VIDEOLE NOUVEAU LEADERSHIP FEMININ ARRIVE
Nayé Anna Bathily, la fondatrice de l’association Shine to lead, qui oeuvre pour la promotion de l’éducation des jeunes filles en sciences, émue des résultats et de la brillance de ses protégées
Shine to lead/Jiggen Jang Tekki apporte une plus-value certaine dans l’agenda de l’éducation au Sénégal. Depuis quatre ans, l’association recrute des lycéennes issues de milieux modestes et les accompagnent pour qu’elles terminent leurs études dans la sérénité dans les séries scientifiques. Les lauréates de STL bénéficient d’un appui scolaire, de coaching en développement personnel, en leadership et en prise de parole en public. L’objectif est de faire d’elles «de grandes dames», moteur de l’émergence du Sénégal de demain. Récemment, l’association a organisé un déjeuner-retrouvaille à l’endroit de ses lauréates. Occasion pour qu’anciennes lauréates et nouvelles recrues se retrouvent. En marge de cette rencontre conviviale, SeneNews a interrogé l’inspiratrice du projet Nayé Anna Bathily, celle par qui tout est arrivé. Fière des fleurs produites par les graines qu’elle a semées 4 années plus tôt avec son équipe de bénévoles, elle revient avec émotion sur l’historique de l’initiative, évoque les défis et se projette sur le futur non sans dévoiler quelques secrets de la réussite de cette association. Manifestement, pour la fondatrice de Shine to lead, les résultats dépassent largement les espérances. ENTRETIEN.
Nayé Anna Bathily, vous êtes la fondatrice et présidente de Shine to lead/ Jiggen Jang Tekki qui épaule des jeunes filles des séries scientifiques. Dans quel contexte est née cette initiative ?
Shine to lead est né d’un besoin simple mais d’une évidence et d’une nécessité. C’est celui d’accompagner les jeunes filles défavorisées, à rester dans les séries scientifiques, à se développer, à développer leur leadership, à développer leur capacité à se prendre en charge et vraiment à développer le leadership féminin sénégalais. Notre parti pris vraiment c’est d’accompagner ces jeunes filles qui vivent souvent dans des conditions très difficiles, mais qui ont un potentiel de réussite énorme. Et nous avons choisi les séries scientifiques. Nous souhaitons qu’elles restent dans les séries scientifiques parce qu’il n’y a pas assez de jeunes filles dans les séries scientifiques et nous sommes convaincues qu’en les accompagnant, elles feront de grandes dames qui accompagneront la construction de la société sénégalaise et de l’Afrique bien sûr.
De manière concrète Nayé Bathily, qu’est-ce que Shine to lead apporte à ces jeunes filles et qui les transforme tant ?
Nous leur apportons un accompagnement sur plusieurs volets. Le premier c’est un accompagnement sur le plan émotionnel. Sur ce plan, on a développé un programme de mentorat. Chaque jeune fille a une mentore, c’est-à-dire une femme accomplie qui la suit au quotidien, suit son évolution, qui lui parle et qui l’aide vraiment à s’épanouir. Le deuxième volet, c’est toute une palette de programmes que nous avons mis en place. C’est la prise en charge au début de l’année des fournitures scolaires, en plus bien sûr d’un accompagnement financier qui est indispensable car comme je vous l’ai dit ce sont des jeunes filles défavorisées. Donc on les aide à pouvoir se rendre à l’école. Le troisième volet, c’est qu’on a lancé l’année dernière avec la pandémie un grand programme de cours de renforcement dans certaines matières scientifiques ainsi que dans certaines matières essentielles, (en mathématiques, en sciences physiques, en science de la vie et de la terre, en anglais et en français). Et tout ceci s’est fait en ligne.
Il semble que les filles ont bénéficié également des cours de vacances ….
En effet, on a lancé un programme de cours de vacances en ligne au niveau national dans les 14 régions du Sénégal. De nombreuses jeunes filles ont été sélectionnées pour bénéficier de ces cours. Nous avons reçu plus de 1500 candidatures. Cent vingt (120) jeunes filles ont été retenues. On a fait des partenariats avec des professeurs qui les ont suivies, qui ont administré ces cours. Pendant cette période, les filles retenues se sont connectées tous les jours. On a eu un taux d’assiduité de plus de 90%. C’est dire qu'il y a le désir d’apprendre, le désir d’engagement chez ces jeunes filles . Il leur suffit d’un coup de pouce vraiment pour qu’elles se réalisent et c’est ce que Shine to lead apporte.
Globalement pensez-vous que les filles sont conscientes de la chance qu'elles ont d’avoir Shine to lead comme appoint ?
