de vue technique qu’artistique.
Et sur le front social, les artistes de Sorano ont continuellement dénoncé leur situation. Qu’est-ce qui a été fait dans cette dimension humaine ?
La première question qu’il fallait régler, c’est la stabilité de la maison. C’est de s’attaquer à la revendication d’ordre social qui était des revendications légitimes. Le premier mois de ma prise de fonction, je l’ai consacré à ces questions. Concernant la régularisation des agents, on a embauché 12 agents qui ont fait plus de dix ans. La question du régime complémentaire cadre pour les agents cadre, c’est réglé. On a cotisé pour tout le monde. La couverture médicale est élargie, la prise en charge des frais pharmaceutiques, nous sommes en train de la mettre en place. C’est des questions qui ont duré, qui sont restées longtemps sans satisfaction. Lorsque les agents ont constaté effectivement qu’il y a une volonté de la direction générale qui a déjà réglé toutes ces questions, ils se sont mobilisés pour s’engager dans le nouveau projet à travers la nouvelle vision qu’on a déclinée, qui permet de faciliter le travail de réalisation que nous sommes en train de faire, qui permet de booster la création. Il y a beaucoup plus de productivité et de pouvoir permettre de faire le tour du Sénégal. On a fait pratiquement le tour de 6 villes etc. La création artistique, on est pratiquement à 6 créations, comparé en 2021 où il n’y avait que 2 créations seulement sur 12 mois. Tout cela, en tout cas, nous conforte dans notre position que l’être humain est capable de pouvoir réaliser des prouesses lorsqu’il est mis dans de meilleures conditions. C’est le premier problème du capital humain qu’on a réglé qui nous permet de se projeter pour ce qui concerne la création, la production et tout le reste.
Justement vous avez trois grandes composantes : l’ensemble lyrique, la troupe théâtrale et le ballet la Linguère. La question du renouvellement des ressources humaines ne constitue-t-elle pas un handicap ?
Tout à fait , il y a un plan de gestion de carrière que nous avons mis en place qui permet de pouvoir surveiller les départs en tout ce qui concerne le personnel artistique et administratif bien attendu. Il permet également de pouvoir renouveler. Vous avez chez les artistes pour chaque année, il y a des auditions de contrôle, pour évaluer la performance des artistes. Et il y a aussi des auditions d’entrée pour renouveler le personnel artistique. Donc on les tient en début de saison. La saison artistique chez nous, c’est du 1erseptembre au 31 juillet. En fin de saison, on fait des contrôles. En début de saison au mois de septembre, on fait les auditions d’entrée. Ça permet de renouveler le personnel artistique. Ça permet également d’évaluer la performance des uns et des autres. L’autre élément non moins important est que nos trois entités, on essaie de les mettre en symbiose. Toutes les créations que nous sommes en train de présenter dans le cadre de la décentralisation, c’est des spectacles de fusion où tu retrouves la musique avec l’ensemble, la danse avec le ballet, le théâtre avec la troupe dramatique. On pouvait les présenter séparément, mais bon, on est une compagnie. Une compagnie, c’est la symbiose, c’est la fusion de ces différentes entités pour qu’elles puissent véritablement donner un spectacle d’envergure. Par exemple à Keur Pathé, on a présenté une bataille de Pathé Badiane, plus de 100 artistes ont été déplacés pour un spectacle d’envergure. C’est ça aussi qu’il faut impulser pour véritablement donner le vrai visage de Sorano.
Aujourd’hui au-delà de Sorano vous êtes dans l’espace culturelle. Est-ce que vous êtes conscient que vous devez être une tête de pont dans la création artistique culturelle pour permettre un dialogue entre la jeunesse et son territoire en fait sa culture. Quelle est votre vision sur la dérive sociale des réseaux sociaux ? Et l’apport du théâtre ?
La culture est un levier puissant d’abord de diplomatie. Mais aussi un facteur de cohésion sociale, de stabilité sociale. Parce que à travers la culture, on peut éduquer, on peut enseigner. On peut aussi véhiculer des valeurs. Vous l’avez bien dit, la déperdition des valeurs découle d’un manque d’éducation. Venons au citoyen carrément, et aussi le fait de rendre les gens heureux, l’épanouissement des citoyens, on a un rôle particulier par rapport à cela. Aujourd’hui, le fait que les gens soient tendus, énervés, le manque de repère, tout cela doit passer par le véhicule de la culture. À travers le théâtre pour l’éducation et la transmission des valeurs, à travers la musique et la danse pour non seulement faire ressourcer les gens à leur identité, mais aussi à les divertir. Aujourd’hui partout où nous nous sommes passés, les gens étaient heureux et contents de voir l’ensemble lyrique, le ballet. C’est ça notre mission. C’est-à-dire aujourd’hui, on peut décrisper le climat social tendu à travers des prestations artistiques, culturelles de grande envergure. Ça, nous ne devons pas épargner les Sénégalais qui sont à Fongolémi et dans d’autres contrées du pays. Nous devons en faire pour tous les citoyens sénégalais où qu’ils puissent être dans le territoire national.
C’est le vocable de sortir le Sorano pour aller faire le théâtre dehors ?
Exactement !
Dans ce segment est-ce que vous pensez aux écoles et universités ?
On a trois projets fondamentalement qui nous permettent de régler ces trois dimensions que j’ai évoquées tantôt. C’est « Sorano chez vous » dans le cadre de la décentralisation des activités, c’est « Sorano à l’école. On va faire une tournée dans les lycées pour donner des prestations théâtrales. Là, on va calibrer ça par rapport aux programmes des écoles. Et en fin « Sorano diaspora ». Dans le cadre « Sorano à l’école » c’est effectivement essayer de relancer le théâtre à l’école. C’est vrai qu’on a une mission particulière qui peut contribuer, paraît qu’il y a d’autres entités qui peuvent aider beaucoup plus. Mais nous sommes déjà dans cette dynamique. D’ailleurs, le 17 mai prochain, nous allons accueillir des écoles choisies et à qui nous avons donné le statut d’invité d’honneur. Ce sont les écoles : Cours Sainte Marie de Hann, Notre Dame, les cours Sacré Cœur. On va présenter la « Malédiction de Raabi» du Colonel Momar Gueye. C’est une façon de faire aimer à cette jeune génération qui n’a pas pu profiter de ce que les anciens ont légué en termes d’héritage. Après on va vraiment se lancer à l’intérieur du pays. Nous sommes en train d’établir un calendrier pour faire le tour des lycées et présenter des spectacles de théâtre digne de ce nom.