EXIGER UNE CONTREPARTIE EN TANT QUE" CHASSE GARDÉE"
EXCLUSIF SENEPLUS - Une alliance économique avec la France présente des avantages indéniables, selon Cissé Kane Ndao, expert en management et SG du Conseil départemental de Mbacké - INTERVIEW
L’achat du TER à Alstom, la position de la CEDEAO vis-à-vis de la Gambie, l’élection des 15 députés de la diaspora, les positions anti-CFA, tels sont les points sur lesquels l’expert en Management Public Territorial et Secrétaire général du Conseil départemental de Mbacké, Cissé Kane Ndao, s’est prononcé dans les colonnes de Seneplus. Entretien !
Seneplus : Peut-on dire que la visite du Président Macky Sall à Paris est une réussite au plan économique après la signature de deux prêts financiers à hauteur de 195 millions d’euros ?
Cissé Kane Ndao : J’attends concrètement de voir les retombées impacter le vécu quotidien des populations les plus vulnérables du Sénégal pour en juger. Ces prêts financiers octroyés au Sénégal entrent dans le cadre global du financement d’infrastructures qui seront réalisées par les sociétés françaises, dont Alstom, que notre commande aurait sauvé de la faillite. Car aujourd’hui, le secteur ferroviaire est dominé par le géant canadien Bombardier qui l’a évincée même sur son propre sol. Et la République tchèque vient de passer commande auprès de la Chine pour des TGV ! Donc il est important de trouver de nouveaux débouchés au rail français, et en l’espèce l’Afrique francophone qui est la chasse gardée de la France, avec le Sénégal en tête de pont est le nouveau filon à exploiter pour lui éviter le dépôt de bilan.
Un prêt doit aussi être remboursé. Espérons que l’exploitation de cette cinquantaine de kilomètres qui nous coûtera près d’un millier de milliards de francs Cfa, entre l’acquisition de trains, la réalisation des rails par Eiffage et du réseau électrique avec Engie sera assez rentable pour supporter le remboursement de ces prêts concessionnels, dont on ne connait pas grand-chose non plus des taux d’intérêt.
Comment appréciez-vous cette convention qui permet au major pétrolier Total d’explorer lui aussi notre bassin sédimentaire dans l’Offshore profond ?
Vous savez, je préfère nettement avoir comme partenaire stratégique dans ce domaine des majors à l’expertise confirmée et domiciliés juridiquement dans des pays où la législation permet de lutter efficacement contre les faits de corruption. Maintenant, tout le monde sait que le pétrole draine des enjeux financiers énormes avec beaucoup d’argent qui circule, en terme de commissions et autres retro commissions. Donc ce qui est important, c’est la capacité de notre Etat à imposer ses desiderata comme les autres pays l’ont fait, et de veiller à instaurer la transparence tout au long du processus d’exploitation, et de valorisation de notre patrimoine pétrolier. Et surtout de développer une véritable filière de transformation du pétrole avec la production des sous produits à haute valeur ajoutée sur notre propre territoire, avec à la clé des transferts de technologie permettant la maitrise technologique du secteur, et le recrutement en conséquence d’un personnel sénégalais.
Il faut pour cela s’inspirer de la Chine. Aujourd’hui elle livre des TGV à l’Europe, et leur premier avion commercial a pris les airs. La sortie du ministre Thierno Alassane Sall qui a avoué qu’il n’y aurait pas de transfert de technologie malgré l’investissement colossal réalisé par notre pays qui a signé avec Alstom un contrat somme toute léonin est problématique. Le président Macky Sall devrait prendre en charge cette question et taper sur la table pour exiger l’effectivité de ce transfert de technologie.
Aujourd’hui, certains Sénégalais accusent le Président Macky Sall d’avoir permis à nouveau aux Français d’avoir une mainmise sur les secteurs les plus rentables de l’économie sénégalaise. Votre avis !
Il y a des enjeux géostratégiques à prendre en compte. Il est objectivement plus judicieux d’avoir un partenaire privilégié comme la France au plan commercial, dès lors que la coopération ne s’arrête pas uniquement au plan économique. Vous savez le développement est un processus long et complexe, et il faut bien apprendre avant de pouvoir pratiquer. A titre d’exemple, l’Inde a été un partenaire privilégié de l’Angleterre, aujourd’hui l’Inde a dépassé l’Angleterre au classement des puissances économiques. Et n’oublions pas que l’Union européenne à laquelle appartient la France occupe le rang de première puissance commerciale mondiale avec plus de 25% du PIB mondial. Cela veut dire qu’une alliance économique avec la France présente des avantages indéniables d’autant plus qu’on le veuille ou pas la France avec le compte d’opérations logé à la Banque nationale de France garantit la stabilité du franc Cfa.
Le monde est en train de se diviser en blocs d’influence géostratégiques de plus en plus visibles et nous n’avons pas le droit de ne pas nous déterminer et dans ce cadre aussi, nous ne pouvons pas avoir un partenaire politique de première importance aux côtés d’autres partenaires économiques qui ne partagent pas nos réalités sur ce point. Il est juste de constater une francisation très poussée de notre économie, cela est vrai, il y a d’ailleurs Engie qui va arriver en plus dans le cadre justement du TER, aux côtés des cadors de l’industrie française déjà présents.
