«ON RISQUE DE PERDRE DES FACETTES DE NOTRE CULTURE»
Malick Pathé Sow fait partie de ces artistes qui font la fierté du Sénégal sous d’autres cieux. Etabli en Belgique, le maître du «hoddu» a mis sur le marché son sixième album dont le titre est «Annoré»
Malick Pathé Sow fait partie de ces artistes qui font la fierté du Sénégal sous d’autres cieux. Etabli en Belgique, le maître du «hoddu» a mis sur le marché son sixième album dont le titre est «Annoré». Nous avons profité de son séjour au Sénégal pour parler de ce nouvel album et de son parcours musical qui avait débuté avec Baba Maal.
Comment êtes-vous arrivé dans la musique ?
J’ai appris à jouer le hoddu au sein de ma famille. Je suis un Bambado, un Labbo. La musique est mon métier. Mes aînés jouaient cet instrument et il y en a parmi eux un de mes grands-pères, Hamady Aly, qui est le père de Barrou Sall, c’est celui qui joue le hoddu dans l’orchestre de Baba Maal. Mon grand frère Malaw m’a appris à jouer mes premières notes de hoddu. Vous savez que les Laobés sont des sculpteurs, mais on peut les appeler des griots. Et dans notre famille, tous les jeunes jouent le hoddu. Mais ce n’était pas leur métier. Ils l’alternaient avec d’autres métiers.
Moi j’ai fini par en faire mon métier. A mes débuts, j’étais instrumentiste. Je jouais le hoddu et la guitare avec Baba Maal avant même qu’il ne fonde son orchestre. Avec le consentement de Baba Maal, je suis resté en France en 1991 où j’étais avec lui dans le cadre de l’enregistrement de son album Bayo. En 1993, j’ai rejoint la Belgique. J’ai créé mon groupe qui s’appelle Welnéré pour promouvoir le hoddu. On était trois personnes au début avant d’élargir à d’autres musiciens.
Parlez-nous de votre nouvel album, le sixième à votre actif, que vous venez de sortir…
Le titre de l’album est Annooré, qui veut dire la lumière divine. L’album contient 9 titres. J’y ai joué un style tradi-moderne avec un thème général sur la lumière dans ce monde marqué par la crise sanitaire qui traverse l’humanité dans son ensemble. Je trouve que la lumière est indispensable. Les morceaux sont chantés en pulaar et en wolof. Afrika maman, c’est l’unité africaine. C’est un titre que j’ai composé depuis longtemps et cette chanson traduit l’espoir incarné par le Président Macky Sall. J’ai cherché à travers cette chanson à l’offrir en exemple aux autres. Je fais une musique à la sauce sénégalaise, mais ouverte à d’autres horizons. Je joue de l’acoustique, de la musique blues du Fouta, de l’Afrique en général. Si tout le monde fait du mbalax, on risque de perdre certaines facettes de notre culture. J’ai un large public en Belgique parce que ça fait 25 ans que je suis là-bas. A mes débuts, je faisais du mbalax et du yela. Je me suis rendu compte que cette musique est mieux consommée au Sénégal qu’en Europe.
C’est pourquoi j’ai jugé opportun d’explorer un autre style. J’ai changé de cap et j’utilise des instruments comme le hoddu et la kora avec Bao Cissokho avec qui j’ai fait tous mes albums. Mais je joue aussi la guitare à la manière de Aly Farka Touré. Mon premier album est sorti en 1998 en Angleterre, grâce à l’aide de mon grand frère Baba Maal. Déniyanké a été produit par Island records qui venait juste de changer de nom pour devenir Palm pictures. Mon deuxième album, Diariata a été une autoproduction, en collaboration avec Robert Falk. Diariata est un hymne à l’émancipation de la femme. On ne peut pas parler de développement sans parler de la femme. On dit que l’Afrique est le berceau de l’humanité. Je dirai que la femme est le berceau de l’humanité. La femme nous apprend à marcher, elle guide nos pas. Ce sixième album se différencie des autres parce que c’est un album qui connaît des influences occidentales, saupoudrées de notre riche culture africaine.
Peut-on dire que c’est le Covid-19 qui vous a inspiré dans la production de cet album ?
J’ai commencé l’album bien avant le Covid-19. Mais je pense qu’il y a beaucoup de défis à relever dans le monde dans lequel nous vivons. Maintenant, on peut commencer par la crise sanitaire qui impacte le monde entier, mais également l’économie, le chômage, les difficultés en Afrique et même ailleurs. Je pourrai parler de l’émigration clandestine qui n’épargne pas les autres continents. Il y a des jeunes qui traversent les frontières, prêts à payer de leur vie pour arriver à destination au risque de la laisser dans le désert et les océans. Nos jeunes embarquent dans des pirogues de fortune pour tenter de trouver une meilleure vie ailleurs. Mais je pense que cela n’est pas la bonne solution.
