ENSEIGNANTES EN ZONE RURALE, DES SOLDATES DE LA RÉPUBLIQUE QUI SOUFFRENT LE MARTYRE
Au Sénégal, le métier d’enseignant est un pari bien risqué en monde rural. Il l’est beaucoup plus encore lorsque ce sont des femmes qui l’exercent
Au Sénégal, le métier d’enseignant est un pari bien risqué en monde rural. Il l’est beaucoup plus encore lorsque ce sont des femmes qui l’exercent. Et effectivement, dans les contrées les plus reculées, certaines femmes dispensent le savoir dans des conditions extrêmement difficiles. Des témoignages de femmes enseignantes en disent long sur leurs conditions de travail et d’existence dans les écoles rurales.
Aujourd’hui 8 mars, une journée dédiée à la condition féminine, ce sera la «grande» fête au Grand théâtre de Dakar avec plein de femmes richement vêtues et recouvertes d’or tandis que, au même moment, de pauvres fonctionnaires exercent dans des conditions terribles en milieu rural. C’est le cas de ces enseignantes affectées au fin fond du Sénégal où le «chemin de l’école» est parsemé d’embûches.
Boury Niang, Khady Diouf, Ndèye Khady Faye et Mme Ndiaye se sont rendu compte de cette réalité le jour où elles ont reçu leurs ordres de mission pour rejoindre leurs premiers postes de travail. Quatre collègues enseignantes aux parcours différents mais qui ont toutes servi en milieu rural dans des conditions exécrables. Une situation qui a même affecté l’état de santé de Mme Ndiaye en convalescence depuis plus de deux mois après avoir subi une intervention chirurgicale de à un «polype». Tout a commencé par des saignements qui l’ont conduite au poste de santé, dans la zone de Nioro, où il n’y avait qu’une seule matrone pour toutes les femmes du village. «Lorsque je suis arrivée, elle m’a dit que j’ai fait une fausse couche, et cela m’a étonnée. Elle m’a proposé un curetage pour retirer des débris lié à cet avortement dont elle parlait. Je précise que je n’étais pas enceinte. Mais elle tirait, tirait et n’arrivait toujours pas à enlever ce « truc » qui serait dans mon ventre. J’ai souffert parce que ça faisait trop mal. Finalement, elle m’a dit qu’elle ne comprenait plus, qu’elle n’arrivait pas à enlever l’affaire. Elle m’a libérée. Et comme je ne pouvais pas sortir de la zone sans autorisation, je suis restée là-bas tandis que mon état de santé s’aggravait de jour en jour. J’étais devenue toute pâle, toute blanche car complètement anémiée. Malgré cela, je ne pouvais pas quitter mon poste de travail pour une prise en charge. Finalement, c’est en décembre que j’ai subi une intervention chirurgicale «, confie notre interlocutrice tout en s’indignant du manque de personnel de santé qualifié dans certaines zones où sont affectées des agents de l’Etat en général. Un dénuement en personnel qui lui a failli ôter la vie. Mais si Mme Ndiaye a finalement eu la vie sauve, toutes n’ont pas la même chance qu’elle, hélas. Car, des décès d’enseignantes, il y en a dans la région de Kaolack.
Dans certaines localités, dit-elle, on enregistre quelques fois des décès d’enseignantes au cours de grossesses par manque de suivi ou à la suite de complications. «Les mutuelles de santé sont là, on adhère, on cotise, mais le personnel fait défaut. Par exemple, dans ce poste de santé où je m’étais rendue, il y avait une seule matrone qui, devant prendre à la fois en charge quatre parturientes en travail, intervenait par ordre d’arrivée alors que les niveaux d’urgences ne sont pas les mêmes». D’où le plaidoyer de Mme Ndiaye pour des structures sanitaires adaptées et des personnels qualifiés surtout que «les effets de la grossesse varient d’une femme à une autre selon son organisme».
