SENGHOR AVAIT LE PROJET DE CONSTRUIRE LA BIBLIOTHEQUE NATIONALE DEPUIS 1976
Le Professeur Bernard Dione est le Directeur du Centre national de documentation scientifique et technique (Cndst) au ministère l’Enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l’innovation (Mesri).
Le Professeur Bernard Dione est le Directeur du Centre national de documentation scientifique et technique (Cndst) au ministère l’Enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l’innovation (Mesri). Il est aussi Professeur à l’Ebad et Directeur du Laboratoire de recherche en sciences de l’information et de la communication (Larsic). Il nous livre sa vision d’une future Bibliothèque nationale.
Vous militez pour la mise en place d’une bibliothèque nationale. Quelle serait la plus-value d’une telle institution par rapport à la BU ?
Une bibliothèque nationale est porteuse de sens pour une nation. Elle incarne l’identité de cette dernière. Recenser, conserver et diffuser tous les documents imprimés ou numériques, audios ou vidéos produits sur le territoire national et tous les documents traitant du Sénégal, Google ne peut pas le faire à notre place. Nous devons le faire. Nous devons conserver en un lieu physique et virtuel les œuvres des intellectuels et érudits sénégalais depuis le traité sur la jurisprudence (Tanbh almutashil) de Maxtaar Ndumbe Joob (m. 1753), fondateur du foyer islamique de Koki jusqu’aux derniers ouvrages de Mamadou Diouf, de Souleymane Bachir Diagne et de leurs suivants en passant les œuvres de El Hadj Omar, Cheikh Ahmadou Bamba, El Hadj Malick, etc. Je fais souvent, en classe, un petit test avec mes étudiants bibliothécaires en leur demandant de me citer un seul livre de El Hadj Omar Tall. Ils disent la plupart du temps qu’ils pensaient qu’il était juste un guerrier ! En fait, la reconquête de notre identité passe par la maitrise des savoirs que nous ont légués les générations précédentes.
Une bibliothèque nationale aurait-elle pu accueillir la bibliothèque de Senghor ?
Je rappelle que M. Le Président L. S. Senghor avait le projet de construire la Bibliothèque nationale du Sénégal (Bns) depuis 1976. Si cela avait été fait depuis, il est clair que ses documents auraient été déjà conservés dans la collection patrimoniale de celle-ci dans le «Fonds Léopold Sédar Senghor». Au lieu de cela, l’État du Sénégal, osons le dire, en est à subir du chantage ! Je vais paraphraser une discussion que j’ai eue avec un de mes maitres à l’Ebad, le professeur Ibrahima Lo, Directeur du Livre et de la Lecture : il faudrait, qu’au-delà du Président Senghor, que nous nous penchions sur le patrimoine que nous ont légué des femmes et des hommes natifs de ce pays et dont la contribution est essentielle dans la construction de notre devenir commun. Le projet de construction de la Bibliothèque nationale du Sénégal constitue le premier jalon dans cette démarche.
Justement à propos de Senghor, le Sénégal a dû racheter sa bibliothèque. Qu’est-ce qui peut être fait pour qu’à l’avenir ce genre de patrimoine ne soit pas mis en vente et qu’il revienne directement à la nation ?
Le Sénégal, dans le cadre des échanges culturels avec la France, doit négocier un droit de préemption lui permettant, à l’avenir, d’acquérir en priorité tout objet relevant du patrimoine du Président Senghor et d’autres personnalités sénégalaises illustres. Nous devons également mettre en place des équipes d’experts chargés de faire la veille sur tous les objets du patrimoine documentaire du Président Senghor afin d’anticiper les situations comme celles que nous venons de vivre.
Quel avenir pour les Bibliothèques universitaires ?
Historiquement la bibliothèque située au centre de l’université était une vision commune dans le milieu académique. Cette perception peut être illustrée par cette citation de Albert Einstein : «La seule chose que vous devez absolument savoir, c’est l’emplacement de la bibliothèque». Mais l’ère numérique est en train de brouiller le concept de localisation physique au sein des universités. De nos jours avec le eLearning et l’externalisation, l’objectif de toutes les BU est de fournir des services d’information à distance. Elles restent encore incontournables dans la fourniture de services d’information et dans la valorisation des publications des chercheurs. Chez nous, nous aimons souvent dire de manière péremptoire que telle chose est dépassée. Mais, vous le savez l’histoire n’est pas souvent linéaire. Les bibliothèques sont en train de théoriser «l’espace» comme service. Offrir l’espace comme un service n’est pas aussi absurde que cela. Surtout dans nos pays, où travailler à domicile ou dans les résidences universitaires peut relever d’une gageure. Chaque fois que j’entends mes collègues se plaindre de n’avoir pas de bureau, je me dis qu’ils ne connaissent peut-être pas le service de cabines individuelles (les box) de la BUCAD. Je ne sais pas si vous le savez, mais les bibliothèques explorent de nos jours la possibilité d’offrir aux usagers des espaces de sommeil (bed & books), de relaxation, de détente et de convivialité !