AWA SECK, UNE LINGEER DU MOUSSOR
De juriste victime de discrimination en France à créatrice de mode reconnue. Cette Sénégalaise de 46 ans originaire de Diourbel a bâti une marque qui célèbre l'héritage culturel tout en modernisant ce couvre-chef traditionnel

Awa Seck se proclame « l’ambassadrice du moussor ». Originaire de Diourbel, elle s’est fixée comme objectif de faire de ce bout de tissu une tendance, aussi bien au Sénégal qu’à l’international.
Le style vestimentaire d’Awa Seck est simple. Vêtue d’une chemise blanche, d’un jean bleu clair et de sandales, elle ajoute une touche d’authenticité à cette modernité en arborant son fameux « moussor ». C’est son identité. Alliant vacances et travail pour quelques jours, cette Sénégalaise résidant à Bruxelles a pris dans ses bagages ses accessoires indispensables. Les moussors font partie de son quotidien et sont aussi imposants que les boucles d’oreilles qu’elle porte. À 46 ans, elle réalise des tutoriels et des démonstrations chez elle, à Keur Massar. En lin, en coton, en wax ou en chantoum, Awa Seck propose plusieurs matières : « Je fais différents motifs pour chaque occasion, avec des moussors qui ressemblent à mes clientes. » Les tarifs varient entre 10 000 FCFA et 15 000 FCFA. Un business « lucratif » dans lequel elle s’épanouit pleinement.
Rien ne prédestinait Awa Seck à devenir « l’ambassadrice du moussor ». Après des études de droit à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, elle poursuit son cursus à Bordeaux auprès de sa sœur. « J’y suis allée avec beaucoup d’enthousiasme, mais j’ai vite déchanté car j’ai dû faire face au racisme », se souvient-elle avec émotion. Encouragée par son aînée, Awa obtient un master en droit du travail en 2004. Toutefois, son insertion professionnelle est difficile : « J’avais du mal à trouver du travail dans mon domaine. Il fallait un carnet d’adresses bien fourni, sans compter la discrimination », dit-elle avec amertume. Elle décide alors d’entreprendre un second master en ressources humaines à Paris tout en enchaînant de petits boulots dans la restauration. « Il m’a fallu du temps avant de travailler dans mon domaine », confie-t-elle. Coiffure, onglerie… Awa Seck touche à tout. »J’ai appris à me battre, à travailler dur et à m’intégrer afin que ma présence ait un impact positif sur la vie des gens. », estime-t-elle. Un véritable sacerdoce.
En 2005, elle s’installe à Bruxelles auprès de son mari. Là-bas, elle apprend le néerlandais et le flamand, qu’elle parle couramment aujourd’hui. Elle travaille d’abord dans le service à la clientèle, puis dans une chaîne de fitness. Après quelques années et deux enfants, elle décide de tout quitter pour rentrer au Sénégal. « J’ai été victime d’une agression raciste dans un bus en 2011. Cela a précipité mon retour », avoue-t-elle peinée. Afin de préparer sa reconversion, elle entame un troisième master en marketing et communication.
De retour au Sénégal en septembre 2012 avec ses enfants, elle trouve rapidement un emploi dans le département des ressources humaines d’un opérateur mobile. Son expérience professionnelle y est bien différente de celle vécue à Bordeaux.
Les débuts de « Moussorma »
Le destin de cette « Baol-Baol » est étroitement lié au moussor. Ce petit bout de tissu qu’elle portait au travail devient, à sa grande surprise, un élément phare de son identité. « C’était ma petite touche traditionnelle dans une tenue moderne. Mes collègues étaient admiratifs, et c’est ainsi que j’ai commencé à leur montrer comment bien attacher le moussor », explique-t-elle. En 2016, elle lance ses premiers tutoriels. « À l’époque, cela suscitait beaucoup d’intérêt », dit-elle avec un sourire.
En juillet 2017, elle organise son premier atelier payant, proposant des cours à 5 000 FCFA par personne. Le succès est immédiat. Elle commence alors à consacrer une partie de son temps à cette activité, tout en travaillant dans une maison de production comme directrice commerciale et marketing. « C’était une activité indépendante qui me permettait de développer mon projet », confie-t-elle. Ainsi naissent les « Moussors d’Awa ». « Je voulais cette connexion avec mon pays, d’où le nom ‘Les Moussors d’Awa’ », affirme-t-elle. Son objectif : inciter les jeunes Sénégalaises à porter le moussor avec fierté, notamment dans le cadre professionnel. « Elles étaient complexées à l’idée de le porter en rendez-vous d’affaires », explique-t-elle.
En juillet 2017, pour des raisons familiales, elle retourne à Bruxelles tout en poursuivant son activité. Afin de perfectionner son art, elle suit des formations en couture et en chapellerie en 2018. « J’ai appris à créer moi-même les moussors », précise-t-elle. Elle enchaîne également les ateliers de coaching sur l’estime de soi, notamment pour les femmes sous chimiothérapie et les enfants. D’ailleurs, elle devient ambassadrice de la Ligue Sénégalaise Contre le Cancer (Lisca), pour laquelle elle organise la première collecte #200millionschallenge #Pourlesmaladesducancer.
Avec quelques économies, elle ouvre sa boutique quelques mois plus tard. » Je vends aussi bien au Sénégal qu’en Belgique des « moussors » prêts-à-porter, appelés « Moussormas’ », renseigne-t-elle fièrement. En collaboration avec des boutiques sénégalaises, Awa Seck assure la distribution et développe aussi la vente en ligne. L’entrepreneure confectionne une vingtaine de foulards toutes les deux semaines et assure la livraison.
En décembre 2018, Awa élargit sa marque en lançant une ligne de vêtements pour hommes, femmes, enfants et articles pour la maison sous le nom AWA B.AOL. Elle valorise la broderie traditionnelle de sa région, le SOR, qui devient sa signature. Une manière de rendre hommage à sa mère, une brodeuse renommée décédée lorsqu’elle avait huit ans. Elle collabore avec des artisanes locales pour préserver ce savoir-faire et les aider à acquérir une indépendance financière.
Altruiste et engagée
Awa Seck ne se contente pas de lutter pour la valorisation du « moussor ». Elle mène également un autre combat : la défense des droits des femmes. « Beaucoup s’opposent au mot féminisme, mais moi, je l’assume pleinement. Je me considère même comme radicale lorsqu’il s’agit des droits et de la protection des femmes. Il n’y a pas de demi-mesure », affirme-t-elle d’un ton catégorique.
Son amie de longue date, Ndieme Amy Varore, la décrit comme « une voix pour les sans-voix, une femme prête à se battre comme une lionne pour un changement positif ». Elle témoigne de sa générosité et de son engagement sans faille.
Moustapha Ndiaye, un autre proche, la qualifie de « femme africaine, et plus précisément sénégalaise, décomplexée, qui, après avoir réussi à l’étranger, met ses compétences au service de sa communauté ».
Aujourd’hui, Awa Seck est devenue une véritable ambassadrice du Sénégal. Elle emmène son « moussor » aux quatre coins du monde, participant à des missions économiques dirigées par la princesse Astrid de Belgique, qui porte fièrement ses créations.