BABACAR DIAGNE ÉTALE LES DIFFICULTÉS DES PME
Avec un taux de mortalité de 72%, les Petites et moyennes entreprises (Pme) au Sénégal sont confrontés à de nombreuses difficultés
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Avec un taux de mortalité de 72%, les Petites et moyennes entreprises (Pme) au Sénégal sont confrontés à de nombreuses difficultés. Dans cet entretien accordé à «L’As», le président du Conseil des entreprises du Sénégal (Cdes), Babacar Diagne, liste les problèmes que vivent les micros entreprises. Ces difficultés ont pour noms : accès aux marchés publics, rétention de l’information, division du patronat, dette intérieure estimée à 300 milliards... Pour inverser la tendance, le Cdes a formulé plusieurs propositions
DIFFICULTéS DES PETITES ET MOYENNES ENTrEPrISES (PME)
«Des milliers de Pme sont confrontées à des difficultés. La situation est extrêmement difficiles pour les entreprises, pour plusieurs raisons. Déjà, les entreprises qui ont eu la chance d’accéder aux marchés publics peinent à être payées ; la dette intérieure de l’Etat est tellement colossale qu’elle plombe la trésorerie des Pme qui étaient déjà confrontées à des difficultés. A cela, il faut ajouter la problématique de l’accès aux marchés publics. En effet, la quasi-totalité des marchés en génie civil est réalisée par les multinationales. Et celles-ci ne sous-traitent pas les marchés. Ce problème résulte du fait que la bourse nationale de soustraitance ne fonctionne pas. C’est une structure qui est logée au ministère du Commerce. Autrement dit, il n’y a pas un service ou une direction qui fait le monitoring de la sous-traitance des marchés financés par le Budget consolidé d’investissements (BCI). Les gros marchés de l’Etat sont raflés par les multinationales. Si on veut que le PSE soit l’affaire des Sénégalais et qu’il y ait une croissance inclusive, il faut penser aux entreprises nationales dirigées par des nationaux. Il faut une discrimination positive par rapport aux entreprises créées par des nationaux.
DIVISION DU PATrONAT ET réTENTION DE L’INFOrMATION éCONOMIQUE
Le problème des Pme ne découle pas d’une quelconque division du patronat. D’autant que nous nous sommes regroupés autour de syndicats de secteurs bien déterminés. Malgré ce regroupement, nous n’avons pas l’information économique. Il y a un problème d’accès à l’information économique. Il faut une volonté politique pour permettre aux Pme d’accéder aux marchés publics.
FAIBLESSES DE LA BNDE, DU FONSIS, DU FONGIP…
Les petites et moyennes entreprises peinent à avoir des financements. Elles ont tous les problèmes du monde pour accéder aux financements et réaliser les marchés. Les institutions financières ne favorisent pas la promotion des micros et petites entreprises. La BNDE a été créée pour juguler ce problème, mais elle est la banque la plus frileuse du Sénégal. Même le boutiquier du coin est moins frileux que la BNDE. Le besoin en financement des petites et moyennes entreprises est énorme. Il tourne autour de 500 milliards Fcfa. Peut-être que la BNDE n’a pas les moyens de sa politique. Censée être une banque de développement, la BNDE s’est transformée en banque commerciale, mais elle n’a pas les moyens de sa politique pour accompagner les milliers de petites entreprises. Le FONGIP et le FONSIS qui sont des structures d’appui aux petites entreprises ont vu leur budget réduit. D’ailleurs, le budget du ministère du Commerce et des Pme a été divisé à deux. En conséquence, il est impossible de promouvoir les entreprises. Aussi bien le FONSIS (qui gère les grands projets) que le FONGIP sont confrontés à des problèmes de moyens.
SOLUTIONS POUr DES ENTrEPrISES DUrABLES
La solution, c’est de mettre en place un fonds souverain comme le FONSIS, mais exclusivement réservé aux micros et petites entreprises surtout celles qui optent à se formaliser. L’Etat peut lever des fonds de 200 milliards Fcfa pour accompagner les petites entreprises afin de leur permettre d’accéder aux marchés publics et de faire des investissements. Cela donnerait un nouveau souffle au secteur privé. C’est vrai qu’il y existe un problème de formalisation de certaines Pme. C’est pourquoi au niveau du Cdes, nous sommes en train de mettre en place un projet pour faciliter la régularisation des petites entreprises pour leur permettre d’accéder à des financements. Dans ce cadre, nous avons signé, la semaine passée, une convention avec la CGF-Bourses pour mettre en place un plan d’épargne et un fonds d’investissement qui va nous permettre de créer, en 2022, une banque d’investissement pour les petites entreprises. Ce sera une banque commerciale. La seule différence, c’est que les actionnaires seront des entrepreneurs. Elle sera une banque créée par les entrepreneurs pour les entrepreneurs. L’idée est que toutes les micros entreprises fassent leur dépôt dans cette banque. C’est la vision du Conseil des entreprises du Sénégal (Cdes) qui veut se démarquer du patronat politique, du patronat folklorique et du patronat de salon pour mettre en place un patronat économique. L’Etat n’aura d’autre choix que d’accompagner notre projet. La loi sur la promotion et le développement des entreprises, qui devait être votée par l’Assemblée nationale, dort dans les tiroirs malgré les instructions du président de la République. Le Cdes faisait partie des rédacteurs de ce texte. Le vote de ce texte aurait permis d’officialiser l’accès aux marchés publics. Ainsi, les marchés publics de 0 à 50 millions Fcfa seraient exclusivement réservés aux micros et petites entreprises locales. Mais au Sénégal, les multinationales se disputent avec les petites entreprises même des marchés de 10 millions. L’autre problème qui plombe l’accès aux marchés, c’est que les quatre structures de développement et d’accompagnement du secteur privé sont composées de membres des deux grandes organisations patronales. Il faut qu’on change de paradigme en faisant accéder toutes les organisations patronales à ces structures. C’est une manière de démocratiser l’accès à l’information économique. Depuis 40 ans, ce sont les mêmes personnes qui représentent le patronat. Il faut que cela change. Par exemple, aucun vecteur d’opinion du patronat n’est représenté dans le COS Petro-gaz. Comment peut-on faire une croissance exclusive en écartant les petites entreprises? Les membres du Comité appartiennent au CNP et à la CNES qui constituent 2% des entreprises.
