NOUS DEVONS RECOURIR A L’IA, MAIS EN L’ADAPTANT A NOS REALITES LOCALES
Dans cette interview accordée à Sud Quotidien, le Directeur de la Conformité d’Afreximbank, Idrissa Diop, a souligné l’importance d’intégrer l’Intelligence artificielle (IA), tout en insistant sur la nécessité d’adapter ces technologies aux réalités local
Dakar a accueilli la 8e édition du Forum annuel d’Afreximbank sur la Conformité, tenue du 4 au 6 septembre 2024, sous le thème : «Une meilleure conformité pour un meilleur commerce : les implications des nouvelles exigences du GAFI relatives à l’identification du bénéficiaire effectif et leurs impacts sur les échanges commerciaux». Dans cette interview accordée à Sud Quotidien récapitulant ce conclave, le Directeur de la Conformité d’Afreximbank, Idrissa Diop, a souligné l’importance d’intégrer l’Intelligence artificielle (IA), tout en insistant sur la nécessité d’adapter ces technologies aux réalités locales, afin de mieux appréhender nos spécificités opérationnelles et de développer des solutions adéquates à nos besoins.
Qu’est-ce que la conformité ?
La conformité consiste à identifier une réglementation, quelle qu’elle soit, et, comme le terme l’indique, à s’y conformer. Cela implique de respecter et d’appliquer les exigences de cette réglementation, tout en veillant à ce qu’elles soient intégrées dans les processus quotidiens. Ainsi, pour une entreprise, il est impératif de s’acquitter du paiement des taxes. Cela suppose de mettre en place un système comptable capable de calculer correctement ces taxes et de les reverser à l’autorité fiscale compétente. De même, une banque ou une société minière, soumise à des obligations en matière de protection de l’environnement, doit intégrer ces exigences dans ses processus afin d’éviter toute pollution. Un élève, quant à lui, doit respecter les règles lors d’un examen, par exemple en évitant de tricher ou d’apporter un ordinateur. Pour illustrer plus concrètement, ce concept consiste à se conformer aux règles en vigueur dans chaque domaine.
Quel bilan tirez-vous de ces trois jours d’échanges avec les acteurs du système ?
Le bilan est très positif. Nous avons organisé un forum qui a rassemblé près de 300 participants issus de 33 pays. Nous avons bénéficié de l’intervention de représentants venant de Russie, des Seychelles, des Etats-Unis, de France, d’Angleterre, et bien entendu d’Afrique. Il s’agissait véritablement d’un forum international dont l’objectif principal était d’assurer que les buts fixés par Afreximbank en matière de promotion du commerce intra-africain soient atteints. Toutefois, nous sommes convaincus qu’il est impossible d’assurer un commerce sécurisé sans mettre en place des processus de conformité rigoureux. Si vous me confiez des fonds et que je les investis dans des structures opaques, cela compromet déjà la relation que nous pourrions entretenir avec des partenaires extérieurs. Nous souhaitons également que les flux financiers liés au commerce soient sains, c’est-à-dire qu’ils ne soient pas associés à des activités telles que le blanchiment d’argent ou la fraude fiscale. La conformité est donc essentielle, car elle permet de filtrer et d’examiner chaque transaction afin de garantir que tout ce qui transite par les circuits financiers ait été contrôlé en amont, assurant ainsi une issue saine. C’est pourquoi le slogan de notre forum était : « Une meilleure conformité pour un meilleur commerce ».
Quel est l’objectif visé par Afreximbank ?
L’objectif d’Afreximbank est de soutenir financièrement les économies africaines, en mettant un accent particulier sur le développement du commerce. Cependant, nous sommes conscients que le commerce peut également entraîner des défis. Nous aspirons donc à promouvoir un commerce sain et, pour ce faire, la conformité doit être au cœur de nos actions afin d’assurer un commerce plus prospère et plus rentable.
En termes de participation et de qualité des interventions, vos attentes ont-elles été satisfaites ?
Oui, nos attentes ont été largement comblées. Nous avons eu des panels de très haut niveau, avec la participation de l’Union africaine, de la BCEAO, des autorités sénégalaises et ivoiriennes. D’autres partenaires étaient également présents, notamment des représentants des Banques centrales du Burundi et d’Égypte. L’ensemble du continent africain était représenté avec un objectif commun : mieux comprendre et respecter nos obligations en matière de conformité, dans le but final de les harmoniser pour parvenir à un commerce plus prospère.
