«L’ANALYSE DE CES PLATEFORMES REVELE DES FAILLES STRUCTURELLES
El Cantara Sarr, Sg Siens, se prononce sur la continuité pédagogique

La pandémie du Covid-19 a renvoyé 3.510.991 apprenants dans les écoles publiques et privées du Sénégal. Pour le maintien du lien pédagogique dans le respect du principe «d’équité et de qualité», communément appelé continuité pédagogique, le ministère de l’Education nationale a décidé de dématérialiser les cours, avec ses différentes plateformes en ligne pilotées par le Système d’information et de management de l’Education nationale (SIMEN). toutefois, «l’analyse de ces plateformes révèle des failles structurelles», selon le secrétaire général du du syndicat des inspectrices et inspecteurs de l’éducation et de la formation du Sénégal (Siens), dans cette seconde partie de l’entretien accordé à Sud Quotidien. El Cantara Sarr pointe du doigt le caractère non exhaustif du périmètre des curricula et niveaux d’enseignement, leur accessibilité difficile sinon impossible pour des parents en grande majorité analphabètes, le manque d’interactivité et de mise à jour régulière, la non utilisation de toutes les potentialités technologiques (vidéos et audios notamment par le biais de capsules pédagogiques sur des contenus ou séquences pédagogiques)… L’autre faiblesse décelée par l’inspecteur de l’éducation, est l’iniquité profonde en termes d’accès aux ressources numériques et de capacité à se les approprier en particulier pour les élèves localisés dans des écoles et établissements non couverts par le réseau internet qui ne touche que respectivement 22.5%, 12.9%, 35.7% et 55.3% des structures du Préscolaire, de l’Elémentaire, du Moyen et du Secondaire. D’où, indique-t-il, la nécessité d’un changement social profond.
On parle de continuité pédagogique dans ce contexte de pandémie. Quelle est la pertinence des plateformes mises en ligne ou l’analyse de la capacité systémique à transformer les mesures correctives en plus-values ?
Le plan d’action du ministère de l’Education nationale (Men) intègre outre les aspects coordination, sensibilisation et information sur les mesures idoines de prévention et de riposte, des stratégies pour faire bénéficier aux apprenants «d’un apprentissage continu, adapté et de qualité» qui se décline concrètement par la réorganisation du temps scolaire, la mise en place de plateformes numériques, la production de capsules pédagogiques et de supports médias, la création de contenus permettant «d’apprendre à la maison». Concrètement, en plus des supports déjà disponibles au niveau de certains médias privés avec des succès divers et une assez bonne pénétration du «marché», le Ministère de l’éducation nationale (Men) mise principalement sur les ressources numériques disponibles sous formes de cours en ligne sur le portail education.sn, la mise à disposition d’informations scolaires (bulletins de notes, emplois du temps, relevé des absences notamment) aux parents via le site Planète eleve 2.0 … L’analyse de ces plateformes, supports et contenus d’origines diverses qui obligent les différents acteurs (enseignants, apprenants et parents) à interroger et réformer leurs pratiques et représentations, révèle des failles structurelles : leur caractère non exhaustif (tout le périmètre des curricula et niveaux d’enseignement n’est pas couvert), leur accessibilité difficile sinon impossible pour des parents en grande majorité analphabètes, le manque d’interactivité et de mise à jour régulière, la non utilisation de toutes les potentialités technologiques (vidéos et audios notamment par le biais de capsules pédagogiques sur des contenus ou séquences pédagogiques)… Par ailleurs, l’infrastructure du système révèle des iniquités profondes en termes d’accès aux ressources numériques et de capacité à se les approprier en particulier pour les élèves localisés dans des écoles et établissements non couverts par le réseau internet qui ne touche que respectivement 22.5%, 12.9%, 35.7% et 55.3% des structures du Préscolaire, de l’Elémentaire, du Moyen et du Secondaire. S’y ajoutent le cas spécifique des élèves à besoins éducatifs spéciaux et handicapés qui constituent entre 0.3% (secondaire) et 0.5% (élémentaire et moyen) de l’effectif global selon les dernières statistiques institutionnelles, en plus de la faiblesse et/ou vétusté du parc informatique malgré les efforts réalisés à côté du Système d’information et de management de l’Education nationale (SIMEN) et dans le cadre des «ressources numériques pour tous» qui aurait permis selon une source proche du Men, d’implémenter dans le réseau «190 classes numériques mobiles, 240 mallettes informatiques composées chacune d’une imprimante, d’un vidéoprojecteur et d’une application interactive, 20 Salles multi-sites : serveur multipoint, 20 écrans et terminaux clients légers, 20 classes numériques communicantes et la dotation en caméras supplémentaires à la DRTS. Intrant pour la production de ressources numériques en mathématiques, sciences physiques et philosophie en classe de Terminale pour 240 lycées». Au-delà de ces limites objectives, il s’y ajoute une profusion de contenus et de supports à travers différents