CHEIKH MBOW AU TABLEAU
Cheikh Mbow, Directeur exécutif de la Coalition des organisations en synergie pour la défense de l’éducation publique (Cosydep), analyse, dans cet entretien réalisé avant les instructions du chef de l’État relatives à l’éducation, en conseil des ministres
Cheikh Mbow, Directeur exécutif de la Coalition des organisations en synergie pour la défense de l’éducation publique (Cosydep), analyse, dans cet entretien réalisé avant les instructions du chef de l’État relatives à l’éducation, en conseil des ministres ce mercredi, la situation de l’école qui est «impactée par la dernière crise politico-électorale», interpelle les autorités sur les grands défis, constate l’absence de l’école aux Assises de la Justice. M. Mbow estime aussi que l’école doit être «plus résiliente, plus robuste face à des chocs exogènes». Les nouvelles autorités, à ses yeux, doivent faire la différence dans ce domaine. D’où son vœu de voir ces dernières démontrer qu’elles ont «bien compris les messages des communautés durant cette dernière décennie».
Avec l’avènement du nouveau pouvoir, quelles pourraient être les attentes pour le secteur éducatif ?
Nos attentes vis-à-vis de ces nouvelles autorités sont, d’abord, qu’il est important de commencer par faire l’état des lieux. Il y a eu beaucoup de questions, qui ont fait l’objet de polémiques. Et, il est important, à notre avis, qu’on puisse débuter par un état des lieux objectif, qui puisse nous permettre de savoir où est-ce que nous en sommes et d’identifier les lacunes, les gaps et les défis pour pouvoir avancer. L’état des lieux devrait nous conduire vers l’évaluation de tous les réformes et autres programmes que nous avons vécus dans la période. Il y a eu des réformes, à travers le système Lmd, au niveau de l’université, Uvs, sur la mise en œuvre des recommandations issues des Assises nationales de l’éducation et de la formation, de la Concertation nationale pour l’enseignement supérieur, le Paquet. Donc, il y a une série de programmes, d’innovations, de réformes qui méritent aujourd’hui d’être bien évalués pour pouvoir prendre en compte des suggestions ou recommandations qui pourraient en être issues. La deuxième attente, c’est de voir les nouvelles autorités démontrer qu’elles ont bien compris les messages des communautés durant cette dernière décennie. C’est une décennie où nous avons eu une Société civile assez audible, des citoyens qui ont montré qu’ils sont les principaux bénéficiaires du système éducatif, mais aussi qu’ils devraient en être les principaux commanditaires ; les demandes liées à l’introduction des langues nationales, à la question de la diversification des offres d’enseignement, notamment les daraas, la problématique de la formation professionnelle, de l’éducation inclusive, la prise en compte de nouvelles questions telles que le numérique, la petite enfance, qui a été un sous-secteur qui a été pendant longtemps négligé, la question des valeurs, la problématique de l’insertion et de l’emploi sont des demandes qui ont été fortement exprimées par les communautés. Et, nous espérons que les nouvelles autorités vont aider à trouver les réponses, les initiatives et les orientations qu’il faut pour pouvoir adresser justement ces aspects.
Les premiers pas de ces nouvelles autorités vous rassurent-ils à propos du secteur éducatif ?
En termes de premiers pas, ce que nous avons constaté et qui nous rassure, c’est évidemment le fait que nous avons eu des autorités qui semblent mettre en avant le dialogue et la concertation. Le nouveau ministre de l’Education, par exemple, a eu à recevoir presque toutes les catégories d’acteurs ; ce qui est un signal important. Ils ont organisé un Conseil interministériel sur la problématique des examens et concours ; ce qui est aussi à saluer. Donc, tant qu’ils sont dans une perspective de privilégier le dialogue, la concertation dans le secteur, qu’on ait un ministre qui se positionne plus en animateur, manager, coordonnateur du secteur, il pourrait, bien évidemment, valoriser chaque acteur du secteur, bénéficier des apports multiformes de chaque acteur du secteur. Dès le début, nous avons dit que notre attente principale, quand on était à l’écoute du nouveau gouvernement, c’était de retourner à l’orthodoxie quant à l’organigramme ou l’organisation-même du système. Nous rêvions du retour du grand ministère de l’Education. Nous pensons, jusque-là, que nous devons agir en système. Parce que les connexions existent entre les différents ministères et au niveau interne. A propos de l’éducation, dans son sens large, pour nous, il nous faudrait avoir l’audace de retourner à ce grand ministère. Ce qui nous permettrait de garantir la cohérence d’ensemble et même de régler des questions de ressources. Et nous avions dit, à défaut, qu’on devrait au moins avoir deux ministères : un qui est en charge de l’éducation et de la formation, et un autre de l’enseignement supérieur. Mais, bref, nous sommes restés dans la même structuration avec les trois ministères. Nous sommes à l’écoute des directions et agences. Si vous prenez l’exemple de la petite enfance, qui était très sous financée, moins d’1%, et qui se retrouvait dans la Direction de la petite enfance et du préscolaire dans l’Agence nationale de la case des tout-petits… Pour nous, cette approche dispersée ne pouvait pas nous permettre de rationaliser nos ressources.