Pourquoi l’Intelligence artificielle (IA) était-elle au centre des discussions ?
Aujourd’hui, il est inconcevable de gérer une banque sans système informatique avancé. Des millions de transactions transitent chaque jour par ces systèmes et, pour assurer leur conformité, il est impensable de se reposer uniquement sur des moyens humains. Nous avons donc besoin de technologies avancées. L’Intelligence artificielle joue un rôle clé dans cette démarche, car elle est omniprésente. Nous l’utilisons déjà dans nos téléphones, et elle s’intègre de plus en plus dans nos activités bancaires. L’essentiel est d’utiliser l’IA de manière réfléchie. Il ne s’agit pas simplement d’adopter une technologie occidentale et de l’implanter dans nos systèmes, comme on brancherait une prise électrique. Cela ne fonctionnerait pas. Il est donc impératif d’adapter ces technologies à nos réalités locales.
Comment tropicaliser ces technologies ?
Tropicaliser ces technologies consiste à inviter les entreprises qui les développent à venir sur nos territoires, à s’imprégner de nos réalités opérationnelles et à concevoir des solutions spécifiques à nos besoins. De cette manière, lorsque nous utiliserons ces systèmes, ils produiront des résultats cohérents. Comme le dit l’expression anglaise : « garbage in, garbage out », autrement dit, si l’on introduit des données incorrectes, les résultats seront nécessairement erronés.
Quel est le niveau de conformité des institutions africaines par rapport au reste du monde ?
Cela fait plusieurs années que je travaille dans le secteur bancaire africain, et j’ai eu l’occasion de voyager dans pratiquement tous les pays du continent pour rencontrer des banques. Nos institutions rencontrent certes des difficultés, mais elles déploient des efforts considérables pour s’aligner sur les normes internationales du GAFI, notamment en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. Cet alignement est crucial pour établir des relations avec des banques internationales et leurs correspondants. Si, par exemple, vous souhaitez acheter un ventilateur en Chine, vous ne pouvez pas le faire directement en CFA, vous devez convertir cette devise en dollars ou en euros, puis en yuan ou renminbi. Ce sont les banques qui facilitent ces flux. Si une banque sénégalaise, par exemple, n’a pas mis en place des systèmes de conformité solides, ses clients ne pourront pas effectuer de transactions avec la Chine. Il est donc indispensable de renforcer ces mécanismes.
Qu’est-ce que la liste grise ?
Le Groupe d’action financière (GAFI) est un organisme intergouvernemental qui surveille les tendances mondiales en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Il collabore avec ses États membres et des organisations régionales pour établir un cadre juridique, réglementaire et opérationnel permettant de lutter contre ces menaces. Le GAFI gère deux listes : une liste noire, désignant les juridictions à haut risque nécessitant une action immédiate, et une liste grise, qui recense les pays s’engageant à remédier aux lacunes de leur cadre de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCBFT). Il est primordial pour les établissements financiers de connaître les pays figurant sur ces listes afin de comprendre les risques réglementaires qu’ils encourent.
En Afrique, où en est-on avec cette lutte ?
L’Afrique de l’Ouest, notamment l’UMOA, a récemment adopté une nouvelle réglementation en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. D’autres pays travaillent également à améliorer leurs processus. Ces nouvelles réglementations sont intégrées dans les procédures de nos banques, permettant ainsi à leurs clients d’effectuer des transactions en toute sécurité. Nous disposons désormais d’une plateforme opérationnelle de plus en plus solide pour lutter contre le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale et le financement du terrorisme. Bien entendu, des défis persistent, mais nous travaillons activement à les surmonter.
Qu’en est-il du Sénégal par rapport à la conformité ?
Le Sénégal est sur la bonne voie pour sortir de la liste grise, ayant intégré dans son cadre réglementaire la loi-cadre de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Actuellement, les banques sénégalaises s’efforcent d’améliorer leurs processus opérationnels et de renforcer leurs dispositifs de sécurité. Cela positionne le Sénégal favorablement pour sortir de cette liste. Il s’agit d’un effort collectif, fruit d’une initiative gouvernementale, où tous les acteurs locaux ont été mobilisés pour mettre en œuvre ce processus. Le GAFI, par l’intermédiaire du GIABA, partenaire de ce forum, effectuera des contrôles afin de confirmer que le cadre opérationnel du Sénégal est désormais suffisamment solide pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.