médias (télévisions et internet notamment), un manque de coordination entre intervenants dans un domaine aussi réglementé, l’absence d’un dispositif de validation à travers l’IGEF notamment et enfin le profil bas incompréhensible de la radio et télévision nationale (RTS). Comment expliquer cet état de fait si l’on prend en considération l’unicité de la cible (élèves et enseignants) et les prérogatives ministérielles en la matière, l’expérience indéniable dont dispose la RTS en matière de radio et télévision scolaire avec notamment la DRTS au niveau du Men ? Et tout est fait comme si, le dispositif ne parvenait pas à capitaliser toute une tradition d’apprentissage par les TIC (radio, télévision, ordinateurs…) et venait de se rendre compte de l’impératif de recourir aux nombreuses possibilités offertes et jusque-là sous estimées. Rappelons que l’expérience systémique en la matière remonte à 1964 avec la radio dans le cadre de la méthode «pour parler français» du Centre de Linguistique Appliquée de Dakar (Clad), en 1978, la télévision scolaire fait son entrée dans le système éducatif. Au début de 1997, on note une entrée massive des ordinateurs dans les établissements scolaires, un développement de l’internet, beaucoup d’interventions (ONG, agences et même gouvernement) visant à favoriser la continuité des apprentissages et la qualité de l’enseignement. Dans ce registre, s’inscrivent les expériences avec SENECLIC, une agence gouvernementale, le projet Sankoré piloté par le Men et tout récemment, pour faire face à l’afflux massif d’étudiants dans l’enseignement supérieur, la création et le développement des Universités Virtuelles à travers les Espaces Numériques Ouverts (ENO) qui profitent de l’environnement technologique favorable pour répondre à une demande de formation au-delà des contraintes de ressources, d’expertise et de distance. Ces expériences ont permis au système de bénéficier d’une expertise réelle qui, malgré les contraintes répertoriées dans l’usage des Tic à des fins pédagogiques (absence de cadre technique de coordination et d’une politique de développement de contenus pédagogiques, absence d’évaluation, une focalisation sur l’informatique administrative –finances, courrier, personnels…-, la dépendance technologique, l’apparition de nouvelles charges pour les établissements scolaires, l’absence d’un modèle d’intégration consensuel et validé au niveau institutionnel, la faiblesse du parc technologique (radios, téléphones, ordinateurs…), peut être mise à profit dans une logique de réponse appropriée qui jusque-là est encore largement en deçà des capacité réelle du système d’éducation et de formation.
Quels enseignements tirez-vous de la prospective en matière de stratégies palliatives en situation de crise à l’aune du modèle expérimenté sur l’initiative des pouvoirs publics et des acteurs du secteur privé ?
Cette conjoncture de crise pandémique a expulsé l’Ecole d’ellemême. Elle n’est plus dans son périmètre traditionnel et se retrouve à la maison, au ministère et dans des plateformes privées (télévisions et réseaux sociaux notamment). Et cette situation qui semble devoir durer impose à tous les acteurs de réfléchir à des alternatives aux schémas classiques d’apprentissage ; d’où la nécessité d’un changement social profond pour le maintien du lien pédagogique dans le respect du principe d’équité et de qualité. Ces considérations imposent à notre système d’Education et de Formation pour plus d’efficacité, la prise en charge pertinente de plusieurs aspects. Il s’agit de concevoir un dispositif alternatif avant d’agir et prendre des mesures proportionnées, réalistes et efficaces. Il est important que le ministère coordonne et valide par ses services habilités notamment les inspections générales de l’éducation et de la formation (Igef), la division radio télévision scolaire (Drts)…toute activité en la matière de sorte à proposer aux apprenants des activités ayant du sens, conformes aux curricula et pouvant être effectivement accomplies. Au niveau des CRFPE qui forment actuellement les élèvesmaîtres, les directives de la tutelle pour atténuer l’agression du quantum horaire et préserver l’intégrité du calendrier académique, incitent à recourir aux supports les plus populaires (WhatsApp, Skype notamment…). Et les réponses pédagogiques recensées reposent majoritairement sur la plateforme WhatsApp, laquelle est alimentée par des formateurs (synthèse de cours, fascicules, corrigés d’exercices…) qui n’hésitent pas à intervenir sous forme audio et vidéo en fonction de la demande des stagiaires. L’autre piste est de repartir de l’enseignant et de ses élèves pour penser et opérer la continuité pédagogique. Si certains pensent qu’il suffit de mettre à disposition des ressources de quelque nature que ce soit, ils oublient que la relation pédagogique est une forme de contrat qui est constamment interrogé dans le quotidien de la classe et qu’il faudra interroger aussi dans la situation actuelle pour redéfinir le contrat pédagogique entre les enseignants, les élèves et les familles.
Quel doit être le rôle des parents d’élèves dans ce contexte d’enseignement à distance ?
