LE BLUES DES ARTISANS DE SOUMBEDIOUNE
Commerce des produits d'artisanat
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Jadis lieu de convergence des touristes en quête d’un petit souvenir de leur passage à Dakar, le village artisanal de Soumbédioune n’attire plus grand monde. Le taux de fréquentation a drastiquement baissé, plongeant commerçants et artisans dans le spleen.
Samedi matin. A l’entrée du village artisanal de Soumbédioune, Victor Dione, physique chétif et longiligne, barbe fournie, enduit précautionneusement une statuette de tortue d’un liquide noirâtre. Une manière de redonner à cet objet d’art entamé par des termites, car resté longtemps sans acquéreur, un peu de lustre. Au-dessus de la tête du jeune sculpteur, un panneau en verre craquelé créé en 1961, met en évidence et en gros caractères, un message de bienvenue dans ce « berceau de l’identité artisanale sénégalaise ».
Considéré comme la vitrine de l’artisanat sénégalais, le Village artisanal de Soumbédioune, comme un symbole, est à l’image de ce panneau endommagé : il a perdu de son lustre d’antan. Plongeant artisans et commerçants dans un spleen qui se lit sur les visages et sur les objets d’art empoussiérés par une très longue exposition. Comme les masques en bois qui décorent les placards de certaines boutiques, ici, le temps semble figé.
Dans une ambiance tristounette, les vendeurs et artisans se tournent les pouces plus que leurs mains ne manipulent des billets de banque. Moins de touristes, moins d’argent. Pourtant, le Village artisanal de Soumbédioune, à l’organisation spatiale bien structurée, reste l’un sinon le meilleur espace de création et d’exposition de l’artisanat local.
Plus de 2.000 artisans s’activant dans divers corps de métiers comme la maroquinerie, la poterie, la bijouterie, la reliure, la vannerie, la sculpture, la couture, le tissage etc., y font étalage de leur talent. Ici, la matière première brute en bois ou en fer et les produits recyclés sortent des mains des artisans en un chef d’œuvre décoratif ou utilitaire.
Hélas, depuis quelques années, les clients se comptent sur les doigts d’une main. « Je peux rester toute une journée parfois même des jours sans écouler un seul objet d’art », confie Victor Dione qui vient de boucler douze ans de présence dans le Village artisanal. C’est loin le temps où des bus débarquaient des hordes de touristes. Le marché baignait alors dans une ambiance carnavalesque. Les vendeurs se frottaient les mains.
De cette ambiance enfiévrée qui s’emparait des lieux, il ne reste plus que des échos et des réminiscences qui, de jour en jour, deviennent de plus en plus lointaines. « Si c’était aux temps où tout marchait bien, je n’aurais même pas eu le temps de discuter avec vous », confie, nostalgique, Modou Bèye, responsable du corps de la maroquinerie.
Installé ici depuis 1978, ce sexagénaire a vu les chiffres d’affaires et la clientèle fondre comme du beurre au soleil. « On n’arrive même plus à gagner le tiers de ce que nous gagnions à l’époque », explique-t-il derrière son étable où sacs et différents accessoires en cuire, en peau de reptile et en similicuir attendent preneurs. Comme si évoquer cette époque des vaches grasses lui nouait le cœur tel un étau.
Le tunnel de Soumbédioune indexé
Des acheteurs, Aliou Sow, vendeurs d’objets, de masques et de figurines en bois, lui aussi en voit de moins en moins. Selon ses confidences, à la belle époque, il lui arrivait de faire des bénéfices de 100.000 F Cfa par jour. Pessimiste, il ne voit aucune éclaircie à l’horizon. « Je ne pense pas qu’on pourra un jour retrouver la situation d’alors. Aujourd’hui, les meilleurs jours, on se contente juste de 25.000 ou de 30.000 F Cfa », souligne ce quinquagénaire dont l’échoppe fait face au tunnel de la corniche.
Le tunnel. Comme un leitmotiv, les pensionnaires du Village artisanal de Soumbédioune indexent cette infrastructure routière comme la principale source de leur désargentement. Comme si, en le creusant, le gouvernement de l’ancien président Abdoulaye, qui l’a construit en 2007, ensevelissait en même temps les activités des artisans et marchands d’art du Village. Selon eux, cette route souterraine a complètement isolé voire « plongé le site dans l’obscurité », pour reprendre les propos d’Abdoulaye Diallo, président de la Commission presse et information de la Chambre des métiers de Dakar.
« Auparavant, tous ceux qui passaient par la corniche en voiture pouvaient remarquer le village, aujourd’hui, on entre dans le tunnel avant d’arriver au site et l’on y sort après l’avoir dépassé », explique, avec un brin d’ironie, Victor Dione. « Il y a même parfois des touristes qui pensent que cet endroit n’existe plus », renchérit Modou Bèye.
Cet isolement est d’autant plus préjudiciable pour le Village artisanal que, déplore Elhadji Amadou Guèye, aucune stratégie de communication n’est mise en place pour faire la promotion du site. « Ce qui fait surtout défaut, c’est le manque de publicité du village. De l’aéroport à ici, il n’y a aucune affiche publicitaire sur le village. Ici, c’est le berceau du savoir-faire artisan sénégalais, donc les touristes doivent y être orientés à travers une campagne de promotion agressive comme ce qui se fait à Dubaï et à Milan », suggère-t-il.
Mohamed Waiga, président du corps des sculpteurs embouche la même trompette tout en refusant de tout mettre sur le « dos » du tunnel. « Le vrai problème, ce n’est pas le tunnel, mais plutôt le manque de volonté des autorités d’accompagner les artisans. Elles doivent, d’une part, promouvoir le site, le vendre, le mettre en exergue à travers divers canaux de communication et d’autre part soutenir les artisans dans la créativité car presque tout le monde fait la même chose », souligne-t-il.
Chez les pensionnaires du village artisanal de Soumbédioune, ce n’est pas faute d’avoir essayé de revaloriser et de redynamiser la destination de leur site, mais les différentes tentatives, faute de moyens, ont échoué, fait savoir Abdoulaye Diallo. Il est d’avis qu’aujourd’hui, seul le ministère du Tourisme peut redonner vie au site à travers des initiatives de promotion.
« Le Village artisanal fait partie de notre patrimoine culturel, sauvegardons et pérennisons-le. On ne déplace pas un patrimoine. Le savoir-faire sénégalais et le made in Sénégal trouvent tout leur sens ici », plaide-t-il comme pour répondre au député Cheikh Omar Sy qui a émis l’idée de délocaliser le Village artisanal aux abords du Monument de la Renaissance.