L’école a connu une année mouvementée, avec les violences politiques qui se sont soldées par des morts, de nombreux arrêts de cours, des attaques contre l’Ucad (instituts de formation et facultés), mais aussi l’élection présidentielle. Les examens vont se tenir aux dates prévues. Que vous inspire cela ?
L’école a été effectivement bien secouée. On se rappelle ce qui s’est passé au Sud du pays. Il y a eu des établissements, des Cem, des écoles et instituts qui ont été saccagés, des matériels scolaires qui ont été aussi détruits. L’université Cheikh Anta Diop a connu une fermeture d’une année académique (presque 8 mois) à cause des turbulences politiques, cela montre aussi que l’éducation a été secouée. A Saint-Louis, à l’Université Gaston Berger (Ugb), nous avons enregistré 3 morts à cause des violences, l’année scolaire a été perturbée. Peut-être que nous n’avons pas connu des perturbations endogènes, venant du système lui-même, de grèves d’enseignants comme on a eu à les vivre, liées à des facteurs exogènes… Le jeu politique a impacté négativement le système éducatif. Il y a eu des vacances forcées. On a anticipé sur des vacances scolaires parce que simplement on craignait qu’il y ait telle ou telle turbulence. Cette crise politique a bien secoué le secteur de l’éducation et de la formation. Et cela s’est produit de manière inéquitable, puisque certaines zones ont été plus secouées que d’autres, alors qu’à l’heure du bilan, ils vont subir tous les mêmes évaluations. Maintenant, nous avons toujours dit qu’on peut comprendre que le système éducatif, qui est une société en miniature, puisse subir les soubresauts de la société. Mais nous considérons que, plus que cela, nous devons être un laboratoire qui construit des réponses pour la société. Nous pouvons vivre les violences, mais nous devons apporter des réponses à ces violences.
Sur quoi devrait-on se projeter au sujet des perspectives pour l’école ?
C’est d’abord de demander que la question en lien avec ces perturbations et en lien avec ce que nous avons vécu avec la crise sanitaire et toutes les autres menaces, que ce soient des crises environnementales -à Saint-Louis, des écoles sont détériorées, des fois même délocalisées, des situations particulières, dans les îles du Saloum, à Fatick, la question de la salinisation, au niveau des frontières où il y a la menace sécuritaire-, tout cela nous amène, en termes de perspectives, à renforcer la résilience du système. En tout cas, nous y croyons. Le système éducatif doit être plus résilient, plus robuste pour pouvoir faire face à des chocs exogènes. Renforcer la résilience signifie concrètement qu’on puisse améliorer l’environnement des apprentissages. Des écoles doivent être clôturées. Une école clôturée, avec un gardien, ne peut être facilement atteinte par des manifestants. On doit y avoir de l’eau pour des sanitaires qui sont fonctionnels ; le cadre d’apprentissage doit être convivial. Il y a un minimum qu’il faut assurer. Or, si on regarde l’architecture de notre pays, ce qui est réservé à l’investissement, donc pour renforcer la résilience, est très faible. Donc, la résilience est une attente forte pour nous. Et, nous espérons que ces nouvelles autorités montrent la différence dans ce sens-là. Le deuxième élément, pour nous, c’est la vision. Il faut qu’on puisse stabiliser cette vision, montrer que l’école devrait continuer à être ce socle de développement, l’école devrait pouvoir écouter les autres acteurs. Actuellement, on est en train de vivre les Assises de la Justice, mais l’on se rend compte que le secteur de l’éducation n’y a pas été convié. Si nous n’avons pas une perception de répression par rapport à la Justice, nous devrions justement penser que les réponses qui seront sorties de ces assises devraient être portées par l’école, l’éducation, les lieux d’apprentissage, pour que les enfants grandissent avec des valeurs, pour que justement plus on avance d’ailleurs, qu’on soit dans une perspective de remplacer des prisons par des écoles. Il est temps qu’on ne soit plus dans cette perspective de répression.