Thionokh, un village au bout du monde
Hélas, beaucoup d’enseignantes ont déjà une santé fragile à l’image de Ndèye Khady Faye Mme Faye qui dit avoir souffert à Thionokh, dans le département de Ranérou, son premier poste. «Thionokh, c’était un poste de choix réservé aux dames. Le premier jour, je n’ai pas fermé l’oeil de toute la nuit. Ce n’était pas facile. Il n’y avait pas de lumière, on était dans l’obscurité totale, dans une nouvelle famille, loin des parents, et on devait s’adapter. Heureusement que, avec Awa Lô Mme Tall, on a trouvé sur place une équipe pédagogique très soudée. C’est ce qui nous a un peu réconfortées. Parce que, même si on avait une urgence familiale, on ne pouvait sortir que les vendredis. Ma tante maternelle est décédée, et je suis arrivée tard à la maison», se souvient «Dieuwrina» qui avait également en charge un enfant maladif. «Dieuwrina», un surnom que lui ont donnée ses collègues enseignants pour son engagement, son dévouement dans la voie mouride et familiale. Une vraie battante, une dame de fer qui a le sens des responsabilités, surtout pour son sens de la motivation pour le bien-être «familial» à l’école et aussi la nourriture qu’elle servait à ses collègues. C’est la fameuse «popote» pour laquelle chaque enseignant verse une participation symbolique qui varie entre 10 000 francs et 15 000 francs. «Durant ma première année à Thionokh, c’est Mme Sock Nogoye Faye qui se chargeait de la popote, puis Mme Guèye, ensuite Mme Tall avant que je ne prenne la relève après leurs affectations. Je me débrouillais pas mal. Durant les heures de récréation, je partais rapidement m’approvisionner pour le repas du midi que je préparais à la descente à 13 heures, et le diner vers 18 heures. Tous les vendredis aussi, je faisais le linge pour presque tous mes collègues enseignants, jusqu’à 19 heures». Une surcharge de travail à laquelle font face presque toutes les enseignantes qui servent en brousse. «90 % du travail de l’enseignant se fait à la maison. A l’école, tu restes debout de 8 heures à 13 heures pour des enseignements de qualité. Le bureau est juste aménagé pour déposer les affaires. La chaise, c’est pour la récréation. Le manger, on le fait à tour de rôle. A cet effet, on se lève à 5 heures du matin pour le petit déjeuner avant l’école, à la descente, c’est le déjeuner qu’il faut préparer puis le diner le soir. Après, tu te mets à préparer des fiches et à remplir ton cahier journal pendant deux heures pour avoir la signature du directeur. Si tu es une femme mariée, il y a ton homme qui t’attend à côté», témoigne cette maîtresse battante sur le quotidien des femmes enseignantes exerçant en zone rurale pour inculquer aux enfants le savoir. C’est ainsi que ces braves dames planifient leurs journées qui sont presque sans repos. Un vrai sacrifice qui a impacté sur l’état de santé de Mme Faye Ndèye Khady Faye alias « Dieuwrigna ». «Chaque année, je tombais malade, surtout durant les vacances. En 2019, j’avais une classe d’examen, je suis rentrée pour une prise en charge. Mon directeur a signalé ma maladie à notre inspecteur qui a coupé mon salaire pour une durée d’un mois car on me demandait des papiers justificatifs. Ça m’a fait mal, mais j’ai eu quand même le soutien de mes collègues», indique cette brave dame, la première à avoir tenu une classe de CM2 à Thionokh avec un taux de réussite de 99 % de réussite au concours d’entrée en sixième. D’excellents résultats obtenus malgré la «pauvreté» de l’alimentation. «On mange du Mbakhalou Saloum, du domoda kéthiakh ou du domoda guedj», confie sa collègue Boury Niang qui ne cesse de rigoler à propos du «domado kéthiakh pour des salariés».
Fort heureusement, ces courageuses enseignantes avaient cultivé le vivre-ensemble et en commun qui a fait que ces quatre colocataires qu’elles étaient très unies. Ce qui a fait qu’elles n’avaient pas de «difficultés majeures» à Louguéré thioly. Un vivre-ensemble renforcé d’avantage par la survenue des jumeaux de Mme Pouye Khady Diouf (Serigne Babacar et Mame Abdou). Mme Pouye confie d’ailleurs que Mme Ndiaye et Mme Lô l’ont beaucoup soutenue dans ces durs moments à Louguéré Thioly. «Ce sont de gentilles collègues. Quand je préparais mes fiches, elles s’occupaient des enfants. Des fois, Mme Ndiaye portait même Serigne Babacar sur son dos en plein cours. C’était en 2018 et j’étais candidate au CAP. Je faisais les EPS à 16 heures-18 heures. Je ne rentrais chez mes parents que durant les fêtes parce que je ne pouvais pas tout le temps voyager avec les enfants dans certaines conditions», raconte Mme Pouye Khady Diouf. Mais aussi pénible qu’était la vie à Thinokh ou à Louguéré Thioly, c’était le paradis en comparaison de Caak, un village situé sur la route de Vélingara Ferlo où Mme Pouye Khady Diouf fut la première femme enseignante à servir. D’où le nom «Madame Debbo» ou «Madame bou goor bi» comme l’appelaient les habitants du village. Un village sans toilettes. «Si on voulait faire ses besoins, on attendait la tombée de la nuit pour aller se soulager derrière un arbre». Un calvaire que l’infortunée maîtresse a dû supporter pendant une année avant de tomber enceinte à sa deuxième année. Une grossesse gémellaire intervenue alors qu’elle était candidate au CAP. Pour ne rien arranger, Mme Pouye Khady Diouf tenait aussi une classe multigrades (Ce1 et Cm1). Ce n’est finalement qu’au mois de février qu’elle a obtenu un congé. C’est à son retour qu’elle a pu bénéficier d’un redéploiement à Louguéré Thioly.