Je pense que oui. C’est une évidence. Nous, nous les avons vues évoluer parce que quand on les prend en charge au début, elles sont très timides. Plus le temps, passe, plus on voit comment elles se prennent en charge. Elles sont transformées. Nous avons des programmes académiques mais aussi beaucoup de programmes dans le développement du leadership, des ateliers d’art oratoire, des ateliers de théâtres où elles apprennent vraiment à avoir confiance en elles. On voit un vrai changement qui s’opère en elles. Nos lauréates sont littéralement transformées par ces programmes. Donc, bien sûr qu’elles se rendent compte de la chance qu’elles ont et les résultats scolaires le montrent. On a eu cette année de nombreuses bachelières et surtout de beaucoup de mentions et de belles mentions : des mentions « Assez bien », « Bien », «Très bien ». Pour moi, c’est une très grande émotion que de voir ces jeunes filles défavorisées, parvenir à décrocher le BAC avec brio. C’est vraiment une très grande fierté et c’est tout à leur mérite parce que Shine to lead est un coup de pouce. Mais ce sont elles qui sont courageuses et braves.
Shine to lead est une association très jeune mais avec d’excellents résultats. Où est ce que l’association trouve des ressources pour assurer cet appui qualitatif?
Shine to lead existe depuis plus 4 ans maintenant. On s’est fait connaître et il y a beaucoup de partenaires qui nous ont fait confiance. Il y a des entreprises privées, des fondations, des personnes individuelles qui nous contactent et nous proposent leur contribution. On a aussi un grand réseau de bénévoles avec notamment notre programme de mentorat. Nos mentores sont toutes des femmes bénévoles qui travaillent, qui sont très occupées, mais qui prennent de leur temps pour accompagner ces jeunes filles. C’est l’occasion pour moi de les remercier au nom de toute l’équipe de Shine to lead parce que qu’elles le font en plus de toutes leurs activités professionnelles, familiales et personnelles. C’est la solidarité autour de Shine to lead qui fait que cette initiative prend de l’élan, continue de grandir. On n’a que deux salariées. Tout le reste ce sont des bénévoles qui donne de leur temps. Moi j’ai peut-être pensé l’initiative mais maintenant elle appartient à des centaines et des centaines de personnes.
Malgré vos résultats, il y a certainement des difficultés. Comment les surmontez-vous et quels sont vos besoins actuels ?
On peut se réjouir parce que nous n’avons pas beaucoup de déperdition ou de manque d’assiduité, mais il y en a quelquefois qui sont moins assidues pour des raisons indépendantes de leur volonté. Par exemple, on a vu que pendant la pandémie de COVID-19, elles étaient tellement débordées par les tâches ménagères qu’elles avaient un peu du mal à suivre les cours en ligne. C’est un dialogue continu qu’il faut instaurer avec les parents pour qu’ils aident les filles à être plus disponibles et suivent les cours. Il y aussi la question de connectivité parce que la plupart de nos programmes surtout avec la pandémie se font en ligne. Donc il y a l’outil digital qui est mis à la disposition de certaines si c’est nécessaire. Malheureusement quelquefois, il y a des problèmes d’électricité, des problèmes d’accès à la connexion. En somme, ce sont certains des défis auxquels nous faisons face. Toutefois, nous trouvons toujours des solutions et la motivation des filles nous porte pour trouver des solutions.
Qu’en est-il de vos besoins ?
On a effectivement encore des besoins. On a obtenu très récemment un financement d’un partenaire qui veut qu’on trouve plus de 1000 mentors. Maintenant, il faut aller les trouver, il faut dénicher toutes ces femmes qui seront disponibles pour accompagner les jeunes filles surtout avec le fait qu’on a étendu nos programmes au niveau national. Nous avons besoin de plus de relais dans les régions et ça aussi ça demandera un investissement sur le terrain. On est en train de voir comment nous organsiner pour trouver d’autres partenaires pour être plus présents sur le terrain au-delà de Dakar, Saint-Louis parce que nous voulons aller au fin fond du Sénégal, dans les zones rurales où les besoins sont énormes, où il y a beaucoup de mariages précoces. Nous voulons aller toucher ces jeunes filles-là. Ce sont là des difficultés que Shine to lead doit surmonter.
A côté des besoins, vos résultats sont imparables. Quelle a été la clé du succès du Shine to lead ?
La clé du succès de Shine to lead ça a été vraiment de nous concentrer sur les jeunes filles. Je suis peut-être la fondatrice mais il n’y a pas d’individualité (Ndlr : l’équipe de bénévoles). On n’a pas d’agenda politique. Notre seule motivation, c’est vraiment d’avoir un impact sur la vie des jeunes filles. On n’a aucun autre agenda. Et donc on est investi à 100% sur l’épanouissement de ces jeunes filles, sur le développement de leur leadership personnel et académique. C’est l’engagement de chacun, de chacune de nous, de toute l’équipe de manière générale qui produit cet impact. Mais la clé de notre succès aussi a été la confiance des parents, des partenaires et surtout l’engagement des jeunes filles.
Nayé Anna Bathily, si vous aviez plus de possibilités, plus de moyens à Shine to lead qu’est-ce que vous feriez de plus ?
Il y a deux choses. D’abord, ce serait de toucher beaucoup plus de filles. C’est vrai qu’on touche déjà plusieurs centaines, mais ça reste vraiment une échelle réduite. Moi je voudrais qu’on puisse en toucher des millions. Donc l’objectif pour nous, c’est vraiment d’arriver à une masse critique plus importante de jeunes filles qui intègrent nos programmes. On a besoin des jeunes filles qui aient plus confiance en elles, qui croient en elles, s'investissent plus dans les études et surtout dans les séries scientifiques.