C’est au Sénégal d’avoir conscience de sa force diplomatique et de ses potentialités pour exiger la contrepartie satisfaisante à ce qu’il donne. Sinon nous serons toujours exploités, et payés en retour en monnaie de singe. Car, après tout, les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts, et donc quelque soit la nature privilégiée de nos relations bilatérales, nous offrons à la France des débouchés qu’elle n’a plus ailleurs, et des perspectives d’expansion en termes de nouveaux marchés qu’elle ne peut plus conquérir ailleurs sans coup férir.
Donc ouvrons-nous à la France, mais que le Sénégal soit en mesure grâce à ce partenariat économique de réduire fortement le déséquilibre de notre balance commerciale en faveur de la France, qui laisse apparaitre clairement une inféodation de notre pays à notre ancien colonisateur, et fonde certains à qualifier le Président Macky Sall de serviteur de la France.
Un mot sur la Gambie. Malgré les mises en garde de la CEDEAO, Yaya Jammeh déclare qu’il n’y aura aucune investiture du nouvel élu Barrow à la date prévue. Peut-on dire que les risques d’une intervention armée sont bien réels ?
Yaya Jammeh est prêt à tout. Quand un tyran a fini de se convaincre qu’il est l’objet d’une vaste conspiration qui veut sa perte, et que dans le cas de Jammeh, son propre pays est prêt à le livrer à ses ennemis extérieurs, on lui coupe toute retraite. Evitons de le faire sortir de ses derniers retranchements, car il est sûr qu’il n’y a que la mort pour lui, et en conséquence, il est prêt à mourir. Mais il ne mourra pas seul. Et il risque au moindre signe d’attaque militaire de bombarder toute ville sur le territoire sénégalais qui se trouve à portée de son canon. Le Sénégal ne doit pas courir ce risque. Si maintenant la CEDEAO persiste à ne pas lui garantir l’immunité ou à lui trouver un point de chute décent, préparons nous au pire, et commençons à rédiger son oraison funèbre, et à pleurer nos morts !
Que pensez-vous de l'institution de l'élection des députés de la diaspora ?
La diaspora est le premier investisseur social et économique au Sénégal, où elle envoie annuellement près de 1000 milliards. C’est énorme !
Penser à les associer à la vie publique est opportun certes, mais je crois qu’il s’agit d’une question qui ne devrait pas se limiter uniquement à leur octroyer un quota de représentants à l’Assemblée nationale. Déjà au niveau des représentations diplomatiques dans les pays où ils vivent, il serait indiqué de leur manifester le soutien de leur pays et son engagement à leurs côtés. Contribuer à leur assurer des conditions d’épanouissement adéquat dans ces pays est une première urgence que notre pays devrait régler d’ores et déjà.
Maintenant, leur intégration à l’Assemblée nationale ne devrait pas être un prétexte à une augmentation unilatérale du nombre de députés, avec les conséquences au plan financier que cela va engendrer. Surtout que cette mesure a été décidée de manière unilatérale par le régime, qui a mis tout le monde devant le fait accompli ! Les grandes questions qui intéressent la vie de la Nation devraient faire l’objet de larges consensus à mon avis. Et c’est cela qui pourrait garantir une stabilité de notre système et la mise en œuvre d’une solidarité agissante qui contribuera à renforcer le sentiment de patriotisme sur la base d’une citoyenneté qui ne souffrira d’aucune influence politicienne. Sinon, les immigrés pourraient penser qu’il y a des Sénégalais pour le régime, et des Sénégalais contre l’opposition. Et cette intention noble au départ pourrait être contre productive et engendrer une fracture politico-sociale dont nous aurions pu nous passer. Maintenant, personnellement je trouve que 15 députés supplémentaires, c’est beaucoup.
Il se développe de plus en plus un sentiment anti-franc CFA. Pensez-vous qu'il est temps de se départir de cette monnaie, symbole de la colonisation et de la domination française ?
Tant que le compte d’opérations qui garantit le taux fixe d’ancrage du Franc CFA à l’Euro sera logé à la Banque nationale de France, les pays africains qui l’utilisent n’auront jamais de souveraineté financière, et disons-le économique. Ceci explique le contrôle des économies de ces pays dont le Sénégal par la France, dont la présence sur nos terroirs renvoie forcément au néocolonialisme dénoncé par nos pères. Nos pays doivent s’assumer, si véritablement l’intégration africaine et sous-régionale est une réalité partagée par tous nos Etats, et créer une monnaie régionale pour s’émanciper de la mainmise de la France sur nos réserves de change.
Et tant que nous continuerons à renoncer à notre souveraineté économique en inféodant nos pays à la France par cet arrimage de notre monnaie à l’Euro, nous continuerons de perpétuer effectivement la domination de la France sur nos pays, et donc le contrôle par ses soins de nos richesses, sans aucune contrepartie au plan financier. Il faut couper le cordon ombilical qui nous lie à la France par le CFA au plus tôt. En effet, nos dirigeants ont décidé non seulement d’être les vassaux serviles de la France, mais en signant les APE, ils offriront leurs espaces économiques et donc leurs richesses naturelles à l’Union européenne qui parachèvera ainsi le pillage en règle de nos ressources.
Je n’en veux pour exemple que le secteur de la pêche : la pêche traditionnelle capture 300 mille tonnes de poissons par an, c’est ce qu’un bateau-usine battant pavillon européen ramasse en une campagne dans nos eaux ! La contrainte majeure à l’émergence économique de nos Etats est le CFA. Il est temps d’y mettre fin. Cependant que cela ne soit pas un saut dans l’inconnu. En effet, sans intégration économique et politique solide et viable au niveau sous-régional et un engagement irréversible de nos Etats dans la création d’une monnaie unique, il n’y aura pas d’alternative viable au franc CFA.