La dématérialisation des cours va nécessiter une attention particulière des familles, ne seraitce que pour s’assurer de la présence et du suivi des apprenants. L’enseignement à distance pose ainsi la question de l’égalité, ou encore de l’équité devant l’accès aux connaissances, d’autant plus que les familles ne sont pas toutes en mesure d’apporter le même soutien à leurs enfants. D’un point de vue technique, un enseignement à distance repose essentiellement sur l’équipement personnel des enseignants et des parents à domicile. Tout le monde ne maîtrise pas ces outils, et certains enseignants n’en disposent tout simplement pas. L’enseignement à distance sera donc générateur et amplificateur d’inégalités sociales qui pèsent déjà lourd en temps normal. De plus, certaines parties de l’enseignement ne peuvent être effectuées à distance, d’où une difficulté à certifier ces apprentissages notamment dans le professionnel. Avec l’enseignement à distance, les familles vont prendre une place plus importante dans le dispositif éducatif avec pour conséquence, si la crise venait à s’éterniser, un bouleversement de l’école sous sa forme actuelle. En effet, il est fort probable que l’école ne retournera pas indemne à son ancien fonctionnement. Il va y avoir un déplacement de gravité de l’enseignant vers le parent du fait qu’un bon nombre de familles qui auront soutenu plus que d’- habitude leurs enfants, vont se sentir interpeller par des questions pédagogiques et didactiques et auront beaucoup plus qu’avant leur mot à dire là-dessus. « Si la famille fait école, elle pourra dire qu’elle peut continuer à faire école, et être Coéducateur dans l’école » avec le risque de faire augmenter le nombre de conflits. En plus, il va falloir interroger davantage l’implication des collectivités territoriales dans ce dispositif d’enseignement à distance, notamment en en ce qui concerne l’accompagnement des familles moins nanties en matériels et supports technologiques. Ainsi, la continuité pédagogique bien comprise ne consiste pas uniquement à une mise à disposition de ressources sur des plateformes diverses (radio, télévision et internet notamment), elle vise surtout à maintenir un lien pédagogique entre les enseignants et les élèves, à entretenir les connaissances déjà acquises par ces derniers tout en permettant l’acquisition de nouveaux savoirs. La continuité pédagogique doit permettre de maintenir un lien entre l’élève concerné et ses enseignants et camarades. À cette fin, le directeur d’école ou le chef d’établissement s’assure, notamment en prenant appui sur les réseaux existants (en particulier les espaces numériques de travail et la messagerie électronique), que l’élève a accès aux supports de cours et qu’il est en mesure de réaliser les devoirs ou exercices requis pour ses apprentissages. Afin de favoriser le maintien d’échanges entre l’élève et les enseignants, l’ensemble des autres moyens de communication peut être mobilisé. Il est ainsi important que le directeur d’école ou le chef d’établissement établisse le contact avec les familles d’enfants devant rester à leur domicile, et que soient expliquées aux parents les conditions dans lesquelles la continuité pédagogique est assurée tout en prenant les dispositions utiles pour les assister dans leur usage.
Les inspections d’académie, niveau déconcentré du ministère, tout comme la DRTS, ont aussi une mission prépondérante ?
Aussi, le Men tenant compte de la nature de la crise doit répondre de manière urgente à quelques impératifs. Il s’agit de faire l’inventaire, coordonner et pré valider toutes les initiatives (du Public comme du Privé) tenant compte de ses prérogatives de contrôle du respect de la norme qui n’est pas en contradiction avec l’option de diversification de l’offre éducative. Du point de vue d’une meilleure équité dans la définition des réponses pédagogiques, il est essentiel d’impliquer le niveau déconcentré (les inspections d’académie, les inspections de l’éducation et de formation, directeurs d’écoles et Chefs d’établissements), de les doter d’outils et de ressources susceptibles d’en faciliter l’appropriation par les enseignants, apprenants et familles, car il ne sert à rien de concevoir un dispositif s’il n’est pas opérationnel et efficace. La Drts, tout comme l’ADIE, et le SIMEN, devra jouer un rôle majeur afin de construire, recenser et actualiser en toute urgence une masse critique de ressources pédagogiques numériques pour tous les niveaux d’enseignement, accessibles sur l’ensemble des plateformes (télévisions, radios, sites Web, téléphones) et médias (du public et du privé) adossées à des outils de vulgarisation et d’exploitation pour le personnel enseignant et les familles. Communiquer dans les meilleurs délais un plan de mitigation de l’impact de la crise intégrant la question du calendrier scolaire, des évaluations certificatives (Cfee, Bfem, Bac), des modalités de promotion des apprenants des classes intermédiaires, de certification des élèves-maitres et des apprenants dans les filières techniques et professionnelles. Le renforcement de la capacité des écoles et établissement en ressources matérielles, financières et consommables (papiers et cartouches d’encres pour la reprographie…) pour les conforter dans leur rôle de médiateurs prioritaires et de soutiens dans la mise en œuvre du principe de continuité pédagogique, est aussi un impératif.