Des hameaux sans électricité, sans eau, sans toilettes…la galère !
La plupart des écoles de campagne n’ont ni eau ni électricité et sont dépourvues d’infrastructures de base tels que des salles de classes et des toilettes, de personnels de santé qualifiés, de moyens de transport... Beaucoup d’enseignants qui y sont affectés ne sont pas en sécurité et dorment à la belle étoile en temps de chaleur. «J’ai eu à partager la même chambre avec une collègue qui avait une arthrose qui provoquait une paralysie parfois. Ce qui faisait que, certaines nuits, elle ne pouvait même pas sortir. On vivait ensemble à Thionokh. J’étais obligé de lui trouver un seau pour ses besoins. Jusqu’à présent elle est dans la zone. Elle a présenté des papiers, mais on l’a laissée là-bas», raconte avec indignation notre interlocutrice elle qui évoque aussi le cas de cette autre collègue dont la chambre en paille avait pris feu à Nioro.
A Louguéré Thioly, les logements étaient acceptables comparés à ceux de Caak, mais l’eau était une denrée rare notamment l’eau à boire parce que le château d’eau était en panne. «Parfois on déboursait 15 000 francs tous les deux jours pour avoir de l’eau. De l’eau dans laquelle vivaient toutes sortes de bestioles et dans laquelle les habitants faisaient leur bain. On trouvait tout dedans même des peaux de grenouilles... On faisait de la filtration, de la javellisation, on mettait des médicaments déparasitants... On me disait de ne jamais regarder dedans. Qu’il faut boire rek. En tout cas, je l’ai bue pendant cinq mois sans effet immédiat. C’est par la suite qu’on a acheté des seaux à filtre», confie encore Boury Niang. Bien évidemment, en plein Ferlo, le poisson était tout simplement introuvable. Sinon, et si on en trouvait, il fallait débourser 1000 francs pour un tas de trois poissons minuscules. Par contre, de la viande, on en trouvait à gogo et à moindre coût.
Pour rejoindre leur lieu de travail ou assister aux cellules pédagogiques, les enseignantes de brousse parcourent des kilomètres et des kilomètres à pied, en charrettes ou à motos au risque et au péril de leur vie... Elles empruntent des taxis « clandos », des charrettes et des «jakarta», parcourent des kilomètres, bravent la poussière pour aller participer aux cellules pédagogiques. «C’est pourquoi on s’organise de telle sorte que tous les enseignants puissent participer aux cellules parce que c’est important pour eux. On les organise les jours de louma — marchés hebdomadaires—, pour faciliter le déplacement aux enseignants se trouvant dans des zones très enclavées», confie un enseignant qui a servi pendant 10 ans dans la zone de Ranérou. Tout comme les infrastructures de base et ou le personnel qualifié dans les structures sanitaires, le transport reste un grand problème en zone rurale. Les enseignants, particulièrement les femmes, en souffrent. «En 2012, on devait aller en vacances mais on a attendu le jour du départ un véhicule jusqu’à minuit. Brusquement, un camion a débarqué. Tous se sont engouffrés dedans. Je ne voulais pas prendre le camion. J’ai pleuré de Louguéré Thioly à Linguère.
Après juste 5 kilomètres de route, le camion est tombé en panne. Quelques minutes après, il a redémarré pour encore s’immobiliser 15 kilomètres après. J’ai dit à mes collègues ‘Gnaw. C’est bien fait. Parce que je leur avait proposé de rester en leur indiquant que c’était risqué de prendre ce camion mais personne n’avait voulu m’écouter», explique en riant Mme Niang. Mais malgré tout ce calvaire, malgré les problèmes de famille et de santé, malgré la mauvaise alimentation, le manque d’infrastructures sanitaires, l’absence d’électricité, la mauvaise qualité de l’eau — là où on en trouve —, l’inexistence de loisirs etc. ces braves enseignantes restent en brousse ! Sans compter que le poids des tâches domestiques et l’organisation de la vie familiale pèsent sur les «frêles» épaules de ces femmes. Ce qui est parfois très compliqué à gérer avec le métier d’enseignante. Ça pèse, certes, admettent ces femmes, mais elles sont unanimes en disant que c’est gérable aussi. Telle est la femme : elle est le poumon de la famille, c’est sur elles que reposent beaucoup de tâches. Elles sont enseignantes, elles ont non seulement la préparation des cours à faire, mais encore elles ont aussi à faire face aux inspections, au quotidien (travaux ménagers tels que la cuisine) à gérer et à joindre les deux bouts. Les tâches ménagères, elles s’en acquittent toutes seules. Elles n’ont pas de bonnes. Elles s’organisent. Elles planifient les week-ends. Dure, dure, dure, la vie des braves enseignantes en milieu rural ! Le 08 mars devrait leur être spécialement dédié…