Ensuite, j’aimerais aussi qu’on puisse avoir plus de rencontres physiques avec les lauréates et qu’on puisse faire de bootcamp. C’est très bien des rencontres virtuelles que nous a imposées la pandémie, mais comme il y a une décrue et un certain contrôle des autorités sanitaires du pays, je pense que nous pourrons reprendre nos rencontres en présentiel avec les filles, se voir et échanger. Je souhaiterais par exemple qu’on puisse toutes nous retrouver dans une ville du Sénégal pendant l’été dans le cadre de bootcamp. C’est important. L’effet de transformation et l’impact sont encore plus forts quand on peut se voir, se parler, se toucher.
STL a fait une certaine discrimination. La science c’est important certes, mais on peut avoir des filles brillantes en littératures qui ont aussi besoin d’appui pour libérer leur énergie. Qu’est-ce qu’on en fait ?
Il y a tellement de choses à faire et nous on a choisi. On fait ce parti pris comme je vous l’ai dit. Si on pouvait prendre aussi en charge d’autres profils, on le ferait. On nous a même dit pourquoi ne pas toucher les garçons. On aurait aimé le faire mais on ne peut pas tout faire. On sait qu’il y a un besoin dans les séries scientifiques, il y a besoin d’avoir plus de jeunes filles en sciences. Ça a été notre choix. D’autres s’occuperont d’autres jeunes filles, de l’éducation de manière générale. Nous, c’est notre contribution. Il y a beaucoup de contributions et je crois que la somme de ces contributions permettra vraiment de faire avancer l’agenda de l’éducation au Sénégal et en Afrique.
Que vous disent les dirigeants à propos du travail de Shine to lead ?
On a beaucoup d’encouragements et c’est ça aussi qui nous porte. Moi je reçois chaque fois des messages de félicitations de part et d’autre de personnes qui nous suivent et qui voient nos résultats. Partant justement de nos résultats, on a eu par exemple, cette année des bachelières qui ont 13 ans, Aminata et Rama (Ndlr : les sœurs jumelles) sont avec nous à cette rencontre aujourd’hui. Shine to lead les suit depuis 3 ans. Nous avions demandé à leurs parents de les laisser en Seconde S, en Première S et nous avons fait ce qu’il fallait pour qu’elles puissent être connues, pour qu’elles puissent avoir une bourse parce qu’elles étaient tellement jeunes en tant que bachelières. Et finalement, elles ont eu cette bourse des plus hautes autorités. Et c’est parce qu’on les a fait connaître à travers Shine to lead. Donc ce sont vraiment tous ces encouragements que nous recevons des plus hautes autorités, des partenaires et de toutes les bonnes volontés.
Shine to lead est une faiseuse de grandes dames, de futures dirigeantes. Pensez-vous que si on a des femmes présidentes au Sénégal, au Rwanda et en Afrique du Sud quelque chose peut changer pour ce continent ?
Oui, je pense mais je crois qu’il ne faut pas en faire une obsession. Il faut juste être sûr que les femmes jouent un rôle aussi important que les hommes dans la société. Présidente oui ou alors premier ministre, on en a déjà eu au Sénégal. D’ailleurs, on a eu deux femmes premiers ministres (Ndlr : Mame Madior Boye sous le régime d’Abdoulaye Wade -2000-2012- et Aminata Touré sous le régime de Macky Sall). Mais ce qui compte c’est que les femmes aient leur place, jouent leur rôle dans leur société. Présidente pourquoi pas, mais ce qui est important pour nous c’est l’éducation, que chaque femme trouve sa place et apporte sa contribution à la construction de l’édifice sénégalais et africain.
L’affirmation des femmes même professionnelles reste un défi. Par exemple, les journalistes essaient de leur donner la parole sur le terrain, mais c’est difficile de leur faire parler. Comment on sort de cette situation ?
Je suis tout à fait d’accord. C’est justement le travail qu’on fait à Shine to lead. Quand elles arrivent, elles ne veulent même pas ouvrir leurs bouches parce qu’elles n’ont pas l’habitude, on n’a pas l’habitude de les mettre en avant. Mais avec des ateliers de prise de parole en public que STL organise, petit à petit, elles prennent confiance en elles. C’est un travail de longue haleine et je pense qu’il y a de plus en plus de femmes dans, dans le secteur privé, de plus en plus de femmes dans beaucoup d’autres sphères qui prennent la parole, prennent leurs responsabilités et qu’on entend dans l’espace public. Donc petit à petit, ça se fait. Ça n’avance peut-être pas aussi vite qu’on le souhaite, mais il y a des améliorations et ce travail qu’on fait, toutes ces pépites qu’on fait éclore à Shine to lead, ce seront elles demain qui assureront. Je pense que demain vous n’aurez plus du mal à avoir des femmes qui vont prendre le micro, ça je vous le promets.
Interview réalisée par Frédéric ATAYODI