LE FRANC CFA NE VA PAS PORTER NOTRE DÉVELOPPEMENT…
L'EXPERT EN DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL RENÉ LAKE : UNE MONNAIE DÉCONNECTÉE DES RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE NATIONALE TUE LE DYNAMISME INTERNE NÉCESSAIRE À LA CROISSANCE
Alors que des voix en Afrique s'élèvent de plus en plus pour demander la suppression du franc CFA, SenePlus.com a décidé de publier une interview de René Lake réaliséée par le magazine RÉUSSIR et déjà publiée il y trois ans, le 25 janvier 2014.
Depuis Washington où il réside depuis plus 20 ans, notre compatriote René Lake soutient que si notre objectif est de développer le Sénégal par la croissance économique, cela ne pourra pas se faire dans la Zone franc.
Vous soutenez la nécessité pour le Sénégal et les pays de la région de sortir de la Zone franc. Pourquoi ?
J'ai envie de vous répondre par une question : qu'est-ce que la parité fixe du Cfa avec le franc français, et maintenant avec l'euro, a-t-elle rapporté au Sénégal et aux pays de la Zone franc ? Pas grand-chose, à part la garantie de la convertibilité qui n'est pas essentielle dans notre problématique de développement. Ma perspective est celle d’un développement durable et non d’une dépendance économique perpétuelle, basée sur une supposée “coopération internationale”.
Le Franc CFA, du fait de sa parité fixe avec l'euro, facilite les importations. C’est un avantage en particulier pour l'élite africaine qui a des besoins de consommation extravertis. Cela n'apporte rien à la création de richesses au plan intérieur. Au contraire, cela rend les coûts des produits locaux bien plus élevés qu'ils ne devraient l'être pour être compétitifs au plan national et à l’international.
Une monnaie nationale ne serait-elle pas trop faible ?
Une monnaie faible n’est pas, en soi, un problème. Bien souvent, c’est une grande opportunité surtout si l’on veut stimuler les investissements venant de l’étranger. Les Etats-Unis, sous Bush, ont bénéficié de la faiblesse du dollar pour financer l’effort de guerre et maintenir l'expansion de leur économie.
La Chine ne cesse de profiter de sa monnaie faible au point que les Usa et l’Europe sont en train de leur mettre une pression terrible pour qu’ils réévaluent le Yuan. À contrario, l’euro trop fort est un handicap majeur pour les économies européennes, sauf l’Allemagne, la seule à pouvoir supporter son taux élevé de change sur le marché monétaire international, voire y tirer un réel avantage.
Vous pensez qu'une monnaie locale ou régionale va booster l'économie des pays de la Zone CFA ?
Le dynamisme du marché intérieur se crée par des réformes. D’abord, il faut une monnaie qui corresponde à la réalité du marché intérieur ; puis, réformer les lois sur le domaine national pour permettre une monétarisation de la terre par le biais des titres fonciers. Cela permettra aux paysans et grands fermiers d’accéder au crédit bancaire pour s’équiper et exploiter la terre.
Après la dévaluation du FCFA, nos marchés internes n’ont jamais été aussi dynamiques. Nous avons battu tous les records de croissance. C'est la preuve qu'une monnaie, déconnectée des réalités de l’économie nationale, tue le dynamisme interne. Comment voulez-vous qu'une monnaie d'un pays pauvre soit arrimée à une autre monnaie d’un pays développé et que cela soit favorable à la création de richesses ? Franchement, il s'agit là d'une question de bon sens…
Un avantage au maintien dans la Zone franc est la rigueur dans la politique monétaire que nous impose l'existence du franc Cfa. Qu'en pensez-vous ?
Une monnaie nationale ou régionale, gérée par un ou des gouvernements responsables et engagés dans la bonne gouvernance politique et économique, permet d’utiliser la planche à billets pour stimuler l’économie, dans certaines situations. C’est ce qu’Obama et, avant lui, Bush ont fait pour relancer l'économie américaine et maintenir des taux d'intérêt très bas pour stimuler les investissements, renforcer la production et accroître les exportations. De même, François Hollande fait des propositions audacieuses dans le contexte de l'UE, sur la Banque centrale européenne.
Sans un contrôle des mécanismes d’émission monétaire, on se prive d’un instrument financier essentiel au développement. C’est comme si une entreprise voulait se développer sans accès au crédit.
Il faut donc se débarrasser du FCFA au plus vite ?
Oui ! Pour enfin valoriser la production locale et créer de la richesse intérieure. Les investissements venant de l’extérieur (y compris de la Diaspora) vont se multiplier et il n’y aura pas de limite aux opportunités d’investissements. Il n’y a rien de nouveau dans mon propos. C’est une question de bon sens, basé sur l’expérience des autres. Je ne connais aucune économie au monde, viable et qui soit basée uniquement sur la capacité d’importation du pays. Le seul véritable avantage du FCFA, c’est faciliter les importations et c’est bien là le problème ! Une économie de croissance ne peut pas être centrée autour d'une politique d'importation.