LE GAZ «TROUBLE» LA PECHE LOCALE
E-Media s’est rendu à Saint-Louis pour tâter le pouls de la pêche menacée par l’exploitation du gaz de Grand Tortue Ahmeyim
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Le chef de l’Etat réserve sa première sortie à l’extérieur à la Mauritanie. Bassirou Diomaye Faye va donc poursuivre les relations huilées entre les deux pays, désormais plus cimentées par le partage du gaz. Mais il y a aussi l’aspect environnemental qui devrait prendre une place importante pour ne pas troubler la pêche artisanale qui n’a plus la… pêche. E-Media s’est rendu à Saint-Louis pour tâter le pouls de ce secteur menacé par l’exploitation du gaz de Grand Tortue Ahmeyim. C’est là aussi, au-delà des retombées attendues, un autre défi du nouveau régime qui a hérité du dossier explosif des complaintes des populations.
En face de la mer, sur les côtes saint-louisiennes, une dizaine de femmes guettent l’arrivée des pirogues. Certaines prises de froid grelottent pendant que le soleil se décline à l’horizon. Malgré le vent de fraîcheur qui souffle sur les lieux, pas question pour elles de jeter leur patience dans les profondeurs des vagues. Une endurance qui a fini par payer. Une petite embarcation vient d’accoster. En revanche, la moisson n’a pas été bonne, fulmine Mohamed Mbaye, pêcheur GuetNdarien. Une sexagénaire lui emboîte le pas. «Vous voyez ce que nous vivons au quotidien. Je vais rentrer encore bredouille !», regrette la dame, sur un ton taquin. Une autre, plus chanceuse, montre son seau rempli de poissonnets. Ces braves femmes quittent la plage dépitées, laissant derrière elles, une plateforme objet de toutes les critiques. «Les semaines s’enchaînent et se ressemblent», déplore une vendeuse de poissons. Le lendemain lui donne raison. De retour sur les lieux : un vent morose souffle sur le site de transformation de produits halieutiques, dans la plage du quartier hydrobase. Sur place : une poignée de transformatrices. Mame Fatou Dièye en quête de matière première, sur une embarcation de fortune, exprime son rasle-bol. «Nous en avons assez de parler aux médias. Depuis des années, nous alertons en vain», s’exclame la mère de famille. Le contexte de sa journée justifie son pessimisme : une table sans matière (poissons) et un panier vide. «Vous pouvez le constater vous-même. Le poisson se fait rare et notre activité est en berne», ajoute la transformatrice. Interrogée sur la question, elle ne va pas jusqu’à indexer la plateforme gazière. Mais d’autres acteurs de la chaîne le croient dur comme fer. Ils font la corrélation entre les maux de leur secteur ces dernières années et le Grand Tortue Ahmeyim (Gta) au large de Saint-Louis entre le Sénégal et la Mauritanie.
Pêcheurs, transformatrices, écologistes, pestent contre les «effets néfastes»
C’est une véritable ville flottante. Et d’ailleurs, les dernières pièces du puzzle sont presque posées en mer. Le Navire flottant de gaz naturel liquéfié (Flng) est arrivé à bon port. Les travailleurs, près de 216 personnes, ont déjà leur QG marin, accosté à la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie. D’après British Petroleum toujours, l’unité flottante de production, de stockage et de déchargement met le cap sur le site, au large de Saint-Louis. De bonnes nouvelles, se réjouissent les différents partenaires du projet. Mais la ressource offshore, tant prisée, semble assise sur une vague d’inquiétudes. Sur la Langue de barbarie, pêcheurs, transformatrices, écologistes, pestent contre les «effets néfastes» de la phase 1 du champ gazier Grand Tortue Ahmeyim (Gta) sur leur secteur. Un champ dont la capacité de production est estimée environ 2,3 millions de tonnes de Gnl par an, ne fait plus rêver une partie des communautés. Au cœur de leur mal de mer économique et écologique : Diatara.
Diatara, «une zone rocheuse, poissonneuse et gazeuse»
Sur la langue de barbarie, toutes les critiques sur la situation de la pêche mènent vers un seul endroit : Diatara. El Hadji Douss Fall ne dira pas le contraire. L’homme, pêcheur à la ligne, a une parfaite maîtrise des côtes de Ndar et en dehors de ses frontières. «Douss», comme on le surnomme, a surfé sur plusieurs vagues du continent africain. De 1985 à aujourd’hui, l’expérimenté a péché dans les eaux de la Gambie, de la Mauritanie, de la Guinée Bissau, du Gabon, voire du Liberia. De nos jours, il porte sur ses épaules une association de plus de 600 membres. En casquette, la main droite posée sur une pirogue, El Hadji Douss Fall, observe avec méditation les navires des gardes côtes. Une surveillance pour respecter la «fameuse» distance des 500 mètres entre la plateforme et les pêcheurs. Pour des raisons de sécurité, ils ne doivent pas s’en approcher. Le cinquantenaire explique Diatara : «C’est le nom d’une zone rocheuse et poissonneuse, le lieu de prédiction des pêcheurs à la ligne. Et c’est justement sur ce site que B.P a installé sa plateforme.» D’après lui, le doute n’est pas permis : «Les caissons posés en mer à une dizaine de kilomètres des côtes et les installations industrielles modifient forcément l’écosystème marin.» Chaque caisson pèse 16000 tonnes, mesure 55 mètres de long sur 28 mètres de large et 32 de hauteur. Des chiffres en profondeur de la mer qui inquiètent aussi la secrétaire adjointe du Comité locale de pêche artisanale (Clpa). Elle est sur le sable blanc. Derrière elle, se trouve le site de transformation de produits halieutiques, à hydrobase. Également militante de l’environnement, elle rappelle que Diatara est «un creuset de biodiversité qui permettait aux pêcheurs, de l’ancienne génération aux plus jeunes, d’attraper les poissons nobles». La dame enchaîne avec un autre regret. Pour Fama Sarr, l’Etat du Sénégal devait obliger l’entreprise British Petroleum à mener des études plus poussées avant de démarrer ses activités. «Le mal est déjà fait», estime-t-elle. Alors, il faut des solutions. Sauf que la responsable de femmes transformatrices s’empresse de souligner que «la pose de récifs artificiels au large de Saint-Louis», l’une d’entre elles, s’est soldée par un échec. «Des récifs posés en mer ont été retrouvés à Lompoul et à Potou», se désole Fama Sarr. Face aux complaintes des communautés, les structures étatiques interpellées jouent la carte de l’assurance.