C’est conscient de cela que j’ai composé un titre qui s’appelle Jol jolé, qui veut dire la jeunesse consciente. Je dis à la jeunesse de ne pas accepter d’être un «balaa» qui n’est autre qu’un poisson que les pêcheurs ne veulent pas consommer. Le titre Tunngé mi eero est un hymne où je dis : «Pincez vos instruments et permettez-moi de chanter pour faire louanges aux bergers et aux cultivateurs !» C’est pour les donner en exemple aux jeunes, leur demander de se détourner de l’émigration clandestine en faisant comme eux. C’est pour leur dire qu’ils peuvent réussir au Sénégal. Le courage du berger est chanté à travers cette chanson en soulignant que le berger, qui conduit son troupeau dans les endroits les plus reculés de la forêt pour nourrir son bétail, participe au développement.
Quand on parle de développement, on ne peut laisser derrière les éleveurs et les cultivateurs. Cette chanson rend aussi hommage aux femmes peules qui se déplacent pour vendre leur lait. Maintenant, on retrouve du lait un peu partout parce que c’est industrialisé. Mais avant, c’étaient les Peuls qui faisaient des kilomètres pour aller d’une ville à une autre pour satisfaire la clientèle. Ce titre parle de la modernité et du développement.
La promotion de ce nouvel album pose-t-elle un problème dans un contexte marqué par le Covid-19 ?
Ce sera très difficile de faire la promotion de l’album dans ce contexte sanitaire assez compliqué. Mais j’ai eu la chance de faire la soirée de présentation à Bruxelles le 3 octobre dernier avant que la deuxième vague de Covid-19 ne survienne. C’est juste après cette soirée de présentation de mon album qu’on a refermé les salles de spectacle. Le Covid-19 a fait des ravages en Europe. Depuis lors, je n’ai pu poursuivre la promotion de cet album tiré à 2 000 exemplaires.
J’avais envisagé, avec mon manager Lat Ndiaye, de faire une tournée au Sénégal après la sortie de l’album. Il y avait des concerts prévus dans les centres culturels avec des dates qui avaient été calées. Mais le Covid-19 est passé par-là. Les concerts devaient se tenir ici à Dakar, Saint-Louis et même à Nouakchott.
Vous aviez aussi sorti un single, Njorto mboyjo. Pourquoi ?
Njorto mboyjo est un single que j’ai composé et qui parle de la crise sanitaire mondiale, causée par le coronavirus. C’est durant le confinement que je l’ai composé pour apporter du réconfort aux populations obligées de rester chez elles à cause des mesures restrictives dues à la situation sanitaire. J’ai pu, avec des amis, faire des concerts virtuels. J’ai fait ce morceau avec Watanabé (musicien de jazz). Ce single a été élaboré sous la houlette du musicien Robert Falk qui a assuré sa direction artistique.
Tout en cherchant à sortir les gens de l’inconfort dans lequel le Covid-19 les a plongés, j’ai tenu aussi à les sensibiliser à respecter les gestes barrières. Afrik Consult l’a mis sur toutes les plateformes musicales et j’envisage d’en faire un clip pour faire la promotion au Sénégal.
Si l’on vous demande de proposer une formule pour permettre aux musiciens sénégalais de vivre de leur art en cette période de pandémie, qu’allez-vous dire ?
C’est dur, mais ça va passer. Je pense que le gouvernement devrait aider les artistes à vivre de leur art en faisant des concerts à huis clos, virtuels. Les équipes de football disputent leur match à huis clos. Le monde de l’art devrait s’en inspirer en organisant des concerts à huis clos, avec l’appui de l’Etat. Ailleurs, ces concerts se font avec des sponsors.
Je pense qu’on devrait cibler des endroits pour que des musiciens de même catégorie y animent des concerts à tour de rôle, diffusés en direct dans les plateformes digitales et sur les chaînes de télévision. Ce sera une manière d’accompagner les gens chez eux en cette période de pandémie où ils sont obligés de se plier aux exigences d’un couvre-feu. La musique est thérapeutique.
Qu’en est-il de votre mouvement Fiilfal-Yidbé Malick Sow ?
J’ai fondé ce mouvement de développement social et culturel Fiilfal-Yidbé Malick Sow (les amis de Malick Pathé Sow. Ce mouvement existe en Belgique et au Sénégal. Il vise à mettre en œuvre un projet qui pourra permettre à des musiciens d’exercer leur métier et aider à la revalorisation des instruments traditionnels qui sont en voie de disparition et ressusciter certains de ces instruments qui ne sont plus utilisés.
On n’entend plus le moolo qui est un instrument à corde, le baylol, un instrument qui a un archet et qui se joue à la bouche et d’autres instruments encore. Il y a la communauté sérère qui a son niaagniorou (rity), les Pulaars ont leur instrument. Je souhaite avoir des endroits précis où faire consommer ces instruments à travers des soirées et concerts. Cela va participer à faire attirer les touristes pour davantage développer le tourisme de notre pays.