LENTEUrS DES DéCAISSEMENTS POUr éPONGEr LA DETTE INTérIEUrE ESTIMéE à 300 MILLIArDS FCFA
J’ai entendu récemment le directeur du Budget dire que l’Etat a déboursé 30 milliards Fcfa pour éponger les dettes des entreprises. Mais lorsque l’Etat débourse 30 milliards pour une dette de 300 milliards, c’est insignifiant. Cette situation a plongé les entreprises dans la galère. Si cela perdure, on va fermer boutique. Il faut impérativement que l’Etat règle ce problème de dette intérieure. L’Etat doit lever des fonds pour payer les entreprises tous les 15 jours. Le Cdes est en train de réfléchir sur des mécanismes pour la rapidité des paiements. On veut mettre en place une société de facturation. Lorsqu’une entreprise aura réalisé un marché de l’Etat, cette société aura la charge de payer les travaux dans les 15 jours, moyennant une commission de 3%. Ensuite, elle sera remboursée par l’Etat. Cela permettra à l’entreprise d’avoir un nouveau souffle. Car, les lenteurs de paiement de la dette intérieure peuvent entrainer l’entreprise dans l’opacité. Aujourd’hui après avoir exécuté un marché de l’Etat, il faut attendre au moins 60 jours pour espérer rentrer dans ses fonds. Aucune entreprise ne peut résister à cette situation, d’autant qu’elle paie cache ses intrants.
L’ENVAhISSEMENT DES ENTrEPrISES MULTINATIONALES
Les entreprises étrangères ne nous laissent rien du tout. Il faut un changement de paradigme, une volonté politique offensive pour nous permettre d’accéder aux marchés. L’Etat doit faire aussi une diplomatie économique. Par exemple dans tous les pays où le Sénégal a investi en terme de militaires dans le cadre du maintien de la paix, (Gambie, Guinée Bissau, Mali etc.), on doit y faire une diplomatie économique afin de permettre aux entreprises sénégalaises d’y gagner des marchés. C’est ce que font la France et le Maroc. En outre, le président de la République devrait voyager avec des entrepreneurs quitte à ce qu’ils prennent en charge leurs frais de déplacement. L’Etat n’a pas à les prendre en charge. Le président de la République croit aux entreprises locales, mais il faut reconnaître aussi que le secteur privé est divisé. Certains ne veulent pas l’unité parce que leurs intérêts seront menacés. Ils veulent que les opportunités d’affaires et les marchés restent entre les mains d’un groupe qui est là depuis 40 ans. Par exemple au Burkina et en Côte d’Ivoire, il n’y a qu’une organisation patronale. Au Sénégal, ceux qui nous représentent n’ont même pas d’entreprises et ils parlent au nom des entreprises.
PrESSION FISCALE SUr LES PME
Le niveau de la pression fiscale est de 30%. Les petites entreprises sont une cible vulnérable, incapable de supporter la pression fiscale. Il faut une discrimination fiscale pour les petites entreprises. Sinon, on va continuer à avoir un taux de mortalité de plus 70% d’entreprises nouvelles crées. C’est pourquoi, le Cdes veut créer la maison de l’entreprise qui est inscrite cette année dans le document stratégique du FMI et du ministère de l’Economie, des Finances et du Plan. Il s’agira de former tous ceux qui veulent entreprendre en leur montrant les obstacles et les opportunités. Après la création de l’entreprise, ils seront formés sur la culture de l’entreprise. Tous les démembrements de l’Etat vont intervenir. On va créer un écosystème. Ainsi, on aura des entreprises durables. Le projet est validé par le Fmi et confié à la Direction des petites et moyennes entreprises. Il paraît que le dossier est déposé même au ministère de l’Economie sans notre accord, alors que nous en sommes les initiateurs. Il y a